(Dans la grande tradition SSAFTienne, voici l'article d'une nouvelle contributrice, France Thouzé, qui a été stagiaire dans le labo de Taupo. A l'instar de Vran et Semik, faire un stage dans ce labo, ça peut aussi signifier d'être recruté pour écrire des billets de blogs!)
Aujourd’hui, focus sur les dipneustes ! Mais si, ces « poissons » qui ont des poumons ! La bonne blague comme s’il y avait des humains avec des branchies.
Non mais si rappelez-vous, Taupo en a parlé lors de son article sur les poissons amphibies ! Mais cette fois-ci, on plonge un peu plus dans leur rivière.
Les Dipneustes, au même titre que les Cœlacanthes, les lamantins ou les tortues luths, sont des sarcoptérygiens aquatiques, ce qui signifie que, comme nous, leurs nageoires (ok chez nous c’est des bras) s’articulent à l’aide d’un unique os : l’humérus.
Et là, les plus fidèles lecteurs d’entre vous qui avez lu l’article de Patrick Laurenti sur le cœlacanthe, vous vous dites ouais c’est cool mais le plus célèbre des poissons à humérus c’est quand même le Cœlacanthe, donc les Dipneustes on s’en fiche ! Et pourtant ce n’est pas leur seul intérêt ! Loin de là ! Déjà ils sont plus cute qu’un cœlacanthe, la preuve :
Par comparaison, la photo de profil du Cœlacanthe, c’est ça :
Bon ok c’est pas le principal mais quand même ! Ce qui est surtout intéressant avec ces petites bêtes (enfin, min 40cm de long pour un max de 2m : pas si petites en fait) c’est déjà leur capacité respiratoire. Le terme « Dipneuste » ça veut dire, en gros, « deux systèmes respiratoires ». Les dipneustes possèdent effectivement à la fois des branchies et des vrais poumons.
Du coup, certains peuvent se noyer, ce qui est un peu con pour un poisson et pourtant ils ne sont pas les seuls ! Les arapaimas et d’autres espèces proches des arawanas, ont une vessie natatoire modifiée. Elle est très vascularisée et a la même fonction que les poumons. Ces téléostéens ont donc besoin de remonter à la surface pour respirer. Enfermé dans un bac d’eau, c’est la noyade.
Autre avantage des dipneustes par rapport aux cœlacanthes : le nombre d’espèces. Alors que seules deux espèces de cœlacanthes (africain et indonésien) ont été découvertes de nos jours, les dipneustes ont le triple d’espèces (ok, ça fait juste 6, mais quand même !). Et chaque espèce a ses spécificités, surtout en ce qui concerne l’utilisation de leurs poumons !
- Les Neoceratodus forsteri, vivant en Australie, n’ont qu’un seul poumon, l’autre ayant régressé. Et d’ailleurs ils n’utilisent que très peu leur unique poumon, peut-être parce qu’ils vivent dans des eaux très bien oxygénées. Du coup, ce petit malin respire seulement avec ses branchies. Son poumon ne lui sert que quand il veut se reproduire et qu’il doit fournir beaucoup d’efforts. Et encore, ce n’est qu’un état transitoire. Leur poumon leur sert à respirer le temps d’adapter leur métabolisme pour permettre à la respiration branchiale de reprendre le relai et laisser le poumon au repos.
- Le Lepidosiren paradoxa, aka dipneuste sud-américain, et les dipneustes africains du genre Protopterus (4 espèces) vont, eux, utiliser leurs poumons exclusivement (pour Lepidosiren) et quasi-exclusivement (pour les autres) pour respirer. La respiration branchiale est utilisée des fois par les dipneustes africains lorsqu’ils nagent en profondeur alors que les sud-américains, un peu flémards peut-être, flânent en surface et remontent régulièrement respirer à la surface. Ils ont une technique assez spéciale pour respirer : ils gobent une bulle d’air à la surface de l’eau, la bloquent dans leur bouche puis l’avalent. Tout cela est possible grâce à leur glotte, qui comme chez nous, permet d’éviter aux aliments d’aller dans les poumons et à l’air d’aller dans l’estomac. Sur la photo suivante on peut d’ailleurs voir un dipneuste africain venant juste de gober une bulle d’air qui transite dans ses voies respiratoires.
Cette capacité de double respiration fait des dipneustes des champions de la respiration. Mais ce sont aussi des champions de l’estivation (en gros une hibernation, mais en été, comme chez certains amphibiens). En effet, les dipneustes sud-américains et surtout les africains vivent dans des zones où l’eau se retire de leur rivière, et des fois durant des mois !! Pour pallier ce problème, ils forment des cocons dans la vase ou font des terriers où ils se lovent en U, le museau vers l’extérieur, puis ils se mettent en dormance durant plusieurs mois pour survivre à la sècheresse.
Traduction:
L'eau peut fournir un réfuge contre des températures extrêmes... Tant qu'elle est là... Le Sud de l'Afrique est souvent ravagée par des sècheresses sévères.Pour un poisson hors de l'eau, la mort est souvent inévitable. Mais ces poissons n'avalent pas de l'air en vain. Leur vessie natatoire forme un poumon ridimentaire qui leur permet d'utiliser l'oxygène directement de l'air. Les dipneustes échappent à la chaleur en s'enfouissant. Ils avalent la boue pour se creuser une chambre, la faisant ressortir par leurs branchies. Ensuite ils s'enrobent de mucus. En sêchant, le mucus durcit, formant un sac imperméable qui isole le dipneuste de la sècheresse. La boue de rivière forme de parfaits terriers pour les dipneustes, mais est aussi utile pour faire des briques. Alors que les conditions se détériorent, le dipneuste entre en estivation, attendant de meilleurs conditions.
L'australie centrale souffre aussi de sècheresses prolongées. Sous les lits de rivières asséchées, d'autres animaux se sont enterrés vivants. La grenouille du désert peut survivre, inhumée, pendant 7 ans. Elle utilise une mue de peau qui forme une barrière impérméable et empêche la grenouille de se déssécher. A la surface, la quête d'eau continue. Un lézard épineux peut survivre des années sans boire. Les fourmis noires lui fournissent toute l'eau dont il a besoin. Et il ne mange rien d'autre. Il y a d'autres méthodes pour étancher sa soif dans le désert. La vessie de la grenouille contient un réservoir d'eau qui fournit une ressource en eau de dernier secours pour les aborigènes. Dans le désert, peu de chose est gâché. Le lézard épineux a une façon unique de collecter de l'eau: par capillarité. Sa peau pompe l'eau comme du papier buvard. L'eau assombrit les traits de la peau jusqu'à attendre les yeux et la bouche. Un réseau de canaux dirigent l'eau vers la bouche. De cette manière, le lézard boit la rosée qui se forme le matin sur le sable du désert.
Même en Afrique, les sècheresses s'achèvent. Le dipneuste peut attendre 4 ans avant que la pluie ne le réanime de sa torpeur. A la fin de cette phase d'inactivité, le dipneuste était en train d'utiliser ses propres muscles comme source d'énergie. Mais il leur reste assez d'énergie pour ramper jusqu'à la rivière.
Et autant vous dire qu’il faut pas se lancer dans l’aventure si on n’est pas expert dans la gestion de son métabolisme ! Parce qu’une fois qu’on commence à estiver, faut pas déconner avec les pauses pipi et les ptites fringales de fin d’après-midi… Excrétion et gestion des réserves sont optimisées à la calorie et au mL de pipi près… Le pire, c'est que sortir de l'estivation n'est pas synonyme de se sortir du pétrin…
Traduction:
Ceci est un poisson, un dipneuste. Il s'extirpe de son cocon de sous la boue dans lequel il s'est blotti pendant des mois, attendant que l'eau remonte. Des poumons rudimentaires lui permet de respirer l'air, le temps de trouver le plus proche point d'eau. Mais atteindre l'eau ne signifie pas d'être en sécurité. Le bec-en-sabot est un géant des marais, mesurant plus d'un mètre de haut. La forme bizarre de son bec est bien adaptée pour se nourrir dans l'eau: là où des proies sont difficiles à cibler, un large bec augmente les chance de succès. Il est suprenant de voir ce qu'un point d'eau boueuse peut cacher...
Vous comprenez pourquoi cela fait des dipneustes de fascinants sujets d’études pour tenter de comprendre le passage de la vie terrestre à la vie aquatique chez les Tétrapodes car ils partagent une grande partie de leurs adaptations d’estivation avec des espèces d’amphibiens. Ils représentent peut-être la clé pour comprendre la façon dont nos ancêtres ont réussi petit à petit à s’adapter à l’absence d’eau. D’ailleurs, le mode de vie même des Dipneustes semble réfuter l’hypothèse selon laquelle un jour un poisson s’est dit « Hey !! Si j’allais voir d’un peu plus près ce qui se passe dehors !! » mais semble au contraire appuyer celle de poissons qui se seraient régulièrement retrouvés comme des cons à patauger dans une flaque après que la flotte s’est retirée de leur point d’eau.
Pour finir, et vous dévoiler une autre raison qui explique ma fascination pour les dipneustes, je vais vous raconter comment ils se nourrissent. Bon, les dipneustes américains et africains sont un peu goinfres, donc ce sont en fait les petits dipneustes australiens dont on va parler ici car leur repas, c’est un peu leur occasion de faire leur spectacle. Quand vous imaginez un poisson manger, c’est probablement comme Kiki, le petit poisson rouge de l’aquarium, qui gobe sa nourriture en avalant à la fois sa bouffe et l’eau qui l’entoure.
Les dipneustes australiens, eux, vont mâcher leur nourriture ! En effet, par succion, ils font rentrer l’aliment dans leur gueule (donc le miam-miam + de l’eau) mais ensuite ils vont utiliser leur plaque dentaire (caractéristique de la lignée) pour broyer le tout puis … recracher !
Pour les vaches, c’est un aller-retour de rumination panse-bouche et pour les dipneustes, c’est la même chose, mais entre la bouche et l’extérieur. Très ragoûtant : voici d’ailleurs une petite vidéo de ces mignons Neoceratodus en train de mâcher ! (Désolé pour la qualité de l’image):
Liens:
Aquarium Porte Dorée
Références:
Brauner, C.J., Matey, V., Wilson, J.M., Bernier, N.J. and Val, A.L. (2004) Transition in organ function during the evolution of air-breathing; insights from Arapaima gigas, an obligate air-breathing teleost from the Amazon. Journal of Experimental Biology, 207: 1433 - 1438.
"The Biology of Lungfishes" de Jorgen Morup Jorgensen et Jean Joss, Science Publisher ISBN: 78-1-57808-431-9