"Diktat", "Traité de Versailles", "annexion", "viol", "politique coloniale", on ne compte plus les qualificatifs qui ont accompagné la signature d'un accord sur la Grèce dimanche dernier. La reddition est sans doute totale, mais il est trop pour savoir si la république hellénique est déjà de Weimar. Une chose est sûre, la déconstruction européenne a commencé. Et les nazis d'Aube Dorée peuvent espérer un joli score au prochain scrutin grec.
Cette semaine a eu son lot de victimes de l'actualité effarante qui occupe nos chroniques d'une crise qui s'éternise.
Nicolas Sarkozy s'est ridiculisé.
L'ancien monarque n'a rien vu, rien compris. Et il s'est laissé débordé par son egocentrisme hors normes. Dimanche, alors que les dirigeants européens négociaient durement à Bruxelles, lui aussi est parti sur place pour un contre-sommet conservateur. Il a exhorté Hollande d'avancer vers un compromis. La démarche fut moquée jusque dans ces rangs. Sarkozy ne supporte pas ne pas avoir le pouvoir au point qu'il en déclenche des troubles du comportement de la sorte. L'ancien monarque, absent des affaires hormis les siennes depuis plus de trois ans, n'est pas regretté dans les instances européennes. On se souvient qu'il fut aux commandes du pays quand notre dette s'envola de quelque 500 milliards et que les trois premiers et inefficaces plans d'aide à la Grèce furent adoptés.
Sarkozy n'est pas aidé par ses proches. Dimanche après-midi, après l'infâme résolution grecque, quand son fidèle Eric Woerth, ancien ministre du budget et époux de la conseillère financière de Liliane Bettencourt, déclara que "l'appel de Sarkozy n'était pas resté lettre morte" , on ne savait plus s'il fallait rire ou pleurer. Jeudi matin, trop tôt sans doute pour un mois de juillet, Nadine Morano ne fait pas mieux, et sombre à son tour en comparant Tsipras à Marine Le Pen: "Monsieur Tsipras, c’est Marine Le Pen au masculin".
Le problème de Sarkozy a toujours été ... Sarkozy. Cette semaine, l'ancien monarque a clos cette effroyable séquence de com' par une ... autre séquence de com', encore plus ridicule. Dans les colonnes du Parisien, Sarkozy applaudit le dopé Lance Amstrong et prend la pose sur son vélo. On ne sait plus s'il pédale encore sur celui offert par Martine Aubry. Mercredi, alors que le gouvernement venait de se féliciter d'avoir déjoué un projet d'attentat, et arrêté quatre suspects qui projetaient de kidnapper puis décapiter un haut gradé, l'ancien patron de la police nationale devenu directeur général des Républicains (sic!), Frédéric Péchenard, accusait Hollande de "communication politique". Personne, sauf peut-être Frédéric Péchenard lui-même, n'a oublié comment ni combien il a lui-même instrumentalisé sa fonction au service de la carrière de l'ancien monarque.
Cette séquence grecque a fait d'autres victimes. François Hollande pensait gagner ses galons de maréchal européen. On retiendra qu'il a accompagné une reddition. La semaine passée, ces proches ont cru qu'il sortirait grandi. Son job d'infirmier de l'Europe n'a fait que commencer, si tant est qu'il puisse l'assumer.
L'Europe s'est abîmée, gravement, durement, et pour longtemps.
Alexis Tsipras a perdu son bras de fer avec les créanciers européens. Certains n'ont pas encore réalisé le dommage. C'est bien l'Europe qui est en cause, et en vrac. Même le FMI, si souvent décrié pour son absence de compréhension populaire, s'est inquiété ces 6 derniers mois de la dureté des positions de l'euro-group dirigé par l'Allemagne. Dans un énième rapport publié cette semaine, le 14 juillet, le FMI réclamait encore un allègement de la dette publique grecque via l'abandon de créances: "La dette de la Grèce ne peut désormais être viable qu'avec des mesures d'allègement de la dette qui vont beaucoup plus loin que ce que l'Europe a envisagé de faire jusque-là".
Pourtant, les dirigeants de l'eurogroup n'ont eu cure de ces alertes qu'ils connaissaient bien sûr. Dix-sept heures durant, le gouvernement grec a négocié, puis plié. Tsipras n'avait ni le mandat ni la volonté d'abandonner l'euro. Il fut aidé par François Hollande pour éviter ce Grexit précipité. La BCE, ce 20 juillet, allait couper les vivres, c'est-à-dire les financements aux banques grecques. Vendredi l'Union européenne valide en urgence un prêt de 7 milliards d'euros.
Certains ont critiqué Tsipras. L'homme pourtant a reconnu sa capitulation avec une rare franchise. Il a risqué l'explosion de son mouvement, et du remanier son gouvernement dans la semaine. Il y avait mercredi des manifestations contre lui dans les rues d'Athènes. Et plus de 30 députés Syriza ont quitté le mouvement - et on espère leur mandat, puisque le deal de départ était leur solidarité gouvernementale.
"J'assume mes responsabilités pour toute erreur que j'ai pu commettre, j'assume la responsabilité pour un texte auquel je ne crois pas mais je le signe pour éviter tout désastre au pays". Alexis Tsipras
D'autres, plus nombreux, ont fustigé cette gravissime atteinte à la souveraineté d'un pays: "ce n'est en effet pas un accord. C'est un viol, le consentement grec fut obtenu de la manière habituelle dans ces circonstances" a ainsi justement commenté l'économiste James Galbraith. Pour se défendre, l'actuel président du Conseil européen, Donald Dusk a estimé qu'il n'y avait rien "d'humiliant à recevoir quelque 80 milliards d'euros" d'endettement supplémentaire. On croit rêver, ou cauchemarder.
Les mesures qu'il est exigé de la Grèce, toutes libérales qu'elles sont, sont moins scandaleuses que la méthode et le procédé. Car la Grèce n'aura ses 80 milliards d'euros de prêts supplémentaires (pour crever à nouveau tous les plafonds de l'endettement public) qu'à condition de voter d'abord toutes sortes de lois plus ou moins rétrogrades ou symboliques. On appelle cela un Diktat, à juste titre. Dimanche, c'est un "nouveau Traité de Versailles" qui a été imposé aux Grecs. L'expression est de l'ancien ministre des finances, le fameux Varoufakis qui a démissionné au soir de la victoire du NON au référendum grec du 5 juillet. On connaît ce qui a suivi le Traité de Versailles.
Tsipras a fait comprendre, involontairement ou pas, que l'euro n'était plus un projet démocratique.
C'est peut-être un "instrument de domination allemande". Là n'est plus le sujet. La monnaie unique est devenue l'instrument de la répression, de la domination, de l'humiliation. Dans les quelques parlements européens à qui l'on demandait d'approuver l'accord, les soutiens furent rapides et sas souci. En France, à l'Assemblée nationale mercredi, tandis qu'il était demandé aux députés français d'approuver le Diktat grec, Eric Woerth, encore lui, traita Tsipras de menteur. C'était le seul argument qui restait à l'UMP pour se rallier au PS et voter son accord au Diktat européen contre la Grèce. Quelque 412 députés français ont approuvé le texte, contre 69 opposants et 49 abstentions. Parmi les votes "contre", deux députés socialistes (Jean-Pierre Laurent et Christian Hutin), 41 députés UMP-Républicains (dont Henri Guaino, Thierry Mariani, Alain Marsaud, Christian Estrosi, ou Herbé Mariton), trois écologistes (Noël Mamère, Serge Coronado et Isabelle Attard), et les 15 élus du Front de gauche.
Une députée proche de Jean-Pierre Chevènement eut le mot de cette fin provisoire: "le combat du loup et de la chèvre n’est pas de ceux qui peuvent être tranchés par les spectateurs."
Il était finalement urgent d'attendre, de prendre son temps pour comprendre et évaluer la suite. Nos dirigeants sont peut-être des zombies gagnés par un virus austéritaire ou autre. Pour l'heure, les nazis grecs d'Aube Dorée ont toutes leurs chances électorales. Alexis Tsipras évoque des élections anticipées à la fin de l'année. On peur prédire un score à deux chiffres pour les nazis. Et s'ils le réalisent, alors oui, cette république hellénique aura une ressemblance de plus avec son ancêtre allemande de Weimar. Et tout le monde comprendra, trop tard, que la crise grecque est d'abord une faillite européenne.
L'autre incroyable nouvelle de la semaine, qui fit peu de débat en Sarkofrance, était l'accord inespéré sur le nucléaire iranien. L'Iran est devenu fréquentable, grâce à la persévérance de Barack Obama à négocier la fin des sanctions économiques contre un compromis nucléaire. En son temps, Nicolas Sarkozy aussi avait la diplomatie très "nucléariste".
Ami grec, tiens bon.
Crédit illustration: Dozone Parody.