" Je venais d'apprendre le design trois mois auparavant auprès d'un ami ", raconte Abdul Bar.
Par un autre ami il avait entendu parler des concours de design en ligne. Il cherche des détails sur ces concours, regarde les différents sites de graphisme, voit ce que les Occidentaux recherchent. Abdul gagne son premier concours grâce à son talent, sa réflexion et sa curiosité.
Il aurait pu se contenter de parader devant ses voisins et susciter leur jalousie devant sa bonne fortune. Pas du tout : il transmet son très récent savoir à quelques personnes du village qui partagent à leur tour leur science toute neuve avec d'autres, etc. Tout le village se met au design sur ordinateur.
Abdul a peaufiné une méthode pour augmenter ses chances de gagner : amélioration de sa culture du design grâce à certains sites et compréhension de ce qu'attendent les Occidentaux. Il transmet cette méthode aux autres.
Ces concours sont une mine d'or potentielle ; toutes les entreprises veulent avoir leur logo, qu'on les reconnaisse, qu'on les identifie parmi tous les concurrents, toutes, de la plus grande à la plus petite. Pour un petit commerçant américain cela ne coûte pas cher de lancer un concours de logos en ligne, mais dans le village de Kaliabu, le montant du prix représente une petite fortune. Par exemple le salaire mensuel d'un jeune homme qui a déjà remporté plusieurs concours était de 58 euros.
Avec des milliers de concours tous les ans, le village s'est mis à l'informatique et au design ; il a aussi appris l'anglais, parce que les traducteurs en ligne des conditions des concours étaient assez étranges. Je ne sais pas si vous avez déjà utilisé le traducteur automatique de Google...
Les villageois se sont mis à remporter presque tous les concours de design en ligne dans le monde ! Le village a changé de vie : transformation des conditions matérielles, bien sûr, mais également ouverture sur autre chose que la tradition. Le monde entier est entré à Kaliabu en même temps que le design, avec la culture et le graphisme occidentaux, une autre notion de la beauté a changé leur vie. L'argent des concours a permis à certains jeunes de payer des études dont ils n'auraient même pas rêvé avant le premier concours d'Abdul Bar le chauffeur et de tout ce qui en était suivi.
Les solidarités villageoises ont été renforcées alors que la modernité détruit souvent les liens ailleurs dans le monde. À l'heure où l'on étrangle la Grèce, berceau de notre civilisation, cette histoire vraie a de quoi faire rêver, non ?
Les designers de Kaliabu ont eu droit à un documentaire, ils ont leur notice Wikipédia, et bien sûr ils sont sur Facebook ! Ils ont créé une communauté appelée Rewo Rewo, qui désigne les voyous en javanais. Parce que personne n'a été exclu du savoir et que les mauvais garçons d'autrefois sont devenus des geeks comme les autres gens du village.
Kaliabu designer community, called Rewo Rewo