Bruxelles (Belgique), envoyé spécial.
Et là, samedi dernier, dans le bâtiment annexe du Conseil européen à Bruxelles, au beau milieu de l’Eurogroupe qui réunit les ministres des Finances de la zone euro, Michel Sapin s’écrie : « Maintenant, on va se dire les choses. » D’après l’officiel français qui raconte la scène, le représentant du gouvernement Valls est exaspéré. Depuis le début de la réunion, les acharnés de l’expulsion de la Grèce de la zone euro (Grexit), Wolfgang Schäuble en tête, appuyé par les Finlandais et les Néerlandais, tiennent le crachoir pour vomir leur hargne antigrecque. « Ce qui était discuté, c’étaient les conditions de l’échec pour conduire la Grèce hors de l’euro, raconte cette source. Les obstacles étaient extrêmement lourds. Les institutions avaient livré une appréciation positive des propositions du gouvernement Tsipras, l’Eurogroupe aurait dû examiner les conditions d’octroi du prêt avec le ministre grec et permettre à la BCE de prendre une décision pour desserrer l’étau sur les banques grecques… Mais tout d’un coup, certains se sont mis à démolir le travail des institutions… Au bout d’un moment, la France s’est levée pour défendre les institutions ! »
Quel rôle la France a-t-elle joué dans le nouveau chantage de grande échelle déployé contre le gouvernement Tsipras à l’Eurogroupe et au sommet de la zone euro ? Selon François Hollande et son ministre Michel Sapin, ses interventions ont permis d’écarter formellement la perspective du Grexit. Ce qui, en soi déjà, est contestable, alors que, depuis deux jours, Wolfgang Schäuble laisse entendre qu’avec les conditions totalement irréalisables imposées au gouvernement, sa solution d’une expulsion de la Grèce demeure sur la table. Mais pour le reste, difficile de déceler une « patte philo-hellénique » française dans le texte final du sommet : en fait, derrière l’exigence maximaliste sur le Grexit ou sur la délocalisation au Luxembourg du fonds rassemblant les actifs publics grecs destinés à la privatisation, Hollande et Sapin ont tout laissé passer et donc, effectivement, ce n’est pas la Grèce que la France a défendue, ce sont bel et bien les institutions !
Avec son sens mordant de la description, Yanis Varoufakis, l’ex-ministre des Finances grec qui, keynésien de choc, a semé le bazar pendant cinq mois dans le cadre néolibéral, de l’Eurogroupe, en témoigne : « Il n’y a que le ministre des Finances français qui a fait entendre une voix différente de celle des Allemands, et cette voix prenait des accents très subtils, raconte-t-il dans un entretien au magazine britannique New Statesman. On pouvait avoir le sentiment qu’il devait utiliser un langage très juridique pour ne pas paraître s’opposer. Mais en dernière analyse, quand le docteur Schäuble répondait et déterminait effectivement la ligne officielle, le ministre des Finances français finissait toujours par plier et par accepter. » Hier matin, à la radio, Michel Sapin a réagi, piqué au vif : « Ce Yanis Varoufakis, il a de la gueule, mais il n’est pas forcément un fin politique. » Il faut dire qu’en saluant, avec insistance, le « courage » d’Alexis Tsipras au moment d’accepter l’« accord avec un pistolet sur la tempe », François Hollande et Michel Sapin démontrent leur colossale finesse politique : ce qu’ils ont l’air d’applaudir en fait, c’est le « courage » de ce qu’ils voient comme une conversion aux dogmes néolibéraux. Eux-mêmes n’ont-ils pas flanché face à Merkel, une fois élus, sur leur promesse de renégociation du pacte budgétaire (TSCG) en 2012 ? Mais entre Alexis Tsipras et eux, il demeurera toujours une grande différence dans la détermination à changer cette Europe qui fonce dans le mur à toute vitesse…