A l’apparition d’Internet, la Chine a très rapidement compris les intérêts de cette invention mais aussi les dangers pour le système autoritaire. Dès 1997, elle inscrit dans la législation l’interdiction d’utiliser Internet dans le but de porter atteinte à l’unité de la nation, d’encourager la discrimination ethnique, de diffuser des rumeurs ou de promouvoir la violence et le terrorisme.
Aujourd’hui, face à l’émergence des réseaux sociaux et le mécontentement grandissant d’une population ouverte vers l’étranger, la Chine prend des mesures de plus en plus drastiques pour contrôler l’Internet du pays. Le gouvernement chinois ne cache pas son ambition de le contrôler, voire même de développer son système de censure à l’international (axe d’accroissement de puissance n°2).
Avec l’apparition de grandes compagnies telles que Tencent qui regroupe de nombreux réseaux sociaux, il apparait évident que la Chine cherche à empêcher les Etats-Unis d’avoir une trop grande place sur le territoire. Nous parlons souvent du soft power chinois par les instituts Confucius mais dans le domaine du cyberespace, la Chine ne veut pas tant influencer que d’éviter d’être influencée (axe d’accroissement de puissance n°1). Lorsque l’on répertorie les différentes actions du gouvernement sur Internet, tout porte à croire que Pékin souhaite créer un Internet uniquement chinois et contrôlé par les organes spécifiques du PCC.
Contrôle de la société
Il n’est pas méconnu que la Chine pratique la censure des journaux, la propagande et la surveillance des communications afin de garder le contrôle sur sa population. Dès l’avènement d’Internet, le gouvernement central a développé des moyens de surveillance et de contrôle de ce qui peut être publié sur Internet. Cependant, ce n’est qu’en 2013 qu’est révélé au grand public une partie de l’appareil de contrôle de l’Internet, et d’attaque, de la Chine, au travers de l’unité spécialisée 61398. L’utilisation de civils sous-payés est également évoquée pour censurer et publier des messages de propagande sur les forums.
La société harmonieuse chinoise repose sur le contrôle total de tous les pans de la vie civile et dans un monde où l’information circule très rapidement, aucune influence extérieure ne doit venir perturber l’ordre. Lors des émeutes au Xinjiang en 2009, le monde entier s’est aperçu que la Chine était en mesure de priver de communications une région toute entière. La Chine est également le seul pays au monde à avoir inscrit dans sa législation le « crime politique sir Internet », punissant de 3 ans d’emprisonnement toute personne diffusant des informations « calomnieuses » partagées plus de 500 fois ou vues à plus de 5000 occasions sur Internet. De plus, même si un « code » a été adopté pour parler de sujets dits sensibles sur Internet (remplacement de caractères par des homophones pour tromper les robots de la censure), le durcissement de la répression du gouvernement a une influence psychologique sur la société et contraint au silence les médias et les réseaux sociaux chinois. Le mouvement Occupy Central est très peu médiatisé sur l’Internet chinois et les manifestants de Hong Kong parviennent tant bien que mal à communiquer entre eux de façon plus ou moins sécurisée. Firechat, une application française est actuellement utilisée pour communiquer via Bluetooth et non pas sur le réseau Internet, mais elle n’est pas chiffrée et nécessite d’être à 7 mètres de distance maximum de son interlocuteur. Avec les manifestations de Hong Kong sont apparues des applications mobiles permettant de géolocaliser et récupérer les données personnelles des manifestants pro-démocratie.
Les moyens du gouvernement chinois semblent être très importants et permettent aussi bien de protéger et de bloquer le cyberespace chinois que d’attaquer l’extérieur comme laissent penser certains rapports du Pentagone. Il apparait également que le contrôle de l’Internet permet aussi la collecte d’informations à caractères stratégiques. En effet, le Ministère de la Sécurité publique est chargé de l’ordre dans les communications et de la sauvegarde des systèmes informatiques du pays. Ce projet, nommé le « Bouclier d’or », amorcé dès les années 2000 sert à récolter toutes les informations des internautes et permet donc de constituer une base de données très précise sur chaque individu.
Même si une partie de la population chinoise parvient à publier et à relayer des données sur l’état actuel des choses, le nombre d’arrestations au sein du parti et parmi les intellectuels jugés dissidents ne cesse d’augmenter et on ne peut que craindre une montée en puissance du radicalisme du gouvernement central en matière de liberté d’expression et de contrôle des communications Internet, afin de conserver son pouvoir sur la Chine continentale mais
Un outil d’accroissement de puissance à forte valeur ajoutée
La Chine utilise également Internet afin d’accroitre sa puissance sur la scène économique internationale. En effet, de grandes entreprises d’Etat, pour la plupart, ont vu le jour et se sont développées à grande vitesse en utilisant comme vecteur principal la tendance du e-commerce. Lenovo est ainsi le premier constructeur mondial d’ordinateurs et ne cesse d’accroitre son empire en rachetant en 2014 Motorola Mobility. Tencent se situe au quatrième rang mondial des entreprises Internet, comprenant des services e messageries instantanées, WeChat et QQ. Ces plateformes sont utilisées non seulement par les particuliers mais aussi par les marques qui y développent des campagnes de publicité. Parmi les sociétés les plus connues nous comptons Alibaba et Xiaomi qui se sont uniquement développées grâce à l’Internet. Par ailleurs, Xiaomi ne vend ses smartphones qu’en ligne et ses campagnes de publicités ne se font uniquement que sur les réseaux sociaux.
Le développement fulgurant de ces entreprises montre à quel point Internet influence la façon de consommer des chinois. Il est possible de tout acheter sur Alibaba ou encore Taobao, avec un service de livraison rapide et peu couteux en Chine. De plus, le monde entier a maintenant les yeux tournés vers ces géants des nouvelles technologies. En octobre 2014, Laurent Fabius s’est d’ailleurs entretenu avec Ma Yun, dirigeant d’Alibaba, avec comme idée de créer un hub d’implantation dans l’Hexagone pour vendre les produits occidentaux aux consommateurs chinois. Le grand marché chinois et le modèle asiatique en terme de e-commerce semble donc plaire. Les marques souhaitant s’implanter sur le continent doivent également s’adapter aux modes de consommation et de publicité à la chinoise et commencent à développer leur stratégie sur les réseaux sociaux chinois. BMW était parvenue à créer un buzz sur la plateforme de microblogging Weibo en 2010 en utilisant des « influenceurs » chinois et en faisant participer les utilisateurs de la plateforme.
Concernant l’aspect économique des mouvements chinois, le rachat d’IBM par Lenovo en 2005 avait déjà montré la capacité de la Chine à s’approprier des technologies, à les améliorer et ainsi faire devenir Lenovo un incontournable. Sur la même lignée, Alibaba acquiert de plus en plus d’influence auprès des clients occidentaux, Xiaomi est sous les feux des projecteurs aux ETATS-UNISmême s’il n’y commercialisera que des accessoires. Cette montée en puissance de grandes firmes chinoises à l’international ne peut que laisser présager la fin du monopole américain dans le domaine des nouvelles technologies mais aussi de la vente en ligne. La Chine est devenue moins compétitive en termes de coûts par rapport à des pays tels que la Malaisie ou encore l’Indonésie, mais après avoir été l’usine du monde, sa compétitivité technologique s’accroit et sa croissance s’appuie sur le développement de la R&D. La Chine a une réelle volonté d’avoir des acteurs forts dans ce secteur.
Cependant, ces entreprises restent toujours sous la coupe de l’Etat ce qui peut entrainer une certaine méfiance quant à l’accueil de filiales à l’étranger. Nous pouvons nous poser la question également de la viabilité de ces entreprises, notamment suite aux accusations de vente de contrefaçons dans les boutiques des sites Alibaba et Taobao. La campagne anti-corruption allant bon train depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, ce genre d’accusations n’est pas à prendre à la légère.
Au final, le gouvernement central veut créer un microcosme sur l’Internet chinois et cherche même à exporter son système de censure et de propagande comme l’a souligné un officiel du Bureau de l’information devant les délégués étrangers, lors de la Conférence mondiale de l’Internet qui s’est tenue à Wuzhen mi-novembre : « nous devons collaborer à l’établissement d’un système de gouvernance international de l’Internet qui soit pacifique, sûr et ouvert ». Par contre, même si les fleurons chinois de la vente en ligne et des réseaux sociaux jouissent d’une grande popularité en Asie, leur développement à l’international pourrait prendre plus de temps du fait des différences culturelles en termes de marketing et de normes commerciales, mais aussi de la suspicion encore présentes vis-à-vis de tout ce qui vient de Chine et est contrôlé, de près ou de loin, par le Parti.
Elodie Le Gal