Surtout, ne pas le dire trop fort ; surtout, ne pas l’affirmer clairement ; surtout, ne pas le revendiquer !
Et que je me repends, et que je me flagelle, et que je cède la place !
Ecoles chrétiennes ? Tout juste ! Plus de catéchisme, plus d’instruction religieuse, plus de prières dans les classes. Des fois que ça choquerait ces pauvres petits et leurs parents, qui ont bien le droit d’être athées, les pôvres ! Dans le monde où nous vivons, allez !
Et puis, il n’y a pas que les athées, dans nos écoles chrétiennes ! Il y a les juifs et les musulmans, aussi. Diable, il faut bien faire rentrer des sous ! Voilà, une notion qu’elle est parfaitement œcuménique : les sous ! Et ces enfants juifs, ces enfants musulmans, pas question de les christianiser, n’est-ce pas, où irions-nous ? On va plutôt leur mettre en place des régimes kasher et hallal, dans nos cantines ; et fêter Hanouka, et égorger le mouton, bientôt !
Un crucifix dans la classe, au-dessus du tableau ? Mais vous n’y pensez pas, ce serait de la provocation ! Nazi, va !
La catéchèse même – nom donné à notre bon vieux catéchisme d’autrefois, parce qu’il faut absolument changer le sens des mots, pour être « modernes » – est elle aussi en danger :
Ecole primaire Saint-Martin, à Vals-les-Bains, année scolaire 2003-2004 : je demande, lors d’une réunion de parents, pourquoi, dans une école catholique, je ne vois pas de catéchisme sur l’emploi du temps. Réponse : si, si, ça y est, regardez bien : « Activité spécifique à l’école ». Pourquoi ne pas mettre « Catéchisme » (j’ai de la suite dans les idées) ? Réponse : l’inspection académique* ne nous l’accepterait pas, ce serait un manquement à la laïcité !
J’aimerais bien voir ce qu’ils indiquent comme activités spécifiques, dans les écoles juives ou coraniques !
* parce que l’école est subventionnée, bien entendu, donc n’a plus de « libre » que le nom… Stat, rosa pristina, nomine : nomina nuda tenemus. Il ne reste plus, de la rose ancienne, que son nom. Nous n’avons plus que des noms.
Dans les années soixante, il y avait une chapelle dans le lycée – lycée d’état, lycée public – où je faisais mes humanités, et un aumônier qui y célébrait des messes, recevait les élèves, etc…, et personne ne trouvait ça choquant. Maintenant, on interdit aux élèves d’arborer des signes ostensibles (ostentatoires ?) de leur religion. Au nom de la liberté, sans doute !
Alors, l’Eglise sent bien à quel point elle est coupable, et elle adopte un profil bas. Et elle se repend : Pardon, pardon, pardon, d’avoir fait l’Inquisition, les Croisades, ces deux horreurs qu’on nous reproche à juste titre (mais nous en sommes revenus et avons fait notre autocritique, n’est-ce-pas ?). Pardon pour l’évangélisation de l’Afrique, les Missions, tous ces hôpitaux et dispensaires, toutes ces écoles, pardon de vous avoir donné, O peuples si injustement conquis, des Mère Thérésa, des Charles de Foucault, des Docteur Schweitzer, des Sœur Emmanuelle, des Abbé Pierre ! Pardon d’avoir été les inspirateurs de la Croix-Rouge, de l’Armée du Salut, d’Emmaüs et des Restos du Cœur ! Pardon d’avoir formé les Européens à la modération, au pacifisme, aux mains tendues, à la fraternité.
Pardon d’être ce que nous sommes. Pardon d’exister. Pardon pour tout le mal que nous vous avons fait, que nous aurions pu vous faire, et pardon aussi pour le mal que vous nous faites maintenant… et nous le méritons bien, allez, salauds que nous sommes !
Trahison des clercs.
Ce n’est pas d’aujourd’hui, remarquez. Le ver était dans le fruit depuis longtemps. Très précisément, depuis que l’Eglise a eu soudainement peur de perdre du terrain en n’étant pas dans le Monde.
En 1960, elle n’était pas « à la mode », dans le vent, nouvelle vague. Elle parlait une langue incompréhensible – le latin, s’habillait de longues et tristes robes noires – les soutanes, s’appuyait fermement sur un dogme pour affirmer sa supériorité sur toute autre forme de pensée et de religion dans le monde, se savait suffisamment en-dehors des partis pour avoir eu des amis chez les staliniens, les nazis, les résistants et les armées alliées… Quand on est sûr de soi, on affirme, n’est-ce-pas ?
En 1960, les églises étaient pleines le dimanche, et la moyenne d’âge n’y avoisinait pas les 75 ans comme de nos jours. Les prêtres eux-mêmes étaient jeunes, et ne se posaient pas la question de savoir s’ils avaient tort d’être chrétiens dans un monde majoritairement musulman et bouddhiste.
Et puis, soudainement, ils ont douté. Et si les gens n’allaient plus nous aimer comme ça ? Et si le latin les emmerdait, à la messe, le dimanche ? Et si nos soutanes étaient un peu trop tristes, trop voyantes ? Et si l’on allait se rendre compte que nous sommes des prêtres ? Et si Dieu n’était pas avec nous ? Et si le Monde ne nous acceptait pas ?
Vatican II puis Mai 68 ont entamé le processus de sciage de la branche sur laquelle l’Eglise était assise. Elle l’a sciée elle-même ! De son plein gré, alors qu’on ne lui demandait rien, alors qu’on ne la mettait pas en doute. Qui était contesté en 68 ? Les profs, les patrons, le pouvoir, l’argent. Pas l’Eglise. Qui réclamait la messe en français au début de Vatican II ? Probablement des gens qui n’allaient pas à la messe !
Trahison des clercs ! A croire qu’au début des années soixante, la hiérarchie chrétienne a eu – secrètement, loin des yeux du peuple – une sorte d’anti-révélation, qui lui a fait perdre la foi ! Le peuple n’était pas au courant, lui, et continuait à croire. Alors, honteux d’eux-mêmes, doutant de tout, ils ont commencé cet incroyable travail de sabotage, pour saborder le navire !
Ils y ont été aidés, certes, et encouragés, par tous les éléments extérieurs, qui avaient intérêt à voir affaiblir la chrétienté, c’est-à-dire, essentiellement, sur le plan historique, le monde blanc, l’Europe !
L’Europe : vilipendée maintenant, accusée par tout le monde pour la colonisation, pour l’impérialisme, pour le prosélytisme forcené de ses valeurs, de son système, de sa religion, de son humanisme. L’Europe, qui a eu des torts immenses, et qui les a reconnus, et qui a tenté de les réparer… Quelle autre civilisation, quelle autre culture en a fait autant ? Les Hindous s’excusent-ils d’opprimer et massacrer les Musulmans, en Inde ? Les Japonais se sont-ils excusés d’avoir massacré et anéanti les Aïnous ? Les Mongols ont-ils fait amende honorable auprès de tous les peuples qu’ils ont opprimés, conquis et massacrés ? Et les Hébreux de la Bible, qui ont exterminé les Madianites et quelques autres peuples dont le nom ne nous a même pas été transmis tellement ils ont été éradiqués, font-ils dans la repentance, maintenant ? Et leurs successeurs, les Israéliens modernes, ont-ils des états d’âme envers les Palestiniens qu’ils ont chassés de chez eux, et qu’ils continuent de persécuter encore aujourd’hui ? Les Zoulous font-ils des excuses aux Boshimans pour les avoir chassés et massacrés ? Et les Chinois, auprès des Thibétains ? Les Turcs, à ma connaissance, ne se sont toujours pas repentis du massacre des Arméniens en 1915…
Tous ces peuples que je viens de citer, sont-ce eux qui ont eu l’idée des Droits de l’Homme, de la Société des Nations, de l’ONU, de la Croix-Rouge, des conventions de La Haye, des Restos du Cœur, de l’Armée du Salut, des disciples d’Emmaüs, Petits Frères des Pauvres et autres institutions charitables ? A part Hammourabi au Proche-Orient, quel peuple autre qu’européen a songé à moraliser le droit, à modérer les violences faites aux individus, à limiter les droits de vengeance et de rétorsion ?
Seule l’Europe – guidée par l’Eglise, éclairée par le message du Christ – a eu le courage, une fois passées ses erreurs de jeunesse, de vouloir corriger et réparer les dites erreurs ; de les reconnaître, déjà, ce qui ne semble pas évident aux autres peuples…
Mais les politiques sont ce qu’ils sont. Derrière leurs meilleures intentions apparentes, il y a toujours un calcul. Et puisque la chrétienté avait sa part dans les erreurs du passé, puis dans leur reconnaissance actuelle, les politiques, qui ne sont plus « chrétiens » au sens où l’étaient les Rois de France, préfèrent rejeter sur l’Eglise seule le poids de la repentance…
L’Eglise a assumé ; un peu trop, même. A force de s’entendre dire que ses prêtres étaient des pédophiles, ses missionnaires des tueurs de cultures, ses institutions charitables des officines de recrutement, ses monsignori des alliés du fascisme, ses couvents et lieux de culte des offenses aux pauvres, ses dogmes des opiums pour endormir le Peuple, sa foi une offense à la raison, l’Eglise a fini par se sentir coupable, tellement coupable qu’elle n’en finit plus, à présent, de s’accuser, de se repentir, de s’autodétruire !
A sans cesse guetter et quêter l’approbation de ses ennemis, de concession en lâcheté, de bassesse en compromission, de terrain perdu en citadelles abandonnées, l’Eglise, petit à petit, est devenue cette grande enveloppe vide et nauséabonde qu’elle est aujourd’hui. Plus de vocations, les séminaires sont vides, les paroisses sont tenues à bout de bras par de vieux prêtres qui ne parviennent plus à faire leur travail, disant parfois, le dimanche, jusqu’à 6 messes dans six villages différents ; pourquoi se donnent-ils tant de mal, d’ailleurs, les églises de ces villages sont quasi-vides, et leur plus jeune paroissien a rarement moins de soixante ans !
Ces prêtres savent qu’ils ne seront pas remplacés, lorsque, épuisés, ils lâcheront la rampe.
Les laïcs, les fidèles, ont tenté de les aider. Diacres, bonnes volontés diverses, le peuple, lui, n’abandonne pas ; mais, mal guidé, laissé sans cadres, peu formé, il ne peut éviter les dérives ; le rite se perd, le sacré devient profane, des erreurs et des aberrations se glissent dans le rituel, des contrevérités sont dites et enseignées aux enfants. On entend dire que le Pape est le représentant de Dieu sur Terre – bigre ! Moi, je croyais qu’il n’en était que le Premier Serviteur ! Mais le représentant, rien que ça !
A la messe, l’assistance dit – en français – des phrases et formules de rituels réservées au seul prêtre. On apprend, ô miracle, que Jésus a été conçu du Saint-Esprit… Moi, je croyais que les hommes engendrent, tandis que ce sont les femmes qui conçoivent ! Le Credo de Nicée dit bien « engendré, non créé », mais on lui préfère les inexactitudes du symbole dit « des Apôtres », une bouillie prémâchée qui doit bien plus aux liturgistes du XIXème siècle qu’aux Douze disciples de Jésus !
“Things fall apart, the Centre cannot hold” : Tout s’écroule, le Centre ne tient plus… (Yeats)
L’Eglise était, par nature, hors du Monde ; d’abord, pour pouvoir garder ses distances et sa sérénité devant les agitations humaines, son indépendance des partis, sa cohérence face à la multiplicité des pensées et la divergence des intérêts ; ensuite et surtout, parce que, le Monde – et c’est là un élément non négligeable de son dogme – est le fief de l’Autre, du Malin, de l’Ennemi, donc, par nature, un territoire ennemi, un lieu où il ne faut surtout pas s’aventurer, sous peine d’y perdre son âme ! Ne dit-on pas du Diable qu’il est le Prince du Monde ? Jésus n’a-t-il pas dit : « Mon Royaume n’est pas de ce monde » ?
L’Eglise a voulu entrer dans le Monde, et elle est en train de finir d’y perdre son âme.
Et ce sont ses clercs, sa hiérarchie, qui l’ont voulu, manigancé, organisé.
Trahison des clercs !
Things fall apart. The Centre cannot hold. Mere anarchy is loosed upon the world, the blood-dimmed tide is loosed, and everywhere, the ceremony of innocence is drowned.
The best lack all conviction, while the worst are full of passionate intensity. And what rough beast, its hour come round at last, slouches towards Bethlehem to be born ?
W. B. Yeats, “The Second Coming”.
Richard Bach.