Après la seconde guerre mondiale, quelques esprits éclairés, parmi lesquels Jean Monnet et Robert Schuman, entreprirent d’œuvrer à la construction d’une Europe unie autour de six pays fondateurs. Un premier écueil surgit avec le refus d’une Communauté européenne de défense, destinée à permettre le réarmement de l’Allemagne dans un cadre européen. Les premières réalisations facilitèrent la reconstruction de pays détruits par la guerre et cette Communauté européenne à six exerça un pouvoir d’attraction sur d’autres États. Elle fut bientôt rejointe d’abord par la Grande-Bretagne, le Danemark et l’Irlande, puis par la Grèce et ensuite par l’Espagne et le Portugal. L’écroulement du communisme soviétique libéra ses pays satellites dont certains se hâtèrent de rejoindre l’Union européenne pour mieux se séparer de leurs anciens maîtres, sans faire leurs les valeurs des pays plus occidentaux. L’Histoire a fait que cette Europe s’est étendue avant de fortifier ses racines.
L’Europe en formation avait adopté un drapeau constellé de douze étoiles d’or disposées en cercle sur fond bleu, un hymne reprenant l’ode à la joie de la Neuvième symphonie de Beethoven et les passeports de tous ces pays arborent sur leur couverture la mention Union européenne. On voulut aller plus loin en créant une monnaie unique. Une monnaie commune, facilitant les échanges entre pays membres mais laissant subsister à ses côtés les monnaies nationales, aurait peut-être permis la même avancée symbolique mais l’Union avait opté pour la monnaie unique. Je m’étais trouvé en février 2002 aux États-Unis pour un séminaire professionnel et je me souviens de la fierté avec laquelle, nous autres Européens, avions exhibé devant nos collègues américains nos pièces toutes neuves. Ils étaient tout ébahis de voir des gens, incapables de parler comme eux une seule et même langue, disposer d’une monnaie unique. Dans le même temps, en abandonnant hymne et drapeau, symboles d’un État uni, on freinait toute avancée fédérale.
Les créateurs de cette Union monétaire n’avaient omis qu’un léger détail : battre monnaie, c’est le premier acte de souveraineté d’un pouvoir naissant. On peut réfléchir quelque temps à une politique monétaire mais, la décision prise, son application doit être brutale. On ne peut se permettre d’attendre d’avoir consulté une foultitude d’instances et d’avoir obtenu un accord unanime pour agir.
La Constitution rejetée en 2005 remplaçait cette règle de l’unanimité, déjà contraignante à douze, stérilisante à dix-huit et inapplicable à vingt-huit, par la recherche d’une majorité qualifiée combinant des seuils à franchir quant au nombre d’États favorables et au total des populations de ces mêmes États. Ceci faisait perdre à chaque État le droit de veto qu’actuellement il peut opposer à toute décision. Apparemment, nous ne sommes pas prêts à abandonner notre souveraineté. Nous sommes pour la démocratie mais seulement dans la mesure où les décisions retenues nous agréent. En réalité, on ne peut s’affirmer démocrate que si l’on est prêt à se trouver minoritaire et à l’accepter. Tant que les pays qui composent cette union ne seront pas prêts à des abandons de souveraineté, elle risquera de demeurer ingouvernable.