Un sérieux accrochage armé a opposé jeudi la Turquie au groupe État
islamique (EI) le long de la frontière turco-syrienne, trois jours après
un attentat suicide meurtrier, attribué par Ankara aux jihadistes, qui a
visé des militants prokurdes.
Dans un climat de forte tension, nourri par l'assassinat d'un
policier dans la grande ville kurde de Diyarbakir, cet incident armé, le
plus sérieux depuis des mois, s'est produit alors que le gouvernement
turc envisage de mettre en place une nouvelle série de mesures destinées
à renforcer sa sécurité à la frontière avec la Syrie.
En milieu d'après-midi, un sous-officier turc a été tué et au moins
deux autres soldats blessés dans la région de Kilis (sud) par des tirs
venus d'une zone tenue, selon Ankara, par des combattants jihadistes.
Conformément aux règles d'engagement qu'elle observe à chaque fois
qu'elle est visée, l'armée a immédiatement riposté en bombardant le
territoire syrien. Selon la chaîne d'information NTV, un combattant
jihadiste a été tué par les tirs des chars de la 5e brigade blindée
turque déployée face à la Syrie. Cet échange de tir intervient au
lendemain d'un Conseil des ministres extraordinaire qui a décidé de
renforcer sa lutte contre les jihadistes.
"Nous considérons Daech (l'acronyme arabe de l'EI) comme une menace
(...) notre système de contrôle à la frontière (syrienne) va être
renforcé", a promis mercredi soir le porte-parole du gouvernement,
Bülent Arinç.
Selon le quotidien Hürriyet citant des responsables
turcs, le gouvernement envisage de déployer des dirigeables au-dessus
des 900 km de sa frontière syrienne et de doubler sa ligne de barrières
afin d'empêcher les mouvements des jihadistes. Une nouvelle réunion des
chefs de l'armée et des services de sécurité et de renseignement était
prévue jeudi après-midi autour de M. Davutoglu. Lors d'une conversation
téléphonique mercredi soir, le président Recep Tayyip Erdogan et son
homologue américain Barack Obama sont convenus "d'intensifier" leur
coopération contre l'EI.
La presse turque a évoqué jeudi l'ouverture de la base aérienne
d'Incirlik (sud) aux avions de la coalition internationale qui
intervient en Syrie et en Irak. Pour la deuxième journée consécutive, la
police turque a été victime jeudi d'une nouvelle attaque, sur fond
d'agitation au sein de la communauté kurde de Turquie. Un agent des
forces de l'ordre a été tué et un autre sérieusement blessé par des
inconnus qui ont ouvert le feu sur eux en pleine rue à Diyarbakir, la
grande ville à majorité kurde du sud-est de la Turquie, a-t-on appris de
sources policières et hospitalière.
"Action punitive"Cette action n'a pas été
immédiatement revendiquée. La veille, les rebelles du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK) ont revendiqué l'exécution de deux
policiers à Ceylanpinar (sud), la frontière syrienne. Le gouvernement
turc a rendu hommage jeudi à ses deux "martyrs". "Personne ne plongera
ce pays dans la terreur en employant des moyens barbares, abominables et
haineux", a promis lors d'une cérémonie le ministre de l'Intérieur,
Sebahattin Öztürk.
L'opération du PKK, présentée comme une "action punitive" après
l'attaque qui a frappé Suruç (sud) lundi, a ravivé les risques de
débordement en Turquie de la guerre qui oppose les milices Kurdes aux
jihadistes sur le sol syrien. Une organisation proche des rebelles
kurdes de Turquie a ainsi affirmé sur son site internet avoir tué mardi
soir à Istanbul un commerçant présenté comme un membre du groupe EI.
"Les meurtriers de Suruç rendront des comptes", a écrit le Mouvement de
la jeunesse patriotique révolutionnaire (YDG-H).
Cet attentat de
Suruç, qui a fait 32 morts et une centaine de blessés, a visé un groupe
de jeunes militants de gauche partisans de la cause kurde qui
souhaitaient participer à la reconstruction à Kobané. Cette ville
syrienne a été détruite par quatre mois d'intenses combats qui se sont
soldés par la victoire des Kurdes sur l'EI.
Depuis l'attaque, le gouvernement islamo-conservateur turc est la
cible de nombreuses critiques. Ses détracteurs l'accusent de ne pas
avoir pris la juste mesure de la menace jihadiste. D'autres d'avoir
fermé les yeux sur les activités de l'EI sur son sol, principal point de
passage de ses recrues vers la Syrie. Un éditorialiste éminent du
quotidien Milliyet, Kadri Gürsel, a été licencié mercredi pour avoir mis
en cause la responsabilité du président Recep Tayyip Erdogan dans
l'attentat. Ankara a toujours catégoriquement réfuté ces allégations. Le
pouvoir utilisera "tous les moyens pour traquer les auteurs" de
l'attentat, a répété mercredi M. Erdogan.
De nombreux manifestants, notamment kurdes, défilent chaque jours
dans les villes du pays pour dénoncer la politique syrienne de M.
Erdogan. Le principal parti kurde de Turquie a appelé à un grand
rassemblement dimanche à Istanbul.
La Turquie est jusque-là
restée l'arme au pied face à l'EI. Elle a refusé d'intervenir en soutien
des milices kurdes de Syrie, par crainte de voir se constituer une
région autonome hostile dans le nord du pays. Cette décision avait
provoqué de violentes émeutes en Turquie pendant la bataille de Kobané
en octobre.
Source : Lorientlejour