13 JUILLET 2015 | PAR FRANÇOIS BONNETL'euro a accouché d'un monstre politique. L'humiliant accord imposé à Alexis Tsipras le démontre une fois encore : il n'est pas de marges de manœuvre politiques possibles dans une zone monétaire devenue l'otage des idéologues du libéralisme.Depuis dimanche soir, le hashstag #ThisIsaCoup est l'un des plus suivis sur Twitter. De l'économiste Prix Nobel Paul Krugman à l'ancien ministre grec Yanis Varoufakis, en passant par le souverainiste français Nicolas Dupont-Aignant, le #CestUnCoup canalise les indignations contre l'accord imposé par les Européens à la Grèce en échange de son sauvetage financier.Coup d'État ? L'expression peut cristalliser les désaccords mais une chose n'est guère contestable : les « institutions européennes » ont bel et bien décidé de prendre le pouvoir en Grèce. La proposition du socialiste allemand Martin Schulz, président du Parlement européen, d'installer« un gouvernement de technocrates » à Athènes s'est ainsi réalisée de fait, au terme d'un week-end de négociations qui a vu l'Allemagne imposer de bout en bout sa ligne.C'est la vraie démonstration de ce week-end : la zone euro et ses présumés critères de gestion ont accouché d'un monstre politique. Et ce monstre est en train de dévorer ce qui est au cœur même du projet européen : l'approndissement démocratique. La zone euro n'est plus l'Europe, elle est devenue une machine à balayer les peuples et à écraser la démocratie. Nous l'avions déjà expérimenté à l'automne 2011, quand deux chefs de gouvernement furent renversés sous les pressions des marchés et du duo Merkel/Sarkozy. Il s'agissait alors de Silvio Berlusconi et Georges Papandréou.Cette fois, la démonstration est autrement plus violente parce qu'elle s'est faite de bout en bout sous les yeux des citoyens européens. Le premier ministre grec Alexis Tsipras se trouve de fait démis de ses fonctions, de la principale au moins, celle de conduire une politique économique ; c'est ce qu'explicite par le menu le texte de l'accord obtenu à l'arraché à l'issue de dix-sept heures de négociations.Tsipras et la Grèce ne sont pas seulement humiliés ; le premier ministre est brisé politiquement tant il a été contraint d'abdiquer la plupart de ses demandes. Et si sa majorité parlementaire peut encore le suivre un temps, il ne fait nul doute qu'un bouleversement radical du paysage politique grec va intervenir dans les mois qui viennent. À Bruxelles, de nombreux dirigeants européens suggèrent déjà un remaniement, la mise en place d'un gouvernement d'union nationale, la démission des ministres jugés les plus radicaux…Donald Tusk, président du Conseil, Alexis Tsipras et son ministre des finances, Euclide Tsakalotos. © (CE)« Ils l'ont crucifié sur place », disait dimanche de Tsipras un responsable européen au Guardian. Un autre décrivait ainsi l'aparté Hollande-Merkel-Tsipras dans la nuit de dimanche à lundi : « Ils lui font du waterboarding psychologique », waterboarding, comme cette technique de torture utilisée par la CIA en Irak… Arrivé au sommet de la zone euro, Alexis Tsipras s'est trouvé pris dans un traquenard dont il n'a pu sortir qu'épuisé, livide et contraint d'accepter une reddition sans condition.Cela donne la mesure de la puissance du monstre politique « Euro ». Car en moins d'une semaine, Alexis Tsipras venait de réussir un triple exploit politique pour renforcer et élargir encore sa légitimité : un référendum largement gagné, le dimanche ; une déclaration politique commune de tous les partis grecs (à l'exception des néo-nazis d'Aube dorée), le lundi ; un mandat de négociation clair validé à une très large majorité par le Parlement grec, le vendredi.Cette légitimité politique, dont pourraient rêver bien des dirigeants européens, a été méthodiquement brisée en seulement deux jours de réunions de l'Eurogroupe puis du sommet de l'euro. Car il est aussitôt apparu que les conditions techniques d'un éventuel sauvetage financier de la Grèce n'étaient pas le seul point à l'ordre du jour. Il s'agissait bien d'en découdre avec Alexis Tsipras et le nouveau pouvoir grec élu en janvier. Il s'agissait de mettre à genoux le seul gouvernement de gauche radicale en Europe. Démonstration d'autant plus nécessaire qu'en Espagne, Podemos apparaît toujours en mesure de devenir incontournable à l'issue des prochaines élections générales de l'automne.
Méthode insupportable
Il fut donc dit et répété, tant samedi que dimanche, que le monstre « Euro » ne pouvait faire confiance à Tsipras et son gouvernement. « La confiance est rompue », « Il n'y a a pas de confiance », ce fut le refrain entonné par les dirigeants allemands, néerlandais, ne parlons pas même des Slovaques et des Finlandais. Et c'est la première phrase de l'accord issu du sommet : « Le sommet de la zone euro souligne la nécessité cruciale de rétablir la confiance avec les autorités grecques, condition préalable pour un éventuel futur accord. »Dès lors, le plan grec présenté jeudi soir – propositions jugées « crédibles et sérieuses » par François Hollande – put être aussitôt déchiré – sans que la France ne trouve rien à y redire –, pour imposer à Tsipras la prise de pouvoir des institutions européennes. Peu importait samedi que ce plan grec porte des concessions majeures, des mesures d'austérité très importantes et des engagements de réformes multiples (lire ici l'article de Ludovic Lamant et Amélie Poinssot). L'essentiel était dans la délégitimation de Tsipras, la destruction de son mandat de négociation, le refus d'intégrer ce que venait de produire le jeu démocratique grec.Donald Tusk, Angela Merkel et François Hollande lors du sommet euro. © (CE)Le résultat est un accord dont la lecture doit faire honte à tous les Européens. Car il décrit, dans la novlangue bureaucratique bruxelloise, comment va s'effectuer dans le détail la prise de pouvoir du monstre « Euro » à Athènes. « Cette liste de demandes est de la folie, note Paul Krugman. Elle n'est que punition, destruction complète de la souveraineté nationale, sans espoir aucun de redressement. »- Le texte intégral de l'accord (en français) peut être lu ici