Ô magnificence! quand tu nous tiens par le bout de tes paysages… Ce samedi 18 juillet, entre Rodez et Mende (178,5 km), le chronicoeur a traversé l’Aveyron et la Lozère de part en part, jugeant, à l’aune de son plaisir renouvelé, l’extraordinaire beauté d’un panorama poétique à plus d’un titre. Au petit matin, avant de rejoindre le village-départ, ce fut d’abord une brève escale à Bozouls pour y découvrir son fameux « Trou », un canyon monumental jadis classé parmi les sept merveilles du Rouergue. Comme une lente ambition de mise à distance, certes éphémère, mais où nous pouvions recentrer ce qui nous avait semblé s’être dispersé, un silence de grâce se fit devant ce cirque naturel en forme de fer à cheval, creusé dans les calcaires secondaires du Causse Comtal au fond desquels coule paisiblement un mince torrent, si délicat que nous l’apercevions à peine du haut d’un belvédère impressionnant. A 500 mètre d’altitude, le village se niche des deux côtés de ce site géologique improbable. La partie historique, réputée pour son incomparable position de défense, avec son église romane du XIIe siècle, bâtie par des premiers de cordée du christianisme à la pointe du promontoire. Puis la partie moderne, d’où le tableau prêtait à la rêverie, à la méditation bien méritée après quinze jours de Tour à user les pneus d’une automobile en surchauffe.
Nous n’avions encore rien vu. Cette quatorzième étape – taillée pour des yeux bleus de romance au féminin – ne manquait ni de relief ni de beauté, de quoi s’affranchir des banalités. Du lac de Pareloup, avec ses bras tentaculaires qui enserrent les routes et les hommes, au viaduc de Millau, où tous les suiveurs, ou presque, observèrent une pause de vertige à l’envers (du bas vers les cieux), nous ne savions plus où donner de la tête. Ce fut d’ailleurs dans la traversée de Millau (km 78,5) que l’échappée décisive du jour se forma. Vingt coureurs comptèrent jusqu’à huit minutes d’avance sur le gros du peloton, essentiellement sous l'impulsion de l'équipe FDJ, la plus représentée avec Matthieu Ladagnous, Thibaut Pinot et Jérémy Roy. Cette troupe de courageux traversa alors les sublimes gorges du Tarn, ses lacets entremêlés, ses ruisseaux, ses cascades, ses rochers, ses tunnels, ses escarpements si bruts que les pas de l’homme s’y font modestes. C’était une sorte d’apothéose topographique dans le déroulé génial d’une course cycliste cherchant son second souffle – et pourquoi pas un nouveau regard sur elle-même.
Le profil réservait une autre surprise de taille. Surtout pour les coureurs cette fois. L’arrivée, jugée à Mende comme en 1995, année où un certain Laurent Jalabert avait signé l’un de ses plus spectaculaires exploits, se trouvait non pas dans la ville mais sur ses sommets, à même le tarmac de l’aérodrome, juste après la terrible côte de la Croix Neuve (3 km à 10%). Les derniers rescapés de notre échappée matinale s’y éprouvèrent. Longtemps, nous crûmes en la victoire d’un Français, que ce soit Romain Bardet (AG2R) ou Thibault Pinot (FdJ), l’un et l’autre ressuscités des Pyrénées et engagés cette fois dans un mano a mano spectaculaire dans la montée finale. Hélas, le Britannique Stephen Cummings (MTN-Qhubeka), accroché à leurs basques, vint les surprendre dans l’ultime kilomètre. Cette année, il manquait à nos deux Français un prestige, une marque. Nous ne vîmes sur les visages de nos héros tricolores du Tour 2013 qu’une expression de contrition affectée.
Dans cette ascension terminale, il y eut même de quoi légèrement rehausser le récit. Chris Froome (Sky) fut en effet mis à l'épreuve par le Colombien Nairo Quintana. Le porteur du maillot jaune dut puiser dans ses réserves pour ne pas laisser filer quelques secondes à l’attaquant colombien, qui, du coup, récupéra la deuxième place du classement général aux dépens de l'Américain Tejay van Garderen (BMC), à la peine dans cette maudite bosse lozérienne. C’était l’heure, pour le chronicoeur, de prendre encore l’air et de contempler alentour des corridors de mélèzes enserrant un vaste plateau balayé par les vents du sud. Ne l’oublions jamais: tout est possible sur les routes de Juillet. Avec l’arrivée de François Hollande sur l’étape, la pluie nous était annoncée. De sombres prévisions nous avaient même été communiquées au petit matin, «des orages» et «des averses violentes sur Mende». Nous pensions revivre l’épisode chaotique du plateau de Beille… Seulement voilà, le ciel resta clément, il ne plut pas et nous pouvons même écrire que derrière des nuages crémeux, un soleil protecteur nous réchauffa les cœurs, qui n’en avaient pourtant pas besoin après semblable journée. Les miracles du Tour.