Pour de nombreux chercheurs, penseurs et entrepreneurs, l’avenir de la mobilité ne repose pas sur le véhicule individuel, mais sur un écosystème de taxis autonomes et électriques.
Nous avons montré auparavant le potentiel que recelait l’usage des données pour améliorer la mobilité dans la ville du futur. Tâchons désormais de cerner les caractéristiques potentielles du véhicule de demain.Il y a une soixante d’années, l’auteur de science-fiction Isaac Asimov, imaginant le véhicule du XXIe siècle, faisait l’assertion suivante : « Beaucoup d'efforts seront mis dans la conception de véhicules avec "robot-cerveau" — des véhicules qui peuvent être paramétrés pour des destinations particulières et qui s'y rendront ensuite sans l'interférence des réflexes lents d'un conducteur humain. ». Si nous n’en sommes pas encore tout à fait là, l’avènement de la voiture autonome semble se profiler davantage de jour en jour. Il y a peu, une étude du cabinet de conseil McKinsey prévoyait l’adoption massive de cette dernière d’ici 2050.
Elon Musk, le visionnaire patron de Tesla, affirme quant à lui que son entreprise commercialisera des véhicules autonomes dans les cinq prochaines années. Les géants Google et Uber se sont également lancés sur ce marché. Ce dernier a récemment effectué un partenariat avec la Carnegie Mellon University pour, entre autres, mener des recherches dans le domaine des véhicules autonomes. Des prototypes sont ainsi apparus dans les rues de Pittsburgh en mai dernier. Les Google Cars ont également commencé à sillonner les routes californiennes, avec des résultats plutôt concluants. Ryan Chin, directeur général du City Science Initiative au MIT Media Lab, expert dans le domaine de la smart city et de la mobilité, affirme quant à lui que « le véhicule du futur sera partagé, électrique et autonome ».
Et pour une efficacité maximale, il faut concevoir un écosystème où ces véhicules remplaceront totalement ceux que nous connaissons aujourd’hui, s’imaginer qu’au lieu de se mettre au volant de sa voiture pour se rendre au bureau, l’homme du futur pianotera sur son application smartphone avant de sauter dans l’un des nombreux taxis autonomes et électriques qui sillonneront la ville en permanence.
Le partage des données entre véhicules permettrait une circulation optimale en milieu urbain.
Un écosystème plus efficace, plus sûr et plus durable
La supériorité de ce type de véhicule est en effet pour lui incontestable, dans la mesure où il constitue une alternative plus efficace, plus sûre et plus écologique à la voiture à essence individuelle. Plus efficace d’abord car l’absence de chauffeur permet au véhicule de ne jamais faire de pause. À supposer que l’on ne se déplace plus qu’à bord de ce type de véhicules, on élimine ainsi la nécessité des parkings, qui seraient remplacés par des parcs, des habitations, des hôpitaux, des écoles, des cinémas.… La présence de capteurs intelligents permettrait même aux voitures sans pilote de ne jamais marquer d’arrêt aux intersections : « On peut imaginer des véhicules connectés s’envoyant des notifications les uns aux autres, de sorte qu’en arrivant à une intersection, le véhicule saurait à l’avance que personne ne s’apprête à lui couper la route et pourrait donc passer sans s’arrêter, là où un conducteur humain doit stopper pour prendre le temps de vérifier que personne n’arrive. » Au contraire, si une autre voiture arrive sur la route perpendiculaire, le véhicule la détecte, ralentit son allure pour la laisser passer et traverse sans devoir marquer le pas. En outre, véhicule autonome rime avec gain de temps considérable pour les (anciens) conducteurs, qui au lieu de se concentrer sur la route en profiteraient pour lire, travailler, passer des appels…
Un tel système permettrait également d’avoir un nombre beaucoup plus restreint de véhicules sur les routes, grâce au partage et au fait que ces taxis futuristes circuleraient en permanence, d’où un risque d’embouteillage et d’accident réduits, des émissions de CO2 diminuées de manière drastique, comme le montrait récemment une étude du Lawrence Berkeley National Lab. Des bénéfices également permis par la conduite plus rationnelle des véhicules autonomes : respect pointilleux du code de la route, rythme régulier privilégié à une alternance d’accélérations et de freinages... La préférence pour l’électrique vient du fait que cette énergie peut provenir de sources différentes : « L’électricité provenant d’une source d’énergie renouvelable, comme une éolienne, fonctionne aussi bien que celle fournie par une centrale nucléaire. Tandis qu’une voiture roulant à l’essence est contrainte d’utiliser de l’essence. Ainsi, l’électrique est polyvalent et permet de migrer progressivement vers des énergies propres. » explique Ryan Chin.
Le projet Terrafugia vise la conception de voitures volantes.Des obstacles législatifs
Une ville libérée des embouteillages, du bruit et des accidents, sillonnée de taxis futuristes amenant les habitants à bon port en un clin d’oeil : le tableau semble idyllique. Sans doute parce que cet avenir radieux n’est pas pour tout de suite. De nombreux freins demeurent à l’adoption massive des véhicules autonomes, et en premier lieu l’attitude du public. Ainsi, pour Jeff Greenblatt, à l’origine de l’étude du Lawrence Berkeley National Lab sur les bénéfices écologiques des voitures sans chauffeurs, les avantages ont beau être indéniables, « nous n’avons aucune idée de la manière dont les gens vont réagir.». Il faudra sans doute plusieurs années avant qu’on ne se décide à abandonner la place du conducteur au profit du siège passager. « Les Français aiment la bagnole », affirmait le président Pompidou il y a déjà quelques temps, et les mentalités évoluent moins vite que la technologie.
La législation actuelle ne favorise pas non plus le développement des véhicules sans pilote : « Aujourd’hui, seuls trois ou quatre états américains autorisent la circulation des véhicules autonomes, dans un but expérimental. » explique Ryan Chin. « Aucun état n’autorise leur commercialisation. Ainsi, les constructeurs automobiles investissent sans avoir la certitude que leurs innovations pourront être vendues un jour. Autrement, il y aurait bien plus d’investisseurs. » Jeff Holden, chef de produit chez Uber, affirmait ainsi, dans une interview accordée à Re/code en février dernier, qu’il faudrait « plusieurs années » avant que les véhicules autonomes ne soient prêts à être commercialisés, et que son entreprise poussait ses recherches dans le domaine dans une « stratégie de long terme ». Quant au remplacement intégral des voitures individuelles avec chauffeur par une flotte de taxi autonomes, il semble encore plus lointain… Pour Ryan Chin, il faudrait procéder par expérimentation : « On pourrait imaginer des zones urbaines réservées exclusivement aux véhicules autonomes, au même titre que certaines rues sont réservées aux piétons. On pourrait ainsi observer comment les choses fonctionnent à petite échelle, et si l’expérience s’avère concluante, on aurait des arguments pour étendre les zones réservées à ce type de véhicules. ».
Le MIT conduit pour l’heure ses expérimentations dans une large zone déserte au coeur de la ville de Taipei. Charlie Sorrel, du site Co.Exist, affirme quant à lui que la coexistence des véhicules autonomes et avec chauffeurs sur les routes permettrait de civiliser ces derniers, tout en prouvant la supériorité des premier, préparant ainsi leur avènement massif. En attendant, le MIT travaille également à la conception de… voitures volantes. Le présent n’a jamais semblé aussi proche de la science fiction.