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Luis Sépulveda : L'ombre de ce que nous avons été

Par Gangoueus @lareus

Luis Sépulveda : L'ombre de ce que nous avons été

Copyright Denis Mordzinski

Le romancier chilien Luis Sepulveda est un auteur que j’apprécie particulièrement. Tous les deux ans, je lis un de ces textes souvent courts dont il a le secret. De lui, j’ai lu le fabuleux roman Le vieux qui lisait des romans d’amour, et également Le neveu d’Amérique ou encore Le journal d’un tueur sentimental. J’ai rarement été déçu par ce romancier et nouvelliste qui, tout en travaillant au corps ses personnages, nous rend de la manière la plus simple et brève possible des séquences de vies suffisamment élaborées pour nous connecter à ceux-ci. En même temps, son propos est toujours au service d’une description de plus générale des sociétés qui alimentent son imaginaire. C’est ainsi qu’on peut y voir des thèmes de l’écologie et de la disparition des peuples de l’Amazonie.
Ce livre m’a été offert dans le cadre d’un pot de départ. Je vous en ai parlé, il y a quelques mois. J’avoue que vu le rythme de mes activités, certaines contraintes de lecture, je suis heureux de cette nouvelle excursion littéraire à Santiago du Chili. Pour y retrouver une bande de vieux anarchistes. Dans le monde globalisé dans lequel nous évoluons, beaucoup pourrait penser que c’est une race en voie d’extinction. Et Sepulvéda pourrait d’une certaine manière renforcer cette idée convenue. Ici, il aborde, par une forme nostalgique, cette gauche de la gauche, l’extrême gauche chilienne par le prisme de ses anciens qui ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils ont été. Ce livre pourrait pratiquement être décrit comme une messe de requiem d’un mouvement qui a connu à la fois ses beaux jours au Chili et qui a surtout violemment réprimé après l’assassinat de Salvador Allendé. Quels ont été les parcours respectifs de quatre figures de ces mouvements qu’un facilitateur s’est proposé de rassembler pour  un dernier coup d’éclat? Un dernier casse pour clore une boucle que trois anarchistes espagnols avec un compagne d’armes chilien ont ouvertes en réalisant le premier grand hold-up en 1925?
Par une structure de narration faite de ruptures, de flashbacks, de zoom sur personnages, Sepulvéda, nous parle de ces vieux qui se retrouvent après tant d'années, sinon des décennies sans s’être revus. Et pour cause. Beaucoup d’entre eux ont dû s’exiler. Vivre loin du Chili, longtemps, en nourrissant des rêves de retour dans leurs terres d’origine. Un retour pensé, idéalisé, réalisé. Ceux qui n’ont pas réussi à fuir, ont subi dans leur chair toute la prédation et la férocité du système Pinochet. Du dehors comme du dedans, ce sont des hommes marqués par le poids de l’histoire et d’une vie qui aurait pu être différente. Il y a aussi ceux qui n’ont jamais cessé de combattre sous des formes multiples, attachés à un idéal transmis, portant un héritage dont ils ne sépareraient qu’une fois la mort épousant leurs volontés. Mais naturellement, avec Luis Sépùlvéda les choses ne se déroulent pas aussi simplement, ce qui donne toute la saveur à ses oeuvres.
Le corps sans vie du Spécialiste est trouvé dans une rue de Santiago, alors qu’il se rendait à ces retrouvailles. La police s’immisce dans tout cela par le biais d’un inspecteur qui en a vu d’autres et qui identifie le cadavre…
Sepulveda comme d’habitude a le don de parler simplement des choses, d’un mouvement, d’un pan de l’histoire de son pays qui ne sera plus. Si la nostalgie constitue le socle de ce roman, l’idéal de justice face à la dictature militaire en est également une composante forte. En rajoutant l’expérience douloureuse de l’exil et du retour au bercail après des décennies d’absence, ce sont des êtres en quête de repères nouveaux. Mais, là où je ne m’attendais pas à rencontrer Luis Sepulveda, c’est dans sa contestation du libre arbitre. Si la liberté absolue pour certains réside dans le choix d’arrêter de vivre au timing voulu, quelle offense n’est pas moins absolue d’offrir au hasard, à la providence de s’immiscer dans l’orientation suicidaire d’un anarchiste. Comprendra qui lira.
Luis SepùlvedaL'ombre de ce que nous avons été

Editions du Métailié,  Collections Points 2011

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