Tenebræ
Il est des ténèbres que je ne peux respirer
Ce sont des ténèbres peuplées, pâteuses
Et je fuis ces nuits-là.
Je m’endors en fraîcheur et j’attends
les ténèbres que l’on peut palper aux joues
ténèbres qui vibrent dans les flocons de neige
immenses et pures.
Je veux patiner sur le disque de la lune
que l’hiver a poli en bleu
Je tâte
les ténèbres qui enveloppent les voix dans leurs doigts de laine
ténèbres qui réveillent
les essaims d’odeurs en étincelles de désir
Je veux seulement de mes pupilles chercher les points de lumière disparus,
de mes pupilles qu’élargit la nuit
(p. 11)
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Chemin de fer
J’avançais dans le Johannes Brahms le long de l’Elbe
et dans le fleuve couleur café au lait fumaient les bois, cheveux vivants de la Bohème
jeunes forêts comme des rhubarbes, elles se rappellent, elle regardent
embrument les fenêtres du train
Je suis arbre, tout cela est gravé
en ma poitrine comme un vieux conte slave.
En germano-tchèque rocailleux un garçon en tablier
offre du café et exprime ses regrets
Je ne peux jamais être partie d’eux. J’avance le long du rideau
et l’acier a entaillé le mur entre nous
Ce n’est qu’en opérant ces blessures que je pourrais venir vers eux.
(p. 26)
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Épilogue
J’ai traversé l’Europe
ses odeurs sont monuments dans la pénombre de juillet
La terre est pleine d’odeurs épaisses,
de partout surgissent de puissantes surfaces, humus feuilles toits marchés
continent tout vibrant de parfums ;
Les odeurs moussent dans l’espace aérien, en cours généreux
ouvrent en chaleur les rides massivement fines
myrte fenouil librairie calcaire savons vertes fontaines
palais d’arômes,
je de souvenirs.
(p. 61)
Auli Särkiö, Sarmatie, traduction d’Yves Avril, 64 p., 15€, L’Atelier du Grand Tétras.
Sur le site de l’éditeur
Bio-bibliographie d’Auli Särkiö
Dos du livre
« Qu’est-ce qui explique l’enthousiasme qui a accueilli la sortie de “Sarmatie“, le recueil de poèmes d’Auli Särkiö, et la fascination qui s’en dégage ? – Sans doute l’empreinte poétique et l’écho du “Kalevala“ dans la traduction de Rebourcet, l’homme qui a su nous transmettre la “Geste des Anciens Finnois“ et la magnifier en langue française – L’enchantement lointain du “kantélé“, ce psaltérion que le “Kalevala“ dit fabriqué à partir des os d’un brochet géant échoué au fond de la Baltique – Plus sûrement, les raffinements de la nostalgie rhénane, métabolisés par la poétesse lors d’une enfance passée à Heidelberg ; mais également les frissons sensuels du français et de sa sobre élégance ; une fascination pour les Princes-Faucon de l’Ancienne Pologne et, sans doute, par porosité linguistique, l’ontologie du Finnois, cette langue agglutinante où tous les ordonnancements sont possibles dans la phrase et où l’on peut jouer avec le suspens du sens... – Le tout présenté de façon que les ellipses, les syncopes, les inversions, les absences dictent à l’âme du lecteur une danse rituelle en l’honneur du Sampo, le Graal des hyperboréens, éclat de l’harmonie divine laissée en héritage aux humains, dans un environnement forcément cruel... »
Mario Morisi
ndlr : merci au site Terres de Femmes qui m’a signalé ce livre lors du Marché de la Poésie.