On l’a vu avec une comédie de ramadan qui propose un intéressant autoportrait de la société saoudienne, le selfie est à la mode. Fort logiquement, les pratiques rituelles n’y échappent pas et posent par conséquent la question de la bonne pratique du selfie en contexte musulman. Embryonnaire il y a encore un an ou deux, le phénomène ne cesse de se développer. Bien entendu, les pèlerins souhaitent conserver une image d’un événement suffisamment important pour faire partie des cinq « piliers de l’islam ». Mais en plus de l’aspect personnel, il existe désormais une sorte de course au « selfie religieux », avec des tags spécialisés sur Twitter tels que #hajjselfies (سيلفي_الحج)
Inévitablement, toutes sortes d’autorités ne pouvaient manquer de donner leur avis sur la question. Au-delà des questions pratiques que pose le maniement de la « perche à selfie » dans un espace clos fréquenté par des millions de personnes, les motifs religieux de ne pas apprécier cet engouement pour l’autoportrait ne manquent pas. Non seulement la photographie est tout juste acceptable pour les écoles les plus traditionnelles qui ne l’admettent que pour de « légitimes raisons » mais, de plus, le rite a pour objectif d’appeler le croyant, non pas à l’autopromotion de son autosatisfaction terrestre mais au recueillement et à l’humilité devant son Créateur.

Faute de pouvoir aller à La Mecque remplir ses devoirs religieux (au moins une fois dans sa vie si on le peut, une vraie rente de situation pour le tourisme saoudien), Jérusalem, avec la mosquée du Dôme, constitue une alternative presque aussi sainte. Mais dans ce contexte précis, le selfie se charge d’une connotation qui rend plus incertaine sa condamnation. L’argument consiste à légitimer l’immortalisation de la visite au lieu saint par l’impossibilité, pour d’autres, de s’y rendre. Beaucoup étant privé de la possibilité de se rendre à la mosquée d’Omar à cause de l’occupant israélien, y prendre sa propre photo, avec un message à leur intention, devient dès lors une pratique louable puisqu’elle a pour but d’associer ceux à qui cela est injustement interdit. Par « analogie » (qiyâs) comme on dit en casuistique islamique, l’argument pourrait fort bien être défendu pour le hajj lui-même…

Bonne fin de ramadan pour ceux qui le font !