FAUSSE PAIX vs GUERRE FROIDE.

Par Francois155

Dans un billet récent, un court texte interrogatif sur les notions de contraindre/convaincre et contenant d’ailleurs bien plus de questions que de réponses, j’évoquais la situation stratégique actuelle en la qualifiant de « fausse paix ». À la suite de ce texte, une lectrice attentive (qui se reconnaîtra et que je salue au passage), a entamé la discussion, contestant habilement certaines des orientations intellectuelles choisies, en suggérant d’autres, bref, participant utilement à l’échange des idées, seule manière de faire émerger des orientations valides et originales.

Je n’ai pu aborder, dans ma réponse aux commentaires, l’intégralité des thèmes contenus dans le post et j’aimerais tout particulièrement revenir sur celui-ci, à travers la question qui me fut posée : cette notion de « fausse paix » est-elle similaire à celle de « guerre froide » ? Le rapprochement, en forme d’interrogation, des deux concepts est intéressant, car il renvoie aussi bien à l’histoire récente, à la situation contemporaine et aux différences qui existent entres elles, dissemblances qui ne sont peut-être pas assez bien intégrées, ou alors seulement de manière superficielle, par quelques décideurs, encore piégés par de vieux réflexes datant de cette époque révolue ou considérant, excès inverse mais tout autant dommageable, que le monde avait changé d’ère au point que tous les points de repères antérieurs (en particulier dans la gestion des situations conflictuelles) étaient devenus inutiles.

Bien sûr, ce qui suit n’a pas vocation a délivré une sanction définitive a un vaste problème, mais plutôt, là encore, de lancer des pistes de réflexion, certaines pertinentes, d’autres peut-être moins.

Car la fausse paix évoquée par votre serviteur pour définir l’état actuel de « guerre masquée », de « guerre permanente » voire « d’illusions de la paix », peut a priori s’appliquer à bien d’autres époques : l’histoire est pleine de plages temporelles supposées pacifiques ou les futurs adversaires se contentaient en fait de fourbir leurs armes, leurs alliances et leurs tactiques avant de se jeter à la gorge une fois le moment opportun venu.

La guerre froide, en ce sens, a constitué une anomalie puisque les deux blocs, s’ils ont bel et bien constitué de solides coalitions militaires, s’armant de manière pléthorique, poursuivant des recherches doctrinales visant à s’assurer chacun la victoire, n’en sont pas venus à l’explication finale, malgré de sérieuses alertes. C’est un truisme de reconnaître aujourd’hui que l’apparition et la multiplication des armes nucléaires sont à l’origine de cette inédite retenue. Car l’explication finale aurait eu, pour les deux protagonistes, une issue fatale, inacceptable. Cette certitude de l’anéantissement mutuel a glacé une guerre longuement préparée, mais jamais déclenchée.

La guerre froide était donc bien une « fausse paix » dans ce sens où deux adversaires aux volontés strictement opposés ne rêvaient en fait que d’en découdre pour que la leur s’impose à l’autre, moteur ancestral de toutes les confrontations violentes.

Il existe pourtant bien des différences entre cette confrontation rendue impossible par l’existence d’armes absolues et l’état actuel que, dans mon esprit, je qualifie de « fausse paix ». Passons en quelques-unes en revue :

- Tout d’abord, les alliés comme les adversaires étaient chacun clairement identifiés. L’ennemi avait un visage, une idéologie, un drapeau, une armée avec ses forces et ses faiblesses. Tel n’est plus le cas aujourd’hui : l’adversaire étatique se fait discret, furtif, prudent, ne déclare pas ouvertement son hostilité voire la maquille au point que les observateurs sont bien en peine de dire si tel pays est un allié, un neutre ou un ennemi potentiel. À l’inverse, ceux qui nous font la guerre se regroupent au sein d’entités non étatiques, transnationales, clandestines : à l’exception de quelques fronts ouvertement actifs (Irak, Afghanistan), ils agissent dans l’ombre jusqu’au sein même de nos sociétés, espérant parfois y ouvrir des fronts intérieurs.

- Ensuite, nos compétiteurs étatiques d’aujourd’hui ont bien pris note de la puissance des armes actuelles et des dangers que leur utilisation implique (sans même parler de l’option nucléaire qui reste toujours valide). Pourquoi risquer l’affrontement direct lorsqu’on peut pousser ses pions et affaiblir l’adversaire par des moyens supposés pacifiques, mais dont la finalité (contester la dominance et imposer peu à peu sa place dans le plus d’aires, matérielles comme immatérielles, possibles) reste bel et bien la défaite de la volonté de l’Autre ? C’est, bien sûr, la guerre « hors limites » qui pointe ici son nez avec l’invasion à des fins agressives de tous les champs de l’activité humaine dans l’objectif de soumettre à moindres frais le concurrent et/ou l’adversaire.

- Justement, cette extension du domaine de la guerre, en ces temps de globalisation économique, d’incertitudes sur les approvisionnements énergétiques et de compétition acharnée pour le contrôle de technologies clés, a également brouillé les repères nous permettant de distinguer non seulement nos adversaires, mais même nos alliés ! Tel pays peut combattre à nos côtés dans la lutte contre le terrorisme et, dans le même temps, fomenter les pires actions contre nos intérêts économiques jusqu’à nous priver de précieux viviers d’emplois, mettant ainsi en danger notre tissu social. Certes, les tiraillements ou autres crocs en jambe entre alliés ne datent pas d’hier, mais l’éclatement du danger commun, identifiable et redoutable, a exacerbé les appétits nationaux au point de brouiller les repères alliés/ennemis. La prise en compte de cet environnement inconfortable n’est d’ailleurs pas toujours aisée pour tous.

- De plus, différence ô combien essentielle, durant la guerre froide les populations, à l’instar des gouvernements, étaient pleinement conscientes des menaces pesant sur leurs têtes. Pour ne prendre qu’un exemple vécu, n’importe quel collégien européen des années 80 un tant soit peu assidu en classe savait que le déclenchement d’une guerre entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie laisserait le continent, au mieux dévasté, au pire transformé en un vaste parking fumant et radioactif. Sans prétendre avoir réalisé une étude exhaustive sur le sujet, on est en droit de supposer que, nos gouvernants demeurant largement indifférents aux menaces nouvelles, la population doit l’être plus encore.

On perçoit donc bien, après cet inventaire non exhaustif, les différences majeures qui peuvent exister entre la guerre froide et la paix trompeuse qui règne actuellement : absence de perceptions des menaces, omnidirectionnalité de ces dernières, furtivité de l’adversaire déclaré, dissimulation et volte-face des quelques ennemis parfois désignés ; sur le plan stratégique, notre époque est bien plus trouble et incertaine que celle d’autrefois.

La question qui se pose en vérité est bien de savoir si le danger n’est pas plus grand aujourd’hui qu’autrefois. Car, en baissant la garde devant ce qui semble un manque d’ennemis (ou des ennemis trop lointains et perçus comme trop faibles pour nous attaquer efficacement), nous dévoilons des faiblesses susceptibles d’éveiller ou d’affermir les convoitises : la « fausse paix » incite à l’imprudence, à l’aveuglement collectif et à des choix stratégiques douteux. À noter de surcroit que cette illusion de sécurité ne semble pas vraiment être partagée par tous…

En définitive, il ne s’agit pas de regretter la guerre froide, mais de constater que sa fin n’a pas initié une illusoire époque pacifique. Un travail d’éducation et de ré information des citoyens, à quelque niveau de pouvoir soient-ils, est indispensable pour que l’ensemble de la trinité étatique parvienne à une conscience claire du nouveau contexte et des sacrifices, nouveaux eux aussi, que sa gestion demande.

En prenons-nous le chemin ? A l’évidence, il existe un noyau d’acteurs (pas seulement militaires, loin de là) qui appréhendent le monde sous cet angle et proposent des solutions.

Seront-ils entendus ?