Publié le 20-07-2015
Les agriculteurs en colère, les solutions "à court terme" du gouvernement… Pour l’enseignant-chercheur Marc Dufumier, c’est le moment de réformer la politique agricole européenne.
Manifestation d’agriculteurs devant centre commercial près de Rennes, le 2 juillet 2015. (DAMIEN MEYER/AFP)
Le ministère de l’Agriculture souhaite les recevoir jeudi. Mais c’est sur le terrain que les éleveurs attendent la venue de Stéphane Le Foll. Dans la nuit de dimanche à lundi 20 juillet, les agriculteurs ont manifesté et déversé des tonnes de déchets devant des centres commerciaux en Normandie, en Bretagne et dans les Pays de la Loire.En cause : les prix de vente de la viande, des céréales et du lait qui sont inférieurs aux coûts de production des agriculteurs. Ces derniers demandent donc un partage des marges réalisées par la grande distribution. Partagez vos marges, sauvez nos élevages", demandent les éleveurs en colère qui manifestent depuis dimanche.(CHARLY TRIBALLEAU / AFP)
Le gouvernement a tenté d’apaiser le conflit et a annoncé des mesures. Cinq millions d’euros supplémentaires seront mis à disposition de la Mutualité sociale agricole pour alléger les charges des éleveurs les plus "fragilisés". Stéphane Le Foll s’est aussi engagé à revaloriser les prix de la viande bovine.Pour Marc Dufumier, agronome et professeur émérite à l'AgroParis Tech, la grande distribution n’est qu’un bouc émissaire parmi d’autres. C’est toute la Politique agricole commune (PAC) qui est à revoir. Interview. La colère n'est toujours pas retombée ce lundi matin : des manifestants ont déversé du fumier et des déchets devant...[+] (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)Quelles sont les raisons de la colère des agriculteurs ?- Au cours de ces cinq dernières années, les prix des produits agricoles étaient anormalement élevés. Cette hausse s’explique par une demande internationale accrue. Les gens se sont alors mis à investir et la production agricole a augmenté. C’est là que les prix de la grande et moyenne distribution sont devenus compétitifs. Et très logiquement, ils se sont mis à chuter.Aujourd’hui, deux tiers des agriculteurs ne parviennent pas à obtenir des revenus équivalents au RSA. En plus, ces gens sont endettés. Ils ont emprunté pour acheter du matériel et être compétitifs. Mais ils n'ont pas les moyens de rembourser et vivent dans une angoisse terrible.Dès l'aube, des fermiers ont bloqué l'A84 au niveau de Bretteville-sur-Odon, près de Caen pour obtenir la visite du...[+] (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)Certains reprochent aux agriculteurs d’avoir volontairement pris part à un système qu’ils critiquent aujourd’hui. Que leur répondez-vous ?- Il faut arrêter de chercher des boucs émissaires. Le syndicat majoritaire des agriculteurs [la FNSEA, NDLR] les a poussés à accepter la PAC européenne et donc à industrialiser leur production. Mais les agriculteurs en sont les premières victimes. Ils ont l’impression d’avoir suivi les règles, d’avoir fait ce qu’on leur a demandé. Sauf qu'ils ne peuvent pas être aussi compétitifs que le lait de Nouvelle-Zélande, que le soja brésilien, que les fermes de 1.000 vaches en Allemagne ou en République Tchèque. Ils ont été trompés. Leur syndicat les a trompés sur la PAC.Que pensez-vous des mesures que le gouvernement va mettre en place ? - Ces mesures servent de rustine. Ce n’est que du court terme. Elles permettent de régler un problème conjoncturel et non les difficultés de fond. Le gouvernement empêche seulement des débordements. Il fait en sorte que les agriculteurs n’en viennent pas à brûler des préfectures. Discussion animée avec les agriculteurs en colère au barrage de Bretteville-sur-Odon près de Caen, lundi matin....[+] (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)
Quelles seraient les "solutions alternatives" ?- Il faut valoriser la qualité à la quantité, revenir à une agriculture artisanale. Certes, le rendement va diminuer mais les agriculteurs auront plus de valeur ajoutée, et ce marché est rémunérateur. Pour y parvenir, laPolitique agricole commune doit être réorientée.Plutôt que de verser directement aux agriculteurs français les neuf milliards d’euros de subventions, la PAC pourrait transférer 1,6 milliard à la "restauration collective hors domicile". Par exemple, les cantines d’écoles primaires, de collèges… Pour éviter aux parents de payer plus cher ces produits de meilleure qualité, les subventions serviraient à assumer le surcoût et les circuits courts seraient favorisés. Moins d’importations et plus de productions locales.Autre réorientation possible : donner aux subventions de la PAC un caractère incitatif. Les agriculteurs pourraient être rémunérés pour leurs services environnementaux. Ainsi, un professionnel qui pratique la technique du "zéro labour", et donc qui permet d’éviter les inondations et d’atténuer le réchauffement climatique, sera récompensé par les pays européens pour service rendu. Depuis le petit matin, ce lundi, producteurs de lait et éleveurs ont repris le blocage des accès aux périphérique de...[+] (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)
L’industrie agricole est viable dans d’autres pays européens. Pourquoi Bruxelles accepterait-elle de revoir toute sa politique pour aider la France ?- C’est vrai qu’en Grande-Bretagne ou dans des pays d’Europe de l’Est, beaucoup de grands domaines sont aux mains d’entreprises privées et non d’agriculteurs. Donc ces pays sont très compétitifs et ont intérêt à pratiquer l’agriculture industrielle.Mais la solution proposée est acceptable car les Français renonceraient alors à recevoir des subventions pour les produits bas de gamme. On serait donc sur deux marchés différents. Ainsi, nos agriculteurs exporteraient moins de blé mais davantage de produits du terroir. Or ce sont ces produits français à valeur ajoutée qui s’exportent très bien.
Au lendemain de l'appel de François Hollande à la grande distribution, plusieurs centaines d'éleveurs et...[+] (CHARLY TRIBALLEAU / AFP
L' Obs
Propos recueillis par Juliette Pousson, le lundi 20 juillet 2015http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20150720.OBS2852/marc-dufumier-il-faut-revenir-a-une-agriculture-artisanale.htmlDimanche, éleveurs et producteurs de lait se sont retrouvés à Fontenay-le-Pesnel , près de Caen. Ils dénoncent les...[+] (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)