Qui de mieux qu’un enquêteur et un auteur de sexe féminin pour parler de la violence faite aux femmes ? Précision : de la violence faite aux femmes par les maris. Avec Six minutes, c’est ce point qui est amené sous la loupe de la détective Maud Graham.
Je connaissais de réputation cette détective célèbre, mais je l’avais lue une seule fois et depuis longtemps. J’ai fait connaissance et j’ai aimé la différence avec les inspecteurs masculins qui bouffent n’importe quoi, la plupart se trouvant glorieux à détruire leur santé ! Maud Graham est une épicurienne, a une famille et une vie équilibrée.
Il est question de deux vies de femme violentées par leur mari, on les suit dans le désordre des événements de leur vie. Le portrait que j’ai trouvé le plus attachant est celui de celle qui fuit, qui se cache, celle qui a changé de vie et qui prie pour que son mari puissant et riche ne la retrouve jamais. J’ai pris son cas à cœur. L’autre femme a un caractère plus vulnérable à prime abord, elle est au cœur du drame et se laisse violenter. Elle se tait, se cache aussi, mais malheureusement pas de son mari, mais de ceux qui pourraient la sauver de son démolissage en règle.
C’est le meurtre d’un homme bon et aimé de tous qui alerte Maud Graham et son équipe. Le crime est inexplicable, le profil du tueur quasi impossible à cerner. Nous faisons connaissance avec les nombreux questions de l’inspectrice et à certaines nous pouvons même répondre. J’avoue que je ne suis pas habituée à cette habitude de laisser le lecteur en savoir plus que l’inspecteur. Mais ceci n’a pas gâché mon plaisir, je me suis sentie omnipotente !
Par contre, j’ai eu la sensation de ne pas me comporter comme prévu en tant que lectrice. Il me semble que normalement, j’aurais dû en baver un peu plus pour cette jeune femme tenue entre les griffes de son mari violent, laquelle met sa vie en danger régulièrement, sans se plaindre ni porter plainte. Malgré ma conscience de l’horreur de cette situation, j’ai suivi avec plus d’émotion celle qui se sauve depuis des années, sans avoir dénoncé son mari. Elle continue et prolonge son état de victime en se terrant pour le reste de ses jours. Pourtant, je sentais une force en elle. Pourquoi n’a-t-elle pas dénoncée son mari ? Parce qu’il est puissant, riche et accoquiné avec un haut placé des forces de l’ordre. J’aurais aimé sentir un peu plus sa peur. À un moment donné vers la fin, l’auteure l’éclipse du décor, on suppose qu’elle a peur mais le contact direct avec cette peur n’est pas décrit.
Les portraits des bourreaux sont crédibles. Ils sont plus détaillés, particulièrement bien sûr, l’homme violent que l’on voit en activité. On trouve dans ce roman une tentative sincère d’exposer comment se sentent les victimes. Les portraits des bourreaux sont détaillés, l’enquête rodée, les portraits de femmes crédibles, mais il a manqué que je tremble de pour elles. Elles ne sont pas arrivées à me transmettre cette peur viscérale vécue quand une personne te tient sous sa poigne violente.
Évidemment que dans ce genre de roman le côté stressant qui monte progressivement jusqu’à son apogée nourrit l’intérêt. Si la terreur des femmes avait été plus tangible, plus palpable, plus concrète, mon stress de lectrice aurait culminé. À la défense de l’auteure, je crois que le défi est titanesque de rendre parfaitement la peur paralysante de ces femmes qui se laissent battre à mort.
Je compte revenir à Maud Graham, cette détective épicurienne, humaine et plutôt zen. Elle pourrait aussi bien être vous puisqu’elle ne se prend pas pour une héroïne. Son humilité la rend sympathique autant, comme par hasard (!), que la très prolifique auteure Christyne Brouillet.