« Je marchais le long de la rue et je me suis retourné pour voir si elle était toujours là. J’ai pensé qu’elle attendait que j’entre dans le café et qu’elle disparaîtrait comme les autres.
Le café ne portait pas de nom, mais sur sa façade une marque de bière belge. Je suis entré. Au fond de la petite salle, quelques tables où déjeunaient les clients.
Derrière le comptoir se tenait un homme grand, brun, au nez un peu écrasé et au costume bleu marine qui téléphonait. J’attendais. Un serveur en veste grenat s’est dirigé vers moi.
— Un quart Vittel.
La conversation téléphonique se prolongeait. L’homme écoutait son interlocuteur et répondait de temps en temps par un « oui… oui… d’accord…» ou par un bref murmure d’assentiment. Il avait coincé le combiné entre son épaule et sa joue pour allumer une cigarette et son regard s’était posé sur moi, mais je ne savais pas s’il me voyait. Il a raccroché. »
Patrick Modiano, Un cirque passe, Gallimard ed, p.118, 1992