Partager avec vos amis...
Sébastien Daucé est un artiste intimement lié au Festival de Saintes. Il le fréquente depuis son adolescence, il venait assister aux concerts et rencontrer les musiciens. Plus tard, il est sera bénévole. Mais cette année, il est venu avec sa baguette et l'ensemble Correspondance qu'il dirige. Vendredi soir, il a joué le concert d'ouverture du Festival : Le Concert Royal de la Nuit. Entretien.
Est-ce que vous pouvez nous raconter l'histoire de cette œuvre, le Ballet royal de la nuit ?Sébastien Daucé : L'histoire commence en 1663, c'est une période de transition dans l'Histoire de France. Après la mort de Louis XIII s'enclenche une guerre civile, la Fronde, qui a duré plusieurs années et qui a créé une grande discorde dans le royaume. Au pouvoir se trouve donc la reine Anne d'Autriche en attendant que son fils, le jeune Louis XIV, puisse l'assumer, elle gouverne avec un Premier ministre nommé Mazarin. Une paire détestée par la noblesse de France, car chacun pense à prendre la place du roi. Cette situation crée un contexte politique très mouvant, très tendu. En 1652, la situation se calme avec le retour de Mazarin et du jeune roi : Louis XIV a alors 15 ans. Pour son arrivée est décidée l'organisation d'un grand spectacle. On l'appelle à ce moment-là un ballet de cour. C'est à l'époque le grand genre de la cour de France, 20 ans avant que l'opéra n'existe.
Un ballet de cour... qu'est-ce que c'est ?S.D : Le ballet de cour, en quelques mots, c'est une succession de ce qu'on appelle des entrées. Il s'agit de danses, de petites saynètes où l'on assiste à chacune d'elles à une histoire racontée en quelques minutes. Ainsi à chaque entrée il y a des personnages déguisés, avec des costumes flamboyants, magnifiques, très inventifs, racontant une histoire et accompagnés d'un petit poème qui illustre cette histoire... et enfin bien sûr de la musique. Mais on ne sait pas comment cela se passait réellement...
Comment l'organisation et la prestation du Ballet de la Nuit se déroulent-ils ?S.D : Nous voilà donc revenus en 1663... Tout a été décidé très vite, monté en un temps record, les meilleurs artistes du moment ont été appelés pour faire ce que l'on voulais être le plus beau spectacle du siècle... qui ne sera joué qu'une seule fois ! Il ne s'agit aucunement de quelque chose de commercial ou qui a vocation d'être repris, non, on met un maximum de moyen, pour avoir le plus beau moment possible, ainsi ceux qui ont la chance d'y assister y assistent, tant pis pour les autres... cela ne durera qu'une seule fois. C'est un évènement éphémère, une représentation extraordinaire... mais unique. On fait donc appel à tous les meilleurs artistes du temps : les meilleurs interprètes, les meilleurs compositeurs, les meilleurs ingénieurs, car c'est un moment en France où l'on s'aperçoit que les décors de théâtre peuvent bouger. On passe de la toile peinte en fond de scène, avec des chars volants, des changements à vue...
Quelle histoire raconte ce ballet ?S.D : C'est très simple. L'histoire du ballet raconte, au gré des douze heures de pénombre, tout l'univers de la nuit. Des choses les plus ordinaires, comme les paysans qui rentrent chez eux à la fin de leur journée, aux choses les plus inquiétantes : une sorte de pénombre dans la Cour des Miracles, les clochards et les pauvres de l'époque, mais la nuit est aussi le moment des théâtres, des spectacles et des soirées... Passé minuit, il fait nuit noire et c'est le temps des démons, des sorcières, de Satan...
C'est en fait le déroulement de la nuit comme on l'imagine à cette époque qui est raconté ici ?S.D : C'est ça. Et à la fin, le dénouement, après toute l'attente, après les douze heures, il y a le récit de l'Aurore, qui dit " Comme tous les matins j'apporte la lumière sur cette Terre, mais ce matin la lumière que j'apporte non seulement m'a brûlé les yeux, mais va aussi éblouir tout l'univers de sa splendeur, et le Soleil qui me suit, c'est le jeune Louis ". Et c'est seulement à ce moment-là que le jeune Louis XIV apparaît, après douze heures d'attente, habillé du costume du Soleil, dansant devant la cour l'avènement du Soleil, entouré des génies et des planètes.
C'est donc l'arrivée au pouvoir de Louis XIVS.D : Oui, c'est un grand symbole, et c'est pour ça qu'on l'appelle " Le Roi Soleil ".
Combien de temps vous a t-il fallut pour préparer le Concert Royal de la Nuit ?S.D. : C'est un travail qui a mis beaucoup de temps, 3 ans. La principale difficulté était que pour la musique on ne disposait que de l'air : on ne possède aujourd'hui que la partie de violons. Cela signifie qu'il fallait inventer, recomposer toutes les parties de l'orchestre... et ça met beaucoup de temps, car l'idée, ce n'est pas de recomposer comme on le ferait aujourd'hui, c'est de recomposer comme cela était sûrement fait à l'époque. Il faut donc beaucoup se documenter, et puis essayer, se tromper, retenter...
Vous avez parlé de danse, pourquoi ne pas les avoir encore mises en scène ?S.D : Tout simplement par faute de temps ! Le travail demandé a été énorme. Cette œuvre n'avait pas été jouée depuis le XVIIe siècle, car c'est un genre inconnu, c'est un style inconnu et surtout, il n'en existait aucune version complète ! Le pari de la jouer seulement en concert nous a demandé énormément de préparation, de recherche... Cependant ce chemin nous mènera dans deux ans à faire une version scénique.
Combien de temps dure cette œuvre ? Combien d'instruments compte-t-elle ?S.D : Il y 35 instrumentistes, et une cinquantaine d'instruments, certaines personnes en jouent plusieurs. On ne sait pas combien de temps dure cette œuvre. Au XVIIe, on dit qu'elle aurait duré douze heures, composées de 4 veilles, elles-mêmes découpées en trois, chaque partie représentant une heure. Un des spectateurs, un ambassadeur de Venise, puisque tous les ambassadeurs du monde ont été conviés à cette représentation, raconte dans un texte que cela a duré 6 heures. Pour ma part j'ai récupéré environ 2 heures de musique... J'ai en tout cas choisi de présenter un concert de deux à trois heures de musique, et je prévois une version scénique de 5 heures peut être... C'est différent d'un opéra où tout est chronométré, ici il y a énormément de champs libre !
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette œuvre particulièrement ?S.D : Je me suis intéressé à cette œuvre parce qu'elle est légendaire. On en parle dans tous les livres d'histoire, c'est une sorte de lancement symbolique du règne de Louis XIV et de la puissance de la monarchie absolue... Tout le monde connaît ce fameux costume de Louis XIV en Soleil, mais c'est un mythe difficile à découvrir, car très peu de choses restent, et on ne savait pas, jusqu'à maintenant, à quoi ressemblait cette musique ! C'est extraordinaire... Ça fait 50 ans que des grands compositeurs s'intéressent aux répertoires de musique ancienne, tous les grands chefs-d'œuvre ont déjà été joués, tous... sauf celui-là ! Et mettre au jour une telle œuvre inédite, c'est fantastique !
Est-ce qu'entre la période où vous étiez bénévole au Festival de Saintes et maintenant où vous revenez en tant que chef d'orchestre votre point de vue a changé sur l'évènement ?S.D : Pas du tout ! Pour moi c'est le même Festival, la même âme, la même ambiance... Ce que j'adorais déjà lorsqu'adolescent je venais ici, j'ai toujours la chance de le retrouver ici. Je suis à une autre place, mais l'esprit du Festival reste d'année en année...
Margot Douteau
The following two tabs change content below.