"A la Mairie de Paris, on adore jargonner, surtout pour ne rien dire. Dernier fait d'arme, proposer rien moins ce que sera…. la bibliothèque du futur ! Bibliothèque qui sera installée sous le fameux toit à 300 millions d’euros, la Canopée, du Forum des Halles, d'où son nom. Nos élus, qui ne jurent plus que par le concept de smart city ont décidé faire de cette nouvelle médiathèque un laboratoire d’expérimentations de cultures urbaines. Voici cet équipement du futur tel que le décrit officiellement la municipalité. Verbatim façon 4G...
Et ça commence fort : « cette bibliothèque doit articuler une dimension métropolitaine car située dans le forum des halles, par où transitent chaque jour plusieurs centaines de milliers de personnes » est-il annoncé d'emblée. Ben oui quoi, « Forum des halles », plus « RER », plus « plusieurs centaines de milliers de personnes » égalent « métropole ». Avec ça plus besoin de Grand Paris. Mais la mairie, lancée tel un RER (de la ligne A) à pleine vitesse, ne s'arrête pas là.
« La bibliothèque vise à répondre aux demandes et usages d’un public de jeunes adultes (« Génération Y » ou « Digital natives ») avec une activité d’animation importante (actions culturelles mais aussi ateliers divers liés au numérique), une salle modulable selon les besoins et une animation de communauté sur Internet. » Ouarf ! Trop fort des « digital natives » ! Chacun sait que lorsqu’on n’a rien à dire mieux vaut le faire en anglais. Il est vrai que la vacuité du propos pourrait être démasquée.
C'est donc de manière on ne peut plus indeed que la ville dégaine son fumeux projet. « La bibliothèque, de manière générale, offrira des collections d’actualité, avec un fort taux de renouvellement et selon une présentation favorisant la découverte et la lecture confortable et détendue. Ah les joies de la « découverte et de la lecture », mais attention hein, dans le « confort et la détente». Pour ne pas effrayer les digital natives qui auraient l’idée (saugrenue) d’entrer dans une bibliothèque ? Sans doute si l'on croit ce qui suit.
Car pour éviter probablemement tout mouvement de panique, la mairie a décidé de favoriser uniquement « les collections d’actualité » lesquelles devenues très vite bio-dégradables auront nécéssairement « un fort taux de renouvellement ». Ainsi pour notre municipalité, la génération Y ne doit surtout pas être entourée de trop de références culturelles qui pourraient s’avérer trop poussiéreuses au moment de se connecter.
Et puis voilà que l'on on rentre dans le dur. « Compte tenu de son environnement la bibliothèque est fondée sur la cohabitation des publics et des espaces, « espaces froids » pour les publics en quête de silence et « espaces chauds » plus conviviaux. » expertisent nos spécialistes soudainement transformés en professionnels de la cohabitation climatique. Promis, on invente rien. De quoi faire palir le GIEC.
Quoique espace froid et espace chaud ne serait ce pas une critique, certes codée, mais néanmoins virulente ? En effet, évoquer des espaces froids et espaces chauds dans une bibliothèque, c’est jeter immanquablement une pierre dans le jardin municipal. Chacun se souvient de la fermeture de plusieurs établissements chaque hiver à cause du manque de chauffage. Quand vient l'été en revanche, ils sont, cette fois, contraints de fermer pour cause de canicule. On reconnaît là l’esprit taquin de nos promoteurs numériques.
Mais l'espace chaud, nous direz-vous, qu’est ce que c’est ? Bon, comme ils disent que « compte tenu de son environnement », (mais lequel ?) il faut des « espaces plus conviviaux ». En fait un endroit où on peut manger, boire, discuter et même, audace suprême, téléphoner ! Il était même question de baptiser cet espace « une agora », mais nos animateurs métropolitains ont préféré attendre. L’empilement des concepts risquait de tout faire s’écrouler.
Bon, le problème avec tout ça, c’est que toute une partie du public sera exclue de cette bibliothèque du futur. Tout le monde n’est pas forcément à la recherche de « document d’actualité » même avec « un fort taux de renouvellement ». La majorité des usagers n’est pas non plus forcément disposée à rejoindre « une animation de communauté sur Internet ». Le lecteur qui ne se reconnaît pas dans ce concept creux de « génération Y » devra bientôt arpenter la cité en quête de livres.
Il lui suffira alors de marcher beaucoup (ou d’enfourcher un Vélib ?) en remerciant nos bienfaiteurs municipaux soucieux de lui permettre de faire de l’exercice. La Mairie de Paris claironnait pourtant il y a quelques années « qu’elle aimait l’égalité ». Hummm !!! Pour les moins de trente ans seulement ?
Pour le personnel, le jargon n'en est pas moins là aussi redoutable si l'on en croit les fiches de poste rédigées par l'administration : L’équipe fonctionnera en groupes-projet rassemblant des agents de différents pôles sur des sujets transversaux pour une meilleure cohésion et un fonctionnement plus créatif....
Mieux, elle propose un poste de chargé de l’animation des communautés et de la communication. Un poste proposé pour un agent ...de catégorie C ! Le grade le plus bas de la fonction publique. Comme quoi, on peut être moderne et être (très) près de ses sous pour mieux exploiter, c'est bien le mot, des compétences en principe dévolues à des personnels de catégorie B. Toutefois, l'agent de catégorie C ne pourra pas se prendre pour le chef car il sera placé sous l’autorité du responsable de pôle « développement créatif ». Ouf !
Il est peut être temps que la Mairie de Paris retrouve le sens commun et fasse la promotion d’une lecture publique de qualité et de proximité pour tous les publics et pas seulement une prétendue clientèle aussi jeune et moderne soit elle.
Nos élus devraient cesser de souffler le chaud et le froid sur les bibliothèques parisiennes, alors qu’elles sont appréciées de tous, non seulement des parisiens mais aussi des banlieusards qui travaillent dans la capitale. Même si malheureusement ces derniers ont désormais beaucoup plus de mal à fréquenter les bibliothèques, celles ci étant de moins en mois ouvertes à l'heure du déjeuner pour cause de diminution des horaires d'ouvertures.
En fait, le véritable réseau du futur devrait être composé de bibliothèques dotées de budgets suffisants et équitablement réparties sur le territoire parisien."
Lire aussi ICI.