Passionnante plongée dans les représentations mentales des hommes du Moyen-Âge, avec pour guide Michel Pastoureau, dont j'ai déjà adoré l'histoire de la couleur bleue et celle du cochon. Et il est bien vrai que nous avons bien du mal à nous imaginer dotés de l'outillage intellectuel de cette période si rude, ou la pensée magique prenait souvent le pas sur la connaissance, le plus souvent lacunaire et surtout pour nous, paradoxal ... Un livre court et dense, très facile à lire malgré son érudition, qui intéressera autant les férus d'histoire des civilisations que les couturières.
Nous voici donc confrontés à l'histoire des rayures et des tissus rayés. Nous apprenons que les surfaces, au Moyen-Âge, sont signifiantes. On classifie ansi l'uni, le rayé et le semis auxquels sont conférés des valeurs positives ou négatives spécifiques. Le semé par exemple (fleur de lis, hermines ...) est toujours valorisant, solennel, majestueux, sacré, signe de pouvoir, attribut marial, symbole de fécondité, de souveraineté. A l'opposé, le tacheté sous-entend pustuleux, scrofuleux, bubonique, lépreux, bref, l'antichambre de la mort ...
Le rayé, c'est le passage d'un état à un autre. Le terme "varietas" désigne à la fois la tromperie, la méchanceté, la lèpre. La rayure horizontale est infamante, elle signifie servilité, pare les prostituées, les personnes en marge et même, en héraldique, elle indique la bâtardise. Parfois, la rayure indique seulement l'ambivalence, l'ambiguïté : le vêtement rayé est attribué à Caïn, Judas, et même à Joseph car croire en la conception naturelle de Jésus est une hérésie. La rayure est donc considérée comme transgression de l'ordre social. Elle distingue le maître du valet, le bourreau des victimes, les fous des sains d'esprit, les damnés des élus.
Jusqu'à l'explosion de la mode des rayures au XVIIIème siècle. Buffon réhabilite alors le zèbre comme "le quadrupède le plus élégamment vêtu" ... et les 13 colonies insurgées de l'Amérique donnent le ton avec leurs "stripes". Cela devient une folie, aussi bien dans le textile, la décoration, le vêtement. Le statut visuel et culturel de la rayure se transforme radicalement pour évoquer la liberté et les idées nouvelles. La jeunesse, l'esprit sportif, le bord de mer comme la rayure horizontale des tricots de marins, la rayure devient chic.
Sauf pour de notables exceptions qui forment autant de rémanences : si aujourd'hui le banquier et le malfrat portent tous deux des costumes à rayures, ce ne sont pas du tout les mêmes. Au XIXème siècle, le costume rayé des bagnards a pour origine les colonies pénitentiaires américaines, il sera repris comme marque d'infamie pour les déportés victimes du nazisme.
La rayure joue le rôle de trompe-l'oeil, de mise en garde. Elle montre et cache à la fois, elle filtre entre interdiction et perméabilité : en signalisation routière, elle signale une barrière que l'on peut éventuellement franchir mais avec précautions.
La rayure est donc une marque culturelle, si rarement présente dans la nature (à part le tigre et le zèbre). Michel Pastoureau nous en instille toutes les différentes interprétations ... Difficile de regarder désormais une surface rayée sans y penser. Et pour moi, une explication historique de ma préférence pour les étoffes à semis comme le Liberty !
L'étoffe du diable, une histoires des rayures et des tissus rayés ar Michel Pastoureau chez Points histoire, 186 p., 7,80€