En réaction à notre dossier sur la valeur marchande des artistes en festival, François Maigret, alias Shanka, guitariste français de The Dukes, No One Is Innocent ou encore The Holmes, s'est fendu d'un billet d'humeur dans lequel il dénonce le business aussi triste que juteux des festivals, tout particulièrement envers les "petits" artistes. Particulièrement bien senti: nous ne résistons pas à vous le retranscrire ici.
© REUTERS/Mark Makela>> Le dossier La valeur marchande des artistes en festival, issu de notre n° spécial festivals du 19 juin, est toujours disponible par ici.Ami(e) professionnel(le) du spectacle, tu reviens probablement du Hellfest, donc tu es en mode "j'apprends à mes enfants à faire les cornes, j'écoute Iron Maiden en allant faire les courses et pour moi la vie n'est qu'une autoroute vers l'enfer". Avant que tu ne reviennes à ton quotidien d'apparatchik féru de hype et d'électro-pop, je profite de ces bonnes dispositions (malheureusement temporaires) pour interpeller ta conscience.Si tu es le professionnel du spectacle courageux et consciencieux que je rencontre parfois, et si tu ne te reconnais pas dans ce qui suit, ne le prends pas pour toi. Par contre, si tu es le professionnel du spectacle qui se croit courageux et consciencieux mais nage dans le déni, que je rencontre beaucoup plus souvent, je te le demande poliment, réfléchis à ce que qui suit et parles-en avec tes collègues, ça ne peut pas faire de mal.Je reposte le lien ici et j'en profite pour développer mon propos. Je rentre demain en France des US pour le festival Pic'arts avec The Dukes, le fait de revenir chez moi est probablement à l'origine de cette envie de lancer une bouteille de sriracha sauce à la mer de Facebook (vous noterez l'habile hommage à une époque révolue chère à mon coeur...), car j'aime mon pays et ce qui s'y passe me remplit d'amertume.Pour commencer, et comprendre mon point de vue, sachez que depuis le début de ma carrière de musicien, j'aurais pu facilement me contenter de naviguer dans les eaux confortables du mainstream (j'ai eu la chance d'y mettre un pied très tôt). En mode "professionnel de la profession" si vous préférez. Or, vous n'avez pas idée de ce à quoi j'ai dit non, jusqu'à très récemment, par amour de l'art, du rock'n'roll et de l'adrénaline. Parce que le challenge est quelque chose qui me plaît et que ce qui m'intéresse dans la musique, c'est la création et la performance, pas grimper les échelons de cette corporation (le choix de ce terme n'est pas innocent).Mais revenons à cet article sur l'état du business de la musique live.
Les "gros" artistes raflent tout et les "petits" se font marcher dessus, quand ils ont la chance de ne pas se faire purement et simplement ignorer.Cet article est assez bien documenté et dit la vérité. Oui, les cachets des têtes d'affiche sont devenus hypertrophiés. Pour faire simple, les "gros" artistes raflent tout et les "petits" se font marcher dessus, quand ils ont la chance de ne pas se faire purement et simplement ignorer. Tous les tourneurs qui font du développement s'en plaignent, sans exception. Les seuls qui arrivent encore à placer du "petit" sont les gros tourneurs qui font du chantage aux programmateurs, du type "si tu ne prends pas mon petit, t'auras pas mon "gros". Vous avez vu, c'est subtil, hein.Quant aux festivals qui n'ont pas les moyens de se payer une tête d'affiche, ils disparaissent faute de fréquentation. Et ils sont nombreux dans ce cas.Amis programmateurs, qui saura commencer à inverser cette tendance affreuse? N'y a-t-il pas un moyen de vous entendre entre professionnels pour refuser les hold-ups, varier les affiches et garder un peu plus de sous et de place pour la découverte qui se meurt?À Bourges, au lieu de bitcher et picoler sans écouter les groupes qui jouent (il ne faut pas généraliser, mais quand même, entre nous, je vous ai grillés plus d'une fois, hein!), ne pourriez-vous pas, à jeun, déterminer une stratégie commune pour essayer de renverser la vapeur? Au moins essayer, pour les générations futures?
Ceux qui "ont vu Nirvana avant tout le monde" ne font rien pour trouver le Nirvana de 2015.Franchement, voir la majorité des grandes écluses du renouveau musical dans mon pays pilotées par des gens propulsés "nouveaux notables" par l'âge d'or du disque, qui rappellent pour certains quotidiennement à qui veut l'entendre (ou pas) qu'ils "ont vu Nirvana en 94 avant tout le monde", mais qui ne font rien pour trouver le Nirvana de 2015, ça me frustre et ça me met en colère, ainsi que toute une génération de musiciens. Ce genre de discours, ça n'est pas qu'un cliché, croyez-moi.Je préfère l'écrire ici noir sur blanc que de râler dans un van comme tout le monde. Nirvana étant, vous l'aurez compris, un simple exemple, toutefois assez représentatif du double discours ambiant.Tout cela ne m'empêchera pas de vivre, la musique est mon métier et le restera. Mais il me semble important que les quelques personnes qui suivent mon travail sachent qu'on se bat constamment contre un "establishment" culturel de plus en plus nauséabond malgré certaines poches de résistance de plus en plus petites.Vous en doutez? Regardez les affiches de la majorité des festivals et la programmation de la SMAC du coin. Uniformité, aseptisation, ça en deviendrait risible si ça n'était pas aussi étouffant.Certaines SMAC (salles de concert subventionnées NDLR) affirment désormais haut et fort que leur rôle n'est pas de promouvoir la scène locale et le développement d'artistes, alors que c'est (entre autres) la mission que la collectivité leur a confiée. Sans même parler du fait que certaines SMAC voient leur programmation imposée par la mairie... Eh si, ça existe.Dans ce cas, chère SMAC, si vous êtes une salle dotée d'objectifs purement commerciaux, puis-je reprendre les impôts divers qui vont de ma poche à la vôtre? Très chère Fleur Pellerin, au lieu de décorer les Brigitte (!), ne pourriez-vous pas plutôt vous pencher sur cette situation purement scandaleuse?
Regardez les affiches des festivals en France depuis quelques années, et osez me dire que ça ne se dégrade pas en termes de diversité et de prise de risque.Acteurs du live en France, remettez-vous en cause. Certains d'entre vous essayent vraiment, avec passion et sincérité, je le constate tous les jours, mais c'est insuffisant. Vous voulez vraiment que les futurs ados soient encore et toujours fans de Metallica ou des Stones? Why not, mais si ça continue, ça sera leurs hologrammes, ils ne seront pas éternels. Vous imaginez? Et si on relançait un peu la roue du turnover musical, vous ne pensez pas que ça ferait du bien à tout le monde? Je ne comprends pas de quoi vous avez peur. Une fois encore, regardez les affiches des festivals en France depuis quelques années, et osez me dire que ça ne se dégrade pas en termes de diversité et de prise de risque, et là c'est autant le client que le musicien qui parle. Ne vous méprenez pas, j'entends bien que vos contraintes sont toujours plus compliquées chaque année et je suis ouvert aux arguments, mais en contrepartie je vous prie d'essayer de comprendre mon désarroi et celui de mes semblables et de tenter une réflexion sur ce sujet sans vous cacher derrière un "c'est pas ma faute-euh" un peu léger. Je crois que chaque acteur a sa part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer.Beaucoup de musiciens comme moi se sont remis en cause justement, en travaillant dur, sans les maisons de disques, autant sur l'artistique que sur le management, en se passant de vous en allant tourner hors de nos frontières et en produisant des disques et des spectacles de niveau international. J'insiste sur ce point et je me permets de l'affirmer car vous n'avez pas idée de ce qui est en train de se passer pour mon groupe the Dukes aux US, après seulement quelques dates et quelques rencarts. On hallucine, habitués que nous sommes à la frilosité française. Il y a de très bons groupes et artistes en France, encore faut-il jouer le jeu du développement, ce qui est de moins en moins le cas, autant du côté tourneurs que du côté programmateurs. Donc s'il vous plaît, arrêtez de prétendre qu'en France, c'est soit de la hype, soit des DJ.Pardonnez la brutale honnêteté de mon propos, mais je refuse que la pratique de la musique ne devienne un ghetto pour gosses de riches. Or, la mort clinique du circuit "off" des bars à concerts (enfin en Belgique il en reste encore heureusement) et le refus de le plupart des festivals et des SMAC d'assurer leur rôle de canal de découverte (la vraie, celle qui suppose une prise de risque) est en train de faire de cette triste prophétie une réalité.Sans tomber non plus dans le "cocorico", un peu de fierté que diable, notre pays a un vrai truc à offrir, y compris dans le rock et tous ses sous-genres.En conclusion de ce long post, si vous croyez que ça m'amuse d'écrire ce genre de billet d'humeur, vous vous trompez, ça m'emmerde. Il y a plus important à dénoncer en ce moment, des Erythréens séquestrés et torturés en Afrique jusqu'aux récents crimes racistes aux US, etc.Mais peu de gens osent s'exprimer sur ce sujet côté musiciens, par habitude de prétendre sur Facebook que tout va SUPER et tout est GÉNIAL même si c'est tout l'inverse et de peur de voir des réactions du genre "oui enfin bon c'est encore un aigri, haha lol quel loser, viens Jean-Michel on va voir Micheline and the Sauce Blanche au Falafest, ça c'est la win", donc en tant que Lorrain-tête-de-con-qui t'emmerde-de-toute-façon je me dois de m'exprimer et faire éventuellement réfléchir les quelques personnes qui tomberont là-dessus.Partagez si ma prose vous a interpellé.Bisous.Shanka, musicien et deux ou trois autres trucs.
http://focus.levif.be/culture/musique/business-des-festivals-les-gros-artistes-raflent-tout-et-les-petits-se-font-marcher-dessus/article-opinion-404293.html