Mustang est le genre de film où il vous faut rester assis dans votre fauteuil quelques minutes après le générique pour vous en remettre. En tout cas, il m’a personnellement percutée. Peut-être est-ce parce qu’il parle de ma génération, de jeunes filles de mon âge, qu’il a cet écho singulier où l’on s’identifie plus qu’on ne le voudrait aux personnages. Peut-être est-ce parce qu’il parle d’une cause qui me tient particulièrement à coeur.
Mustang © Ad Vitam
Mustang est d’abord une réécriture de Virgin Suicides – de Sofia Coppola. Lale, Nur, Ece, Selma et Sonay sont cinq soeurs. Elles sont belles, elles sont désirables, elles sont jeunes et fougueuses, elles transpirent la vie, la liberté, l’amour. Avec leurs longues crinières brunes, leur regard espiègle, leur peau de porcelaine, elles rappellent cette race de cheval, qui donne son nom au film, sauvage et révolté. Liées comme les cinq doigts de la main, elles représentent le fantasme de tous les jeunes garçons de ce village éloigné de Turquie.
Un soir, alors qu’elles rentrent de l’école, elles s’attardent à jouer avec ces garçons. Un jeu innocent, un jeu tout bête, de bataille dans l’eau, dont on ne comprend qu’insidieusement les conséquences perverses qu’il va entraîner. Enfermées par un oncle autoritaire, elles sont surveillées par une grand-mère au rôle ambigu et complexe, coincée entre la peur, la protection et la morale. Ragots et interprétations font le reste, et des rumeurs malsaines se répandent comme trainée de poudre dans la communauté ; peu à peu, ce sont elles qui font les lois.
Dans cette société aux moeurs étriquées, il n’y a de place ni pour grandir, ni pour s’émanciper, être libre, aimer, et petit à petit la fratrie voit se construire autour d’elle des murailles d’interdits faites d’hypocrites bonnes moeurs. La révolte de ces jeunes filles gronde alors même que les barbelés – bien réels, eux – qui entourent la maison se font de plus en plus en hauts.
Mustang © Ad Vitam
Le film avançant au rythme cadencé du galop – pour filer la métaphore – est porté par le courage et la détermination de Lale, la petite dernière, qui voit s’annoncer dans celui de ses soeurs son propre destin terrible et s’accroche à tout ce qu’elle peut pour s’extirper de cette situation qu’elle ne peut se résoudre à accepter. La force de cette petite fille est certes un peu irréaliste, mais témoigne d’une hargne, d’une volonté, d’une rage de sortir de cet engrenage infernal, bravant tous les interdits, surmontant toutes ses peurs. Et on y croit, on lutte pour le destin de cette petite fille, qui du haut de ses dix ans se débat si furieusement. Ses soeurs ne sont pour autant pas en reste, et se jouent des barrières qu’on leur impose, repoussent les limites, toujours plus loin, étouffant dans leur prison pas si dorée, chacune à sa façon.
On retiendra la scène du stade, absolument libératrice, et qui constitue un point d’orgue du film. Alors qu’elles ont interdiction d’assister à un match de football dont le public est pourtant uniquement constitué de femmes, les cinq soeurs s’échappent, coûte que coûte, sautent sur cette occasion. On les admire, dans cette arène qui n’a jamais été aussi effervescente, débordant de toutes les jeunes filles du monde, subjuguées, transportées, dépassées par la joie que leur procure cette libération, cette excitation, ce bonheur finalement, si simple et si intense, qui sera de si courte durée.
La réalisatrice, née en Turquie mais vivant en France, fait de son film le porte-étendard d’un combat bien plus large. « On ne fait pas un film comme un discours politique » déclare-t-elle, mais il y a bien un message à faire passer dans Mustang. Sur la condition des filles et femmes turques, dont personne ne parle, que personne n’ose dire, et qui pourtant n’ont d’horizon que le mariage forcé. Sur l’importance cruciale de l’éducation. Sur l’absurdité de sociétés qui érotisent la femme et le moindre de ses gestes, et l’enferment, sur ces mêmes prétextes. Sur la jeunesse – car il ne faut pas omettre que ces interdits s’appliquent aussi aux jeunes garçons, et ont des conséquences tout aussi dramatiques – sur les libertés, sur l’amour aussi. Il y aurait tant de choses à dire sur Mustang…
On m’a dit que Mustang était peut-être un peu exagéré. Trop idéaliste, trop caricatural dans ses personnages. Trop condensé, peut-être. Mais je n’en suis pas si sûre. Ce film se veut le reflet, condensé certes, d’une réalité qui existe bel et bien. L’enfermement de ces jeunes filles est symbolique, la bestialité de l’oncle, qui rassemble effectivement tous les vices, n’est que métaphore de ce que peut contenir d’atrocité l’humain. Mais chacun de ces maux a une réalité quelque part.
On m’a dit aussi que le film n’était pas le chef d’oeuvre cinématographique et esthétique qu’on pouvait attendre. Peut-être pas. Mais Mustang dit quelque chose, parle de quelque chose qui est tu et minimisé au travers le monde et dont personne ne semble s’alarmer. Mustang n’est probablement pas un trophée du septième art, mais il ne s’agit pas que de ça ici.
Mustang © Ad Vitam
Mustang est un film que tout le monde devrait voir. Que tous ceux qui me disent que le combat féministe est d’un autre temps, ou pire, exagéré, viennent s’assoir une heure trente devant Mustang et constater quel degré la barbarie et l’injustice faite aux femmes peut atteindre. Qu’ils viennent s’enivrer de la force et de la rage de ces jeunes filles, dont le combat pour leurs droits est subliment porté par les cinq jeunes actrices.
S’il n’est pas un film de Palme d’Or, il exprime un état de fait, tente de faire passer un message, une empathie. Si le cinéma ne se fait pas le reflet de notre réalité, s’il n’est pas vecteur d’idées, s’il n’endosse pas le rôle de conscience du monde, conscience humaine, alors qui le fera ? Les films durs ne font pas le plein au box office, parce qu’on ne veut pas forcément entendre parler de toute l’horreur du monde. Je n’aime pas dire qu’il s’agit de tragédies exagérées, car c’est donner du pain béni à ceux qui nient cette vérité. Ce sont des films qui veulent mettre en lumière une réalité dont on n’est pas forcément conscient, mais qui existe bien et qui mérite d’avoir la plus grande diffusion, afin qu’elle puisse être outrepassée. Mustang est de ceux-là.
Mustang © Ad Vitam
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Mustang, Ad Vitam, 2014
Réalisé par Deniz Gamze Ergüven
Avec Günes Nezihe Sensoy, Doga Zeynep Doguslu, Elit Iscan,
Tugba Sunguroglu, Ilayda Akdogan, …
Durée : 1h37
Actuellement au cinéma.
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