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Le type sait qu’il va mourir, et bientôt. Un de ses potes, à la terrasse d’un café, sur une petite place, lui a dit qu’il (je ne sais qui) était sorti, et qu’il venait se venger, ou en tout cas, quel que soit le motif, le tuer. Ce qui m’étonne c’est qu’il l’accepte, un peu comme s’il acceptait une punition, sans qu’on sache quelle mauvaise action il aurait pu commettre (on ne sait pas grand-chose). Il va donc attendre. Il ne peut pas fuir, je ne sais pas moi, prendre du bon temps en parcourant l’Europe ou quel continent lui chante, parce que s’il partait l’autre ne pourrait pas le trouver, et il préfèrerait qu’il n’ait pas à le chercher mais sonne directement à sa porte en descendant du train. Peut-être que, au fond, il n’attendait que ça, qu’on lui fasse la peau. Mais comment va-t-il occuper le temps qu’il lui reste (combien de temps d’ailleurs ? Impossible de le savoir). Bien sûr il va se débarrasser de son boulot de merde, tout de même il lui reste ça de vie. Peut-être même va-t-il en profiter (qu’a-t-il à perdre ?), pour insulter son patron, lui dire ses quatre vérités ou je ne sais quoi dans ce goût là. Mais ce déballage qu’il veut brutal ne le satisfait pas tant que ça, surtout que l’autre, au lieu de prendre la mine offusquée qu’il aurait aimé le voir prendre, se fout de sa gueule, ou simplement sourit doucement, alors il finit par sortir tout honteux. Ses attaches sont lâches, de toute façon il savait depuis toujours ou presque que l’autre viendrait le buter un jour ou l’autre (comment va-t-il s’y prendre, se demande-t-il parfois ? Peut-être qu’il ne verra rien venir, le moment venu). Heureusement qu’il est seul, comme ça il n’a personne à plaindre de sa propre mort. Il se dit que puisqu’il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre, il va en profiter, prendre du bon temps comme on dit, c’est ce qu’on fait faire dans ces cas-là, paraît-il. Il essaie bien un temps mais ça l’ennuie, et il se sent tout embarrassé de faire semblant d’être un bon vivant. Alors il rentre chez lui, dans son petit appartement, dont il ne paie plus le loyer depuis quelques mois maintenant, et il attend en surfant sur internet, en jouant à un jeu vidéo, et même en lisant un bouquin, même s’il a de plus en plus de mal à se concentrer, et à prendre tout ça au sérieux, il se considère lui-même comme un sorte de mauvaise blague. Il attend donc que l’autre se pointe, qu’on en finisse, peut-être que, pour la forme, il se débattra un peu. Il pense à s’acheter un sabre, c’est trop la classe, mais il ne le fait pas, dissuadé par l’idée qu’il en viendrait sans doute à s’achever lui-même. Ça n’existe pas les gens aussi seul, pense-t-on, alors, quand même, une ou deux personnes, les premiers temps, l’appelleraient pour savoir ce qu’il devient, prendre des nouvelles, mais il n’en a pas vraiment à raconter, il ne peut tout de même pas leur dire qu’il attend le type qui va le tuer pour une raison que lui-même a oublié. Il ne veut pas leur parler, d’ailleurs pourquoi appellent-ils maintenant, après tout ce temps ? Il se ballade un peu dans la ville, quand il fait beau, ce qui arrive. En vérité il commence à trouver le temps long, il s’impatiente, et il n’a plus un rond. Finalement il se dit qu’après tout pourquoi garder cet appartement ? Si ça se trouve il n’a même pas mon adresse, j’aurais dû demander à T. de lui donner, on aurait évité tout cet ennui, tous ces emmerdements, il se débarrasse d’un et les autres attentes à la file devant sa porte. Alors bon il décide de ne plus rien faire et l’étrangeté, il pense radicalité mais barre immédiatement ce terme idiot qui le fait néanmoins rire, de cette décision, montrant du doigt la force et l’impuissance de sa volonté. Impossible de savoir, pour l’instant, s’il attend toujours, s’il a rencontré le grand amour, ou si l’autre est là à le regarder crever.