Je me dis de plus en plus souvent en vieillissant que je n'aurai jamais assez du temps d'une vie pour lire tout ce que je voudrais lire.
C'est encore plus vrai maintenant que je suis traducteur alors que j'ai toujours l'impression de lire et d'écrire mais rarement, sinon jamais, ce que j'aurais envie de lire (et écrire).
J'ai récemment lu Houellebecq pour la première fois et, malgré quelques réserves pudiques, j'ai aimé avoir été trempé dans la France des années 70-80. Voilà une période que j'ai connue, mais de loin, dans le Canada d'Amérique Francophone. J'étais alors fier abonné aux revues Tintin et Spirou, j'invitais donc une certaine réalité française sous mon toit une fois par mois.
Et j'étais très friand des Petit Nicolas**.
Depuis, j'ai visité la France en 1995 et fût assez déçu. C'était dans un contexte extrêmement difficile, il faut le noter, alors que j'atterrissais le jour où la Station St-Michel explosait. La tension qui allait animer Paris par la suite n'avait aucun sens. On avait enlever toutes les poubelles pour ne pas qu'on y dépose d'autres bombes tout était donc extraordinairement sale. L'expérience fût....moyenne.
La France s'est ensuite réinvitée dans ma vie puisque mon beau-frère, le frère de l'amoureuse, a épousé une jeune femme originaire de Cholet, maintenant nationalisée ici, dont nous bâtardisons l'accent français depuis bientôt 15 ans.
J'ai revisité La Vie d'Adèle récemment principalement parce que ce film me plonge dans la France. Le cinéma français est très cool pour ça, depuis la Nouvelle Vague, on filme surtout les rues, les banlieues, les toits, La France et son pouls. On brode des histoires autour des gens de là-bas, mais on tourne beaucoup LA FRANCE, en lettres majuscules et comme si c'était un personnage.
Je comptais enchaîner ma lecture de Houellebecq avec un(e) autre auteur(e) français(e), mais j'ai plutôt opté pour le sud-africain J.M.Coetzee. Qui me déprime un peu, je l'avoue. Coetzee écrit toutefois formidablement bien. Je le relirai c'est certain.
J'avais encore envie de France.
Djian genre.
Pas que j'ai déjà lu Djian que j'ai toujours fréquenté d'ailleurs.
Au cinéma dans un film que je trouve encore aujourd'hui fameux et où Béatrice Dalle y joue le rôle d'une vie.
Puis en musique dans la bouche de Stéphane Eicher.
Mais sinon, je ne connais rien de Djian.
Je me suis donc rendu à la Vievliothèque*. Sur place il n'y avait que Love Song dont le propos me semblait nostalgico-brouillon. J'avais plutôt envie des premiers Djian. J'avais envie de Sotos, Assassins, Criminels ou Sainte Bob, mais non, je ne pouvais que me contenter de Love Song.
Je le laissais sur la tablette quand une charmante jeune employée est venue à ma rencontre.
"Vous alliez prendre Djian?" me demanda-t-elle avec un joli accent français. JAMAIS je ne trouve l'accent français charmant, et ce, même si je suis un amant des accents, mais jumelé à la voix et au visage de madame, j'étais tout à fait plein de frissons.
"oui et non...il n'y a pas ceux que je cherchais..."
"Je...J'ai remarqué que vous venez souvent ici, et que vos choix de livres ou de films sont souvent très près des miens. Vous avez du goût"
Vous avez MES goûts semblait-e-elle plutôt me dire.
Elle était radieuse dans sa robe en jean.
Je l'avais déjà remarquée au comptoir de prêt, prenant son café en riant, me regardant à peine, du type "plus jamais surprise par la nature humaine".
Je ne savais trop quoi dire, je me suis rendu à la fenêtre et le ciel ce matin n'était ni rose, ni honnête pour la peine.
"Est-ce que tout va si mal ? est-ce que rien ne va bien ? l'homme est un animal" me dit-elle.
J'ÉTAIS DANS LA CHANSON DE STÉPHANE EICHER & PHILIPPE DJIAN!
Je la regardai droit dans ses yeux clairs gris-verts et lui dit:
"Je le permets"
Et elle partit déjeuner en paix.
(qui est en fait note diner mais bon...)
Toujours lumineuse.
Et moi, me sentant légèrement condescendant.
Vive la France.
Bonne fête, vieux cousin.
*Car sur place j'y prends vie
**Très heureux de voir que ma fille aura à lire "Le Petit Nicolas" à sa première année du secondaire l'an prochain.