Sur les écrans, ce mercredi 15 juillet, sort en salles Les Révoltés ,un très joli film français dont la génèse remonte quelque peu car il fut tourné en 2013 avec dans les deux acteurs principaux du film, Paul Bartel et Solène Rigot, n'étaient pas encore les jeunes acteurs en vogue du cinéma français qu'ils sont devenus par la suite.
Bartel et Rigot joue Pavel et Anja, deux jeunes gens amis de longue date qui vont voir leurs sentiments évoluer une fois entrés dans l'âge adulte, des changements sentimentaux qui vont se greffer avec une toile de fond plus sociale, de lutte syndicale.
Car Les révoltés est tout autant la chronique sociale et la régression du milieu ouvrier dans le centre de France qu'une chronique sociale, un polar, sortie de l’adolescence et une belle histoire d’amour.
Très beau mélange de chronique sociale sur les dérives du capitalisme et de romance douce et cruelle, s'appuyant sur un scénario solide et sensible, le film séduit aussi par une belle mise en scène et un beau travail sur la lumière...
Et le formidable duo Solène Rigot/Paul Bartel prouvent si besoin était que ce sont vraiment des comédiens très prometteurs!!
J'ai tellement envie de défendre le film ( qui visiblement malgré sa singularité et sa maitrise a beaucoup de mal à séduire les exploitants ) que j'ai réussi à approcher le réalisateur du film Simon Leclere et que j'ai pu lui poser toutes les questions que j'avais en tête :
ITW exclusive Baz’artSimon Leclère pour le film Les Révoltés
Baz'art : Bonjour Simon et bravo pour votre très beau premier long métrage, Les Révoltés, qui m'a énormément plu.
A propos du titre, j’ai vu que votre filmdevait au départ s’appeler « après la bataille » Pourquoi finalement avez-vous changé assez tardivement il me semble, pour ce titre « Les révoltés » ? Et d’ailleurs, qui ce terme au pluriel désigne t- il dans le film, puisqu’à part Pavel, tous les personnages de votre film semblent plus résignés que révoltés de la situation sociale ?
Simon Leclère : Le changement de titre est une décision du distributeur, Jour2Fête. Il s’agissait d’éviter toute confusion avec un film sorti il y a quelques années sous le titre Après la bataille. Les révoltés donne par ailleurs un sentiment plus positif de la lutte sociale, susceptible – on l’espère – d’attirer davantage de spectateurs dans les salles. Mais vous avez raison : de mon point de vue, Après la bataille était plus en accord avec le propos du film. Je ne parlerai pourtant pas de résignation à propos de mes personnages, plutôt d’aliénation. Le pluriel des Révoltés ne renvoie pas aux individus mais à la nature, multiple, de la révolte. Chez Pavel, elle est viscérale et débridée, dirigée contre les auxiliaires d’un système dont il a du mal à comprendre les rouages. Chez Roland, son père, la révolte est plus articulée, plus souterraine aussi, et dirigée contre le système lui-même. De manière plus intime, Anja se révolte contre un destin tout tracé.
Baz'art : Est-ce que, dès le début de l’écriture du scénario, le film possédait déjà ce mélange de romance, de drame policier et de chronique sociale, ou bien les genres n’étaient pas aussi figés et ont évolué en fonction au gré de l’écriture ?
Simon Leclère : Au stade du scénario, le mélange des genres était beaucoup plus affirmé, le mode de narration plus singulier (le récit effectuait de constants allers-retours entre différentes temporalités). Au final, le film est un objet plus lisse, moins « ambitieux » sur la forme. J’ai manqué de moyens. Financiers bien sûr mais pas seulement. J’ai manqué d’expérience aussi, j’ai parfois fait de mauvais choix, mal hiérarchisé les priorités. Mais le fond a été préservé, je suis assez fier de ça.
Baz'art : Le film est d’ailleurs déroutant justement de par sa difficulté à le classer dans un genre particulier. Est-ce que c’était une volonté pour vous de multiplier les niveaux d’appropriation afin de le rendre accessible au plus grand nombre ? Et en contrepartie, est-ce que le risque n’était pas d’avoir du mal à trouver l’équilibre entre ces différents genres, que tout s’emboite parfaitement sans rendre l’ensemble bancal ?
Simon Leclère : La volonté de m’adresser à un large public a toujours été au cœur du projet. L’inscription dans un genre, dans des codes, permet de baliser le terrain pour le spectateur, et donc de l’entraîner plus facilement sur des chemins de traverse (voire dans des grottes un peu sombres…). La réalité que je voulais décrire allait conduire immanquablement, j’en étais conscient, à ce que le film soit étiqueté comme « film social » (ce qui ne veut rien dire).
Or c’est une étiquette repoussoir pour certains spectateurs, en dehors de cette infime partie de la population, informée, cultivée, plutôt de gauche (je ne m’attarderai pas sur ce « plutôt »…), qui s’intéresse aujourd’hui au cinéma d’auteur. Je voulais que le film soit accessible au plus grand nombre.
Qu’il soit désirable par le plus grand nombre. Et désirable notamment par cette majorité de citoyens qui accepte comme un état de fait immuable, quasiment un état de nature, la violence sociale contemporaine. J’ai donc ménagé plusieurs portes d’entrée dans le film : la chronique sociale, l’histoire d’amour, le polar… Evidemment, à vouloir s’adresser au plus grand nombre, on risque de ne toucher personne. Ce qui donne sa cohérence au film, je crois, et une certaine homogénéité finalement, c’est le fil de la tragédie. A n’importe quel moment du film, dans l’usine ou sur les bords de Loire, dans le conflit social ou dans la romance, les ressorts du récit sont ceux de la tragédie. Tant qu’à coller une étiquette au film, celle de « film noir » est finalement la plus juste.
Baz'art : Toujours concernant l’écriture du scenario, est ce qu’un autre des écueils que vous avez pu rencontrer au cours de cette étape n’a pas été de rendre l’aspect social du film trop didactique et trop manichéen, comme c’est parfois le cas lorsqu’on aborde des sujets tels que les révoltes ouvrières et les histoires de rachat d’entreprise et de délocalisation ?
Si oui, quelle a été votre ligne de conduite pour contourner ce problème ?
Simon Leclère :C’est une question que je me suis posée au début de l’écriture mais que j’ai très vite évacuée. Je ne voulais pas qu’elle devienne un frein ou une barrière. La réalité sociale à l’échelle individuelle est toujours complexe. Mais à l’échelle d’une population, elle devient très vite manichéenne (c’est la loi des grands nombres). Il faut donc rester à hauteur d’homme. Seuls comptent les personnages, leurs actions, réactions, émotions...
Et quand on a la tentation du didactisme, par exemple lorsqu’on a un certain nombre d’informations « générales » à transmettre au spectateur (dans mon cas, tout ce qui concernait les mécanismes de rachat d’entreprise), il faut se débrouiller là aussi pour le faire à travers les personnages, en situation.
Baz'art : Vous dites dans le dossier de presse que votre réflexion sur l’univers sonore et visuel du film était très peu poussée et qu’elle s’est élaborée au fur et à mesure du film…On a du mal à le croire vu certains partis pris de l’œuvre, notamment sur la lumière particulièrement affirmés pour un premier long métrage..Vous confirmez cela ?
Simon Leclère : La préparation du tournage a été monopolisée par le travail de réécriture, d’élagage du scénario imposé par le plan de travail. J’ai eu très peu de temps à accorder aux échanges avec Pascale Marin, la chef-opératrice. Néanmoins, au fil des années, des images s’étaient formées dans ma tête et avaient en quelque sorte « imbibé » le scénario. Pour Pascale, c’était une bonne base. On a fait quelques essais caméra, principalement pour les nuits, le choix des lampes torches… On savait qu’on tournerait 80 % du film à l’épaule, que je ne découperais pas en amont, qu’on chercherait les plans sur le plateau, que je voulais du contraste, des couleurs franches, saturées…
Le talent de Pascale a fait le reste. Pour répondre précisément à votre question : oui, les partis-pris en terme de lumière sont affirmés, mais ils l’ont été relativement tard. Et le processus a été le même pour le son, la musique…
Baz'art : Est-ce que le fait que Solène Rigot soit également musicienneet du coup, peut-être plus détachée que les autres actrices de sa génération,a joué pour vous dans votre choix final de casting pour ce rôle d’Anja, un personnage complexe, à la fois profonde et insouciante ?
Simon Leclère : Solène a ce côté insouciant, c’est vrai. Mais pas détaché. Elle est très impliquée dans ce qu’elle fait, à la fois au cinéma et avec son groupe de musique, tout en affichant constamment une distance ironique vis-à-vis d’elle-même et de sa notoriété naissante. C’est une attitude très saine.
En contrepoint de Pavel, personnage tourmenté, j’avais envie d’une Anja plus légère, plus lumineuse. Solène a « donné » ça à Anja, tout en assumant les hésitations, les contradictions du personnage. Et puis au-delà de ses qualités de comédienne, Solène est d’abord quelqu’un qui a la joie de vivre contagieuse. Sur un plateau de tournage, ça n’a pas de prix.
Baz'art : J’ai vupar ailleurs au générique du film que son groupe Mr Crock était crédité pour les musiques additionnelles du film, est ce que ce choix s’est fait de manière naturelle ou bien votre comédienne vous a un peu "forcé la main" pour imposer son groupe ?
Simon Leclère :La musique qui accompagne la danse sur la plage et la disparition de Pavel (un morceau du groupe new-yorkais A place to bury strangers) avait été choisie avant le tournage.
Au montage, on a eu envie d’un arrière-plan musical sur les scènes précédentes. Je me suis souvenu que Solène jouait dans un groupe, j’ai écouté, je me suis dit que ça fonctionnerait, ils étaient partants… ça s’est fait de manière très simple. Le clin d’œil me plaisait.
Baz'art : Toujours à propos de Solène Rigot, sa complicité avec Paul Bartel apparait vraiment évidente dès les premières scènes du film, et on croit d’emblée à leur amitié de longue date. Est que ce couple de cinéma vous sauté aux yeux dès que vous les avez fait jouer ensemble, ou bien il a fallu un peu de temps pour que les deux acteurs s’appréhendent mutuellement ?
Simon Leclère : A vrai dire, je me souviens de leur première rencontre, j’étais assez anxieux, ils ont deux personnalités très différentes. Pourtant ils se sont vite entendus. Comme deux êtres humains peuvent s’entendre. C’est déjà beaucoup. Mais rien ne m’a « sauté aux yeux ». Quand j’entends parler d’alchimie immédiate entre deux acteurs, je tousse un peu… Comme si le fait de mettre deux acteurs dans une même pièce devait forcément produire quelque chose de magique... ou pas… C’est se mettre beaucoup de pression. Le cinéma ne se fait pas là, pas à ce moment-là.
On a fait une lecture ou deux, c’est tout, aucune répétition avant le tournage. J’avais confiance, au-delà de leur connivence personnelle, en leur entente professionnelle, mais ça restait un pari. Je n’étais sûr de rien avant de les voir évoluer sur le plateau.
Baz'art : Encore un mot concernant le casting. Votre film permet également de faire connaissance avec des grands comédiens peu vus au cinéma, comme Gilles Masson, un comédien bien plus connu au théâtre… est ce au départ un choix contraint par des raisons budgétaires, ou bien vous aviez vraiment cette volonté d’engager des acteurs peu connus du grand public afin que les spectateurs ne soient pas gênés par les précédents rôles de ces comédiens et puisse d’emblée croire à leurs personnages ?
Simon Leclère : Le cinéma est une industrie, il est difficile en France de faire abstraction d’un certain « star-system ». Mais quand on fait un film avec peu d’argent, soutenu par aucune chaîne de télévision, alors on ne subit aucune pression. Ou plutôt la pression est partout sauf sur le casting. Je ne connaissais pas Gilles Masson. Je l’avais vu jouer une fois seulement, au théâtre. Mais je faisais confiance à Christel Baras, la directrice de casting, à ses intuitions. Physiquement, Gilles correspondait au personnage de Maciek, un roc, avec des failles. On s’est rencontrés, j’ai aimé la personne qu’il était… J’ai besoin d’aimer les personnes avec lesquelles je travaille.
Baz'art : Vous avez géré pendant plusieurs années une société de production qui travaillait notamment autour de films documentaires. Est-ce que cette expérience vous a été salutaire pour la production de votre film, afin d’éviter les éventuels pièges inhérents à cette étape particulièrement délicate ??
Non. J’étais un « petit » producteur, pas très bon d’ailleurs, même si je suis fier des films que j’ai pu accompagner. J’aurais été incapable de produire un long métrage de fiction.
Baz'art : Comment la majorité des spectateurs qui ont pu voir le film lors des différentes projections publiques le reçoive ? Pour en revenir à une de mes questions antérieures sur le mélange de genre, est-ce que dans l’ensemble,,l’histoire sentimentale est plus importante que la toile de fond social ou bien cela est vraiment partagé ? Et vous, personnellement, comment dans l’absolu, préfériez vous que le public reçoive le film, comme une belle et tragique histoire d’amour ou comme une chronique un peu désillusionné sur le monde de l’entreprise ?
Simon Leclère : Dans mon esprit il n’y a qu’un seul film. L’histoire d’amour nourrit la chronique sociale, la chronique sociale nourrit l’histoire d’amour, et les deux se fondent dans la tragédie. Mais le film ne m’appartient plus, je peux simplement espérer que les gens l’aimeront, quelles qu’en soient les raisons ; et que s’ils y sont entrés par une porte, ils auront la curiosité d’en sortir par une autre.
Baz'art :Merci beaucoup cher Simon d’avoir pris la peine de répondre à ces questions et très longue carrière aux révoltés !!
Simon Leclère :Merci à vous !