Indigènes de la République et convergences des mouvements sociaux Par Philippe Corcuff

Publié le 10 juillet 2015 par Blanchemanche
#immigration #colonialisme #Republique

Par Philippe Corcuff

Juillet 2015

Introduction : les Indigènes de la République et l’intersectionnalité par un « Blanc » trouble


Dans ce texte, j’envisage le double problème de la pluralité des modes de domination, sous l’angle de ce qu’on appelle aujourd’hui, dans des secteurs des sciences sociales comme dans certains milieux militants, « l’intersectionnalité », et des convergences possibles entre mouvements sociaux émancipateurs. Je le fais sous un double plan analytique (l’analyse de ce qui est ou a été), puisant dans les outillages des sciences sociales, et normatif-prospectif (l’exploration de ce qui devrait et pourrait être), relevant de mes engagements militants comme du registre de la philosophie politique. Ce texte est donc un hybride entre logiques universitaire et militante.
Intersectionnalité

L’intersectionnalité se présente comme un espace de problématiques émergeant à la fin des années 1980, d’abord aux États-Unis en prenant appui sur les analyses produites par le Black feminism dès les années 1970, puis en France seulement dans la deuxième moitié des années 2000 [2]. Ces approches diversifiées s’efforcent de s’interroger sur des croisements entre différents rapports sociaux de domination : rapports de classe, rapports de genre, rapports raciaux, etc.
Ces perspectives ne cherchent pas à juxtaposer des logiques de domination diversifiées pour les articuler ensuite, mais permettent de « saisir les mécanismes de domination comme configurations complexes résistant au modèle de la superposition de propriétés sociales indépendantes », selon Alexandre Jaunait et Sébastien Chauvin [3]. Dans cette logique, loin de réduire le positionnement des dominés à « une simple addition de handicaps », elles peuvent insister « sur les contextes permettant des compensations et des retournements »[4]. Cela a également stimulé des travaux ne réduisant pas les mobilisations collectives ou les fabrications identitaires personnelles à « une appartenance objective », mais éclairant la façon dont « les sujets eux-mêmes » participent à bâtir des identités collectives et individuelles dans un contexte de dominations plurielles et complexes [5]. Il faudrait ajouter, si l’on suit la récente rectification de Chauvin et Jaunait : dans un contexte de dominations nécessairement plurielles et complexes, et cela afin d’éviter l’essentialisation de « groupes intersectionnels » et de situations supposées « plus complexes »[6]. C’est ce qui fait que la notion d’intersectionnalité ne peut pas être assimilée à celle d’intersection. Les problématiques de l’intersectionnalité interrogent en particulier de manière critique ceux qui prétendent incarner les différentes catégories d’opprimés, à travers notamment « la monopolisation de la représentation des groupes dominés par les membres de ces groupes qui sont détenteurs de propriétés dominantes » (par exemple, « les femmes blanches de la bourgeoisie » dans le mouvement féministe)[7].
Je vais tenter ici d’éclairer de manière décalée ce type de problématiques en les liant à la question politique de possibles convergences entre des résistances émancipatrices diversifiées, à partir du moment où l’on a pris acte de la pluralité des modes de domination et de leurs chevauchements dans les sociétés contemporaines. Je ne partirai pas, pour ce faire, de la littérature académique, mais des productions intellectuelles d’une organisation récente à visée émancipatrice sur un terrain longtemps marginalisé au sein des grands mouvements et partis émancipateurs en France : l’oppression postcoloniale.
Le postcolonial et les Indigènes de la République

Parler d’oppression postcoloniale, c’est associer une série d’inégalités, de discriminations et de contraintes structurelles affectant l’immigration postcoloniale dans les sociétés comme la France, en faisant la double hypothèse d’éléments de continuité historique entre les colonisations européennes et les processus actuels, mais aussi d’analogies entre les deux périodes, et donc à la fois des proximités et des différences [8]. L’islamophobie, en tant que stigmatisation discriminatoire des « musulmans » et de « l’islam » dans l’espace public, se présente comme une composante significative du contexte postcolonial depuis le 11 septembre 2001 dans le monde occidental, avec une généalogie plus ancienne en France, passant par les premières « affaires du voile »[9]. Le postcolonial constitue un angle éclairant certaines caractéristiques du réel observable, mais sans l’épuiser. Il se présente comme une boussole globale imparfaite (comme tout outillage théorique), mais utile dans les dédales du réel, en offrant par ailleurs des prises pour une action émancipatrice. Cependant, quand le postcolonial prétend absorber toute l’intelligibilité, comme on le verra par la suite, la boussole se transforme en bulldozer aplatissant les rugosités et les contradictions du réel comme les résistances telles qu’elles émergent concrètement.
L’organisation concernée par cette étude est le Parti des Indigènes de la République (PIR), forme largement embryonnaire d’une force politique postcoloniale ou décoloniale [10], qui s’inscrit dans ce que la chercheuse en science politique Soline Laplanche-Servigne appelle, en s’inspirant de la notion d’« espace des mouvements sociaux » forgée par Lilian Mathieu [11], « l’espace de l’antiracisme »[12]. Je m’arrêterai plus particulièrement sur des textes écrits par sa porte-parole et cofondatrice, Houria Bouteldja, ainsi que par quelques autres de ses membres. La critique compréhensive qui sera proposée d’analyses produites par des militants des Indigènes de la République débouchera sur une esquisse de pistes pour penser de manière déplacée le problème des convergences entre mouvements sociaux émancipateurs. Critique, mon approche s’efforcera de mettre à distance des impensés et des écueils, en recourant notamment à des outils puisés dans les sciences sociales, tout en m’inscrivant dans la perspective d’une politique d’émancipation pluridimensionnelle qui reste à bâtir.Compréhensive, elle prendra en compte des questionnements nouveaux et des ressources critiques apportés par cette organisation au pot commun potentiel des mouvements sociaux émancipateurs, en essayant d’écarter les caricatures qui traînent dans les milieux radicaux et libertaires sur elle.
Une biographie militante cahoteuse

Je dois préciser que mes rapports ont évolué au cours du temps vis-à-vis des Indigènes de la République : de signataire de l’appel fondateur de 2005 dans une optique de « soutien critique » à un éloignement progressif sur la base de l’approfondissement de mes critiques. Mais ces critiques, tâchant de prendre appui sur des arguments controversables, sont en rupture avec certaines stigmatisations ayant cours sur les Indigènes de la République : « islamistes », « racistes » ou même « rouges-bruns »[13]….Mes échanges critiques antérieurs avec les Indigènes de la République ont concerné des thèmes que l’on retrouvera dans ce nouveau texte : pluralité des dominations et des racismes [14] comme singularité individuelle et métissage [15].
Mes analyses ne viennent pas de nulle part, mais ont des insertions biographiques. Des racines dans un parcours militant sur presque 40 ans, allant du Parti socialiste à la Fédération Anarchiste aujourd’hui, en passant par la Ligue Communiste Révolutionnaire[16]. Mais j’ai aussi touché du doigt d’un point de vue familial des croisements entre rapports de domination en lien avec la question coloniale : je suis né à Oran en Algérie en 1960, dans une famille « pieds-noirs », avec des grands-parents parties-prenantes des milieux populaires (un grand–père maternel ouvrier-artisan-petit commerçant et un grand-père paternel fermier) subissant la domination de classe tout en bénéficiant des miettes symboliques et matérielles de l’oppression coloniale. En tant que membre des couches moyennes salariées inséré très jeune dans la galaxie militante, j’ai pu souvent expérimenter les usages de ma culpabilité de classe et coloniale au service de pouvoirs dans des grandes et des petites bureaucraties politiques. Avec le temps, cela installe une distance mélancolique nourrie biographiquement avec ces dispositifs de « servitude volontaire » comme plus largement avec les techniques organisationnelles de culpabilisation et de fidélisation. Cependant, ni l’activisme militant, ni les petites lâchetés des « compagnons de route », ni le retrait dans l’aigreur désengagée, ni le refuge dans la distanciation intellectuelle ne peuvent complètement éteindre les inquiétudes nées du choc des fragilités de notre humaine condition socio-historique. Peut-être à certains moments le rire d’un bébé…

1 – Indigènes de la République : quelques rappels et mises en perspective


Le Mouvement des indigènes de la République est une association déclarée officiellement en préfecture en décembre 2005, suite à l’Appel « Nous sommes les indigènes de la République ! » de janvier 2005 [17]. Le MIR est devenu le Parti des Indigènes de la République en février 2010.
Un PIR marginal

Si l’appel de 2005 a eu un certain succès, le MIR, puis le PIR a connu une audience confidentielle parmi les postcolonisés [18] d’après ce que l’on entend dans le milieu associatif des quartiers populaires. On n’a pas de données fiables quant au nombre de ses militants : les évaluations extérieures les plus favorables lui donnent quelques centaines de membres au maximum, d’autres estiment que cette organisation ne dispose aujourd’hui que de quelques dizaines d’adhérents actifs. Il y a donc vraisemblablement beaucoup plus de postcolonisés conscients des discriminations qui les affectent à la CGT, à la FSU ou à Solidaires qu’au PIR !
En 2008, le constat du sociologue Abdellali Hajjat était déjà sévère sur le MIR : « un phénomène essentiellement parisien intra-muros », un « investissement dans le champ médiatique » et une « inexistence politique dans les banlieues françaises »[19]. Par ailleurs, ses membres et surtout ses dirigeants auraient un profil social étroit, marqué par un fort capital scolaire [20]. Ce qui éclairerait le fait que l’accueil reçu par les Indigènes de la République parmi les intellectuels radicaux « blancs »[21] ait contribué à leur donner une importance symbolique bien au-delà de sa faiblesse numérique, dans une logique qui puiserait dans un certain ethnocentrisme intellectuel. Mais les limites sociales associées à l’importance du capital culturel chez les Indigènes de la République ont aussi à voir, dans une réalité ambivalente, avec un de ses points forts : la production théorique.
Il ne semble pas que la création du PIR ait apporté des améliorations notables aux faiblesses de ce mouvement. Trois de ses modes d’intervention principaux apparaissent être :
1) son site internet, agrémenté de provocations qui jouent parfois avec les frontières symboliques installées, mais le plus souvent dans certaines limites éthiques et politiques, qui ne permettent pas de rivaliser avec les buzz produits sur la Toile par le néoconservatisme xénophobe de Dieudonné et d’Alain Soral [22], dont le PIR reconnaît l’écho rencontré parmi les postcolonisés [23] ;2) des apparitions dans les médias (et tout particulièrement, via Houria Bouteldja, dans l’émission télévisée « Ce soir (ou jamais !) » de Frédéric Taddeï) qui appuient aussi souvent sur le registre provocateur dans une logique de buzz ;et 3) une certaine présence sur le marché intellectuel international du postcolonial, notamment à travers l’université de Berkeley aux États-Unis ; l’université française étant nettement plus réservée vis-à-vis des problématiques postcoloniales, pour de mauvaises (une rigidité des frontières disciplinaires et sous-disciplinaires existantes ayant du mal à s’ouvrir à d’autres découpages heuristiques) et de bonnes (au départ une réticence légitime à l’égard de modes intellectuelles débarquant d’outre-Atlantique) raisons.
On observe sur les deux premiers plans la place transversale de la provocation comme forme de rééquilibrage symbolique de l’état de ses effectifs.
Par contre, les Indigènes de la République n’ont pas réussi à bâtir des ponts avec des fractions significatives des émeutiers d’octobre-novembre 2005, dont ils se sont présentés d’une certaine façon comme les porte-parole dans l’espace public. Un passage d’un entretien avec Sadri Khiari, figure intellectuelle du PIR, met bien en évidence une tentation traditionnelle des groupuscules, maintes fois déjà expérimentée dans les organisations « blanches » d’extrême gauche, s’appropriant des mouvements sociaux auxquels ils n’ont pas participé et auxquels ils n’ont pas su se lier, et dont ils prétendent pourtant donner le sens politique de l’extérieur comme une avant-garde :
« C’est peut-être présomptueux à dire mais, sur le plan politique, le PIR a ouvert une nouvelle séquence dans l’histoire des luttes de l’immigration qui n’en est encore qu’à ses préliminaires. Nouvelle séquence dont l’expression sur le terrain a été la révolte de novembre 2005. »[24]

Dans ce cas, la matrice léniniste-trotskyste « blanche » initiale de Sadri Khiari (il a été un des animateurs d’une organisation trotskyste marginale en Tunisie), une des variantes historiques d’un rapport tutélaire à la politique, apparaît fort prégnante.
Apports des Indigènes de la République à la critique sociale émancipatrice

On ne doit cependant pas s’arrêter à cet état de marginalisation, que les groupuscules tentent souvent de compenser par une arrogance rhétorique. Car les Indigènes de la République ont su fournir de nouveaux questionnements et de nouveaux éclairages pour les mouvements sociaux émancipateurs. Dans un climat marqué par une certaine désintellectualisation à gauche [25], ils ont donné de la consistance théorique à leurs analyses, comme je l’ai déjà noté. Et, surtout, ils ont opportunément lancé un mouvement autonome de postcolonisés, alors que les gauches, le mouvement ouvrier et nombre de mouvements sociaux avaient largement tenus à la périphérie à la fois les postcolonisés et les problématiques postcoloniales, contribuant ainsi à leur niveau à la reconduction de l’oppression postcoloniale. Et ils l’ont fait dans une indépendance vis-à-vis des institutions politiques existantes. De ce point de vue, ils ont enrichi le pluralisme émancipateur contre les inerties hégémonisantes du mouvement ouvrier.
Dans leurs apports théoriques aux effets pratiques, il faut d’abord noter les appels répétés à « décoloniser » les autres mouvements et organisations émancipatrices, pour s’efforcer de les purger de leurs impensés, réflexes et pratiques d’inspiration coloniale et propres à une oppression coloniale entendue sous le double angle de continuités historiques et d’analogies (et non pas d’une identité) avec les logiques coloniales : « décoloniser le mouvement ouvrier », « décoloniser la gauche », « décoloniser le féminisme », « décoloniser le mouvement homosexuel », « décoloniser l’anarchisme »….On peut aussi relever la capacité à mettre en avant, contre certaines théorisations critiques, « la multiplicité des formes de résistance à l’oppression raciale dont les populations issues de l’immigration coloniale sont les acteurs », et pas seulement « une sorte de matière inerte sur laquelle se construit le racisme »[26]. Si l’on reprend les catégories des sociologues Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, ce refus indigène d’un misérabilisme réduisant les dominés à n’être que des marionnettes de la domination n’implique pas pour autant, chez les Indigènes de la République, un oubli populiste des contraintes de la domination [27].

Un autre point fort de leurs discours et de leurs pratiques concerne l’internationalisme. Il faut dire qu’immédiatement la question postcoloniale elle-même et un mouvement issu des immigrations bousculent nécessairement les frontières nationales. L’importance accordée dans leurs activités tant à la lutte contre l’islamophobie qu’à la solidarité avec la résistance palestinienne vient renforcer cette fibre internationaliste. Le récent meeting du 8 mai 2015 à l’occasion de leurs dix ans sous l’égide d’Angela Davis est venu encore souligner cet internationalisme. Cela constitue un aspect particulièrement important dans un contexte de montée des nationalismes xénophobes en Europe, dans lequel même des figures des gauches critiques apparaissent tentées par des sirènes nationalistes [28].
Cependant, comme toute théorisation, les élaborations intellectuelles des Indigènes de la République rencontrent des écueils et laissent dans l’ombre, elles aussi, des impensés, dont le décryptage pourra livrer un éclairage inhabituel sur la double question de l’intersectionnalité et des convergences entre mouvements sociaux émancipateurs. La critique proposée ici ne se présente surtout pas comme une mise en cause surplombante au nom d’une illusoire « perfection ». J’ai un parcours militant suffisamment jalonné d’échecs, d’erreurs et de difficultés diverses [29] pour ne pas pouvoir prétendre faire la leçon à d’autres. Mais l’examen critique des problèmes politico-intellectuels des Indigènes de la République, comme celui antérieurement de mes propres faiblesses, est susceptible d’alimenter la réflexion mutualisée de ceux qui s’inscrivent dans la perspective d’une émancipation individuelle et collective pluridimensionnelle. Cet essai critique pourra certes être balayé d’un revers de la main comme une incompréhension « blanche » du combat des postcolonisés, voire comme une « manipulation blanche », ce qui viendrait d’ailleurs appuyer une des hypothèses qui sera développée par la suite. Dans l’horizon de convergences possibles entre mouvements sociaux émancipateurs, on pourrait plus modestement le prendre comme un ensemble d’arguments, eux-mêmes limités et controversables, susceptibles de nourrir les dialogues critiques au sein d’une galaxie émancipatrice en (re)constitution permanente.

2 – Intersectionnalité et modèle implicite de « la contradiction principale »


Porteurs du combat contre un type d’oppression souvent marginalisé par les autres forces émancipatrices, les Indigènes de la République insistent légitimement sur leur autonomie. Mais ils le font en basculant parfois implicitement de leur autonomie nécessaire à leur prédominance contestable vis-à-vis des combats contre les autres oppressions. C’est d’autant plus saugrenu eu égard à leur marginalité organisationnelle et politique. Ne vaut-il pas mieux sur ce plan l’auto-ironie libertaire qui ne cherche pas à masquer que nos organisations anarchistes peuvent se contenter de cabines téléphoniques pour se réunir ?
Tentation de l’arrogance

Une certaine tendance arrogante vis-à-vis des autres secteurs critiques apparaît, par exemple, quand Houria Bouteldja lance au colloque « Penser l’émancipation » à Nanterre le 22 février 2014 :
« A ce stade, j’aimerais simplement dire que nous avons vous et nous des tâches respectives : nous PIR ou toute autre organisation des immigrations et des quartiers, nous devons organiser les indigènes dans l’autonomie. Et vous développer ce que Sadri Khiari appelle un « internationalisme domestique ». »[30]

Il y a ici une ambiguïté : s’agit-il des « tâches respectives » des Indigènes et des « Blancs » au sein du mouvement décolonial ou dans l’ensemble de « l’espace des mouvement sociaux »[31] ? Dans ce second cas de figure, les Indigènes seraient invités à mettre en avant leur autonomie et leurs interlocuteurs « blancs » des autres mouvements sociaux leur solidarité vis-à-vis d’eux. Cette dissymétrie laisserait entendre que la question postcoloniale serait plus importante que les autres, constituant une sorte de point de ralliement obligé pour eux.
Cette ambiguïté est renforcée par d’autres indices. Comme je l’ai déjà indiqué, les Indigènes de la République appellent légitimement les autres forces émancipatrices à se décoloniser, c’est-à-dire à se débarrasser d’adhérences coloniales le plus souvent non conscientes. Mais ils refusent, en sens inverse, à ce que ces forces émancipatrices les appellent à se défaire des préjugés et des pratiques inspirées par d’autres modes de domination : que le mouvement ouvrier les invite à se désembourgeoiser et à se dépetitembourgeoiser, que le mouvement féministe les invite à se démachiser, que le mouvement homosexuel les invite à se déshomophobiser… Bouteldja écrit ainsi :
« ce que je dis aux féministes blanches, aux LGBT et les Blancs en général, c’est de cesser de nous donner des conseils et de s’ingérer dans nos luttes mais de convaincre les autres blancs que le féminisme tout comme les luttes LGBT, tout comme l’anticapitalisme sont eurocentriques et qu’ils doivent être décolonisés. »[32]

Dans le cas des rapports entre lutte décoloniale et lutte antipatriarcale, la priorité de la première sur la seconde est clairement affirmée à plusieurs reprises. Par exemple, Bouteldja met en avant à un moment « un féminisme paradoxal qui passera obligatoirement par une allégeance communautaire. Un féminisme décolonial. À contre-courant du féminisme blanc », pour lequel « l’homme indigène n’est pas l’ennemi principal »[33]. Ailleurs, elle avance : « le premier axe de lutte d’un féminisme décolonial qui « articule » est de dire : solidarité avec les hommes dominés »[34]. Pour ajouter :
« Ainsi, la formule politique qui se dégage de tout cela, n’est pas d’affirmer l’entre soi des femmes mais celui du tous ensemble indigène. »[35]

Ce point de vue a pu être radicalement contesté parmi les militant.e.s racisé.e.s. C’est le cas de Jão Gabriell, qui y voit « encore et toujours l’appel en filigrane au sacrifice des meufs (comme des autres parias féminisés) pour La Cause »[36]. Et d’ajouter :
« Un féminisme décolonial dont le souci n’est pas de décentrer la position masculine dans l’analyse sur la race n’est ni féministe ni même décolonial. »[37]

De manière convergente, Ms Dreydful, refuse, en tant que « meuf de couleur », de faire de « l’homme noir (…) un sujet central, pour penser l’émancipation », ce qui légitimerait « les patriarcats non-blancs »[38].
Imaginons que le mouvement ouvrier réclame aux Indigènes de la République que « le tous ensemble prolétaire prime sur l’identité indigène ». Ou que le mouvement féministe demande que « l’entre soi des femmes soit premier par rapport au tous ensemble indigène »… « Préjugés coloniaux » et « impérialisme eurocentrique » seraient immédiatement mobilisés pour dénoncer ces « propos paternalistes inacceptables » ! Les Indigènes de la République ne font-ils pas ici ce qu’ils reprochent aux autres mouvements sociaux émancipateurs de leur avoir fait et de leur faire ? Il est pleinement légitime qu’un mouvement social émancipateur se situe par rapport à une question principale (ici la question décoloniale), mais il est nettement plus contestable qu’il prétende définir la question principale de l’ensemble des mouvements sociaux, qui seraient alors appelés à tourner autour de lui.
La tentation de « la contradiction principale » et du mouvement social « central » d’inspiration marxiste

Se dégage à travers la tentation de l’arrogance un implicite qui apparaît puiser dans une certaine vulgate marxiste, et qui dans ce cadre a beaucoup servi paradoxalement à périphériser les luttes anticoloniales, antiracistes et postcoloniales : le thème d’une « contradiction principale » par rapport à laquelle les autres contradictions sont vues comme secondaires. Un marxisme simplifié, à distinguer de l’œuvre composite de Marx lui-même [39], a souvent fait de la contradiction capital/travail la contradiction principale, ce qui attribuait au mouvement ouvrier un rôle central, par rapport auquel les autres résistances étaient considérées comme « spécifiques », comme on disait dans les années 1970 pour parler des luttes féministes, homosexuelles ou antiracistes. Ce marxisme mécaniste a été clairement synthétisé et repris à son compte par Alain Touraine à la fin des années 1970 dans sa sociologie des mouvements sociaux :
« À un système d’action historique correspond un rapport de classes principal et par conséquent un couple de mouvements sociaux antagonistes. »[40]

La particularité de Touraine à l’époque par rapport aux marxistes, c’est qu’il considérait qu’on était sorti de la contradiction capital/travail comme principale, qui n’aurait valu que dans la société industrielle, et qu’on entrait dans une autre contradiction principale propre à la société « post-industrielle » appelant un autre mouvement social central…qui s’est révélé finalement évanescent, d’où l’abandon par Touraine de la sociologie des mouvements sociaux.
Or, certains passages des textes de Houria Bouteldja font comme si la contradiction postcoloniale était la contradiction principale à laquelle les autres oppressions devaient se référer comme telle, en dotant les Indigènes d’une centralité au sein des mouvements sociaux contemporains. Ce qui n’impliquerait pas de rapports de réciprocité entre mouvements sociaux à cause d’une sorte de hiérarchie logique a priori entre les causes défendues. Cette pente du PIR quant aux chevauchements des dominations et à l’horizon de convergences entre mouvements sociaux a, par exemple, conduit le militant antiraciste et sociologue Saïd Bouamama, bien qu’un des initiateurs de l’appel de 2005 et que sympathisant de cette organisation, à ne pas la rejoindre [41].
Cette tendance apparaît cependant hésitante dans les textes des Indigènes de la République. On y rencontre des formulations plus ou moins contradictoires. Un des penseurs de ce groupe, Sadri Khiari, peut ainsi avancer :
« Au jour d’aujourd’hui, les systèmes et les modes de domination sont certes largement interdépendants mais ils ne sont pas réductibles les uns aux autres et tous à la domination de classe. On ne peut, de ce point de vue-là, hiérarchiser les différentes luttes sociales en fonction d’un enjeu central qui rendrait pratiquement secondes, subordonnées, voire incongrues, les autres combats. »[42]

Mais plus loin dans le même ouvrage, il écrit :
« ces populations se déterminent pour une part importante en fonction de l’oppression postcoloniale qui est leur quotidien à toutes. »[43]

Il semble là mettre timidement un petit doigt dans la machine à « contradiction principale ». Et si l’on relie les deux extraits, l’hypothèse que ce qui vaut pour « la domination de classe » ne vaudrait pas pour « l’oppression postcoloniale » n’est pas clairement évacuée ni validée, la phrase demeurant vague et ambiguë.
Au lieu de se confronter pleinement au double pari de la pluralité (des dominations et des mouvements sociaux) et de l’immanence (le mouvement réel des luttes sociales et politiques et de leurs convergences aléatoires, tâtonnantes et partielles), ces textes laissent la porte ouverte à une régression vers une architecture à prétention transcendante de type marxiste traditionnelle…qui aurait bien besoin d’être davantage décolonisée.
Je l’ai déjà dit : il est tout à fait légitime et même souvent nécessaire – ne serait-ce que pour asseoir son autonomie, surtout quand on bataille dans un secteur longtemps marginalisé – de considérer que la cause sur laquelle on se mobilise est la principale pour soi. C’est un des points forts du PIR. Cela n’implique pas pour autant de laisser entendre que la légitime cause principale d’un mouvement social pour lui-même renverrait aussi à la caractéristique principale du réel social-historique considéré d’un point de vue global. Par contre, cela permet – et c’est justement cela qui introduit une rupture décisive avec des habitudes longtemps installées par les formes dominantes prises par le mouvement ouvrier – d’invalider la demande adressée par tel ou tel mouvement social (le mouvement ouvrier, le mouvement féministe ou…le mouvement décolonial) aux autres combats, au nom de ce global saisi de manière a priori et transcendante, de faire passer leurs causes respectives derrière celle de la supposée « cause principale » ou même, de manière plus soft, derrière l’articulation des différents mouvements sociaux envisagée par avance dans un schéma théorique à prétention transcendante.
En creux de ces analyses, on pourrait avancer qu’une perspective émancipatrice pluridimensionnelle reformulée en ce début de XXIème siècle aurait quatre écueils historiques à éviter :
1) celui de la prétention à incarner « le mouvement principal », faisant des autres mouvements des mobilisations « spécifiques », à la manière dont le mouvement ouvrier s’est souvent pensé de manière dominante ;2) celui d’un projet d’articulation fourni clés en main à l’avance, indépendamment des pratiques sociales et politiques, dans lequel toutes les luttes à visées émancipatrices devraient nécessairement rentrer en y occupant strictement les places qui leur ont été attribuées abstraitement par la théorie ; ce que Sébastien Chauvin et Alexandre Jaunait critiquent sous la dénomination de « l’impératif intersectionnel »[44] ;3) celui de « l’ambition totalisante qui chercherait à problématiser au sein d’un seul et unique mouvement toutes les dominations possibles », encore selon Chauvin et Jaunait [45], écueil dérivé des séductions de la vieille catégorie philosophique de « totalité », qui pourrait être utilement remplacée par celle, plus modeste, de « global »[46] ;et 4) celui d’une téléologie historique, ayant beaucoup marqué le marxisme, qui ferait des convergences entre mouvements sociaux émancipateurs une nécessité, et non pas une possibilité dans une histoire marquée par l’incertitude.

3 – De quelques impensés et écueils des décoloniaux… empreints de préjugés coloniaux


À partir de la tentation globale de « la contradiction principale », on peut repérer une série d’impensés et d’écueils qui viennent la renforcer. Ces travers ont d’ailleurs souvent des liens historiques avec des dispositifs coloniaux. Comme quoi la décolonisation des esprits est un chemin difficile : ce qui ne concerne certes d’abord « les Blancs », mais aussi les Indigènes de la République…
L’unification comme mode de construction de la politique hérité de la forme de l’État-nation moderne… colonial

Les Indigènes de la République insistent sur la constitution « une voie politique décoloniale qui unifie »[47]. Les « Principes politiques généraux du Parti des Indigènes de la République », adoptés à son Congrès constitutif des 27 et 28 février 2010, se proposent ainsi de « développer une politique unifiée et indépendante et à agir à l’échelle nationale pour engager les institutions de l’Etat dans une politique décoloniale »[48] Et d’ajouter :
« Le PIR se donne pour tâche de contribuer à la formation d’une Direction politique unifiée. »[49]


Or, le vocabulaire de l’unité et de l’unification, même s’il semble aller de soi tellement il est répandu, n’est pas neutre pour dire la politique. L’écrasement du Multiple sous l‘Un constitue même historiquement une modalité dominante de l’État-nation moderne, autoritaire, capitaliste, sexiste, hétérosexiste et colonial. Le britannique Thomas Hobbes en a livré une des premières formulations théoriques au XVIIème siècle avec la figure du Léviathan, entendu comme « la multitude ainsi unie en une seule personne »[50]. Les gauches républicaines, socialistes et marxistes « blanches » ont souvent arbitré, dans le sillage de Hobbes, en faveur de l’Un contre le Multiple. Cette prédominance traditionnelle du vocabulaire de « l’unité » et de « l’unification » a donc bien été ajustée à la construction des États-nations modernes, en tendant à aplatir la pluralité humaine comme la diversité des mouvements sociaux.
Toutefois la critique de l’autoroute de « l’unification » dans la fabrication de la politique ne peut constituer le seul repère en la matière. Car une politique émancipatrice a aussi à se saisir du commun – du commun généré par telle ou telle oppression comme du commun entre les oppressions -, sans pouvoir se contenter de célébrer la pluralité. Comment alors se saisir du commun sans tomber dans les travers dominants « unificateurs » ? Cela pourrait constituer une invitation à reformuler différemment les relations entre la pluralité et les espaces communs. Dans son ouvrage inachevé Qu’est-ce que la politique ?, la philosophe Hannah Arendt fournit une piste suggestive de ce point de vue. Elle avance d’abord :
« La politique repose sur un fait : la pluralité humaine. »[51]

Puis elle précise :
« La politique traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents. »[52]

La politique, en un sens émancipateur, consisterait à créer des espaces communs en partant de la pluralité humaine, sans écraser cette pluralité au nom de l’Un ; cet écrasement étant une des caractéristiques principales du risque « totalitaire » pour Arendt. La galaxie altermondialiste a déjà amorcé des repères en ce sens avec le vocabulaire des « convergences » et des « coordinations ». Ce sont des mots qui disent le commun à partir de la pluralité, et non pas à la place de la pluralité. Nous pourrions aussi puiser dans le vocabulaire ouvrier, socialiste et libertaire du XIXème siècle en France : celui de « l’association », de « la mutualisation », de « la coopération » ou de « la fédération ». Cette perspective réorientée nous incite à ne pas faire du commun un espace unifié préalablement, qui s’imposerait par avance aux mouvements sociaux et aux individus, en laissant ouvertes les modalités de reconnaissance d’un commun déjà là, en tout cas au moins en germe, comme d’élaboration de nouveaux espaces communs à travers des pratiques résistantes. Ce qui suppose de ne pas esquiver les conflits et les tensions inéluctables entre les mouvements comme entre les individus.
Un impensé quant à la critique libertaire de la représentation politique comme mode de domination

Houria Bouteldja ne met guère de distance critique, ne serait-ce que sous la forme de l’auto-ironie à la manière du sous-commandant Marcos [53], entre elle en tant que porte-parole et ceux dont elles portent la parole : pas seulement les quelques centaines de membres de son organisation, mais l’ensemble des postcolonisés… et même à un moment d’humilité extrême de « la Oumma » musulmane en son entier (plus d’un milliard de personnes, rappelle-t-elle [54]). On comprend certes les horizons qui s’ouvrent devant une dirigeante d’un groupuscule à se projeter ainsi imaginairement comme porte-parole de plus d’un milliard d’êtres humains ! « Dérision de nous dérisoires », chante Alain Souchon dans Foule sentimentale… mais c’est de la chansonnette « blanche » !
D’ailleurs, les « Principes politiques généraux du Parti des Indigènes de la République » font de la logique représentative une nécessité :
« La constitution d’une identité politique commune des indigènes exige l’existence d’un pôle unifié représentatif. »[55]

La logique représentative apparaît déjà au cœur du modèle étatique chez Hobbes qui parle ainsi de « confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté »[56]. Le sociologue Roberto Michels analysant la social-démocratie allemande « blanche » au début du XXème siècle dans une des premières études systématiques des partis politiques y voyait une « tendance à l’oligarchie » au sein des organisations à visée démocratique, associant « institution du phénomène dirigeant » et « domination des représentants sur les représentés »[57]. Pierre Bourdieu prolongera l’analyse à la fin du XXème siècle :
« Il y a une sorte d’antinomie inhérente au politique qui tient au fait que les individus – et cela d’autant plus qu’ils sont démunis – ne peuvent se constituer (ou être constitués) en tant que groupes, c’est-à-dire une force capable de se faire entendre et de parler et d’être écoutée, qu’en se dépossédant au profit d’un porte-parole. »[58]

Bourdieu nous dit au moins deux choses dans cette phrase. Premièrement, pour voir ses aspirations et ses intérêts pris en compte dans l’espace public, un groupe (des ouvriers aux postcolonisés) a besoin de porte-parole; mais, deuxièmement, l’existence de ces porte-parole contient le risque de la domination des représentants sur les représentés (ne serait-ce qu’en parlant à la place de ceux dont ils portent la parole).
Cette matrice représentative a aussi alimenté la politique coloniale et postcoloniale, que le PIR se contente sur ce plan de reconduire, sans travailler explicitement sur ses ambivalences. La logique représentative s’exprime également dans le cas du PIR quant au rapport à l’extérieur de l’organisation, dans une façon de justifier « la ligne » dirigeante dans la suspicion à l’égard des paroles « blanches », y compris celles de ceux qui sont nommés « nos alliés blancs ». Le sociologue Éric Fassin constitue un de ses « alliés blancs » les plus malmenés et suspectés par le PIR [59]. Le communisme stalinien « blanc » avait aussi beaucoup recouru, bien avant, à ces techniques rhétoriques de consolidation du pouvoir des dirigeants, censés incarner « la classe ouvrière », et jouant alternativement avec ceux qui étaient qualifiés de « compagnons de route » de la carotte de la reconnaissance symbolique et du bâton de la stigmatisation de « l’influence bourgeoise et petite-bourgeoise ». On a pu observer des logiques analogues au sein du mouvement féministe, dans la stigmatisation des origines « masculines » ou « sous influence masculine », leur déniant alors toute possibilité d’avoir un caractère « féministe », des analyses mettant l’accent sur la pluralité des usages du foulard islamique contre leur réduction à la seule logique de l’oppression des femmes.
Sébastien Chauvin a bien décrypté ce dispositif de pouvoir à partir d’une double expérience dans le trotskysme et dans le mouvement homosexuel :
« en posant la nécessité d’une continuité d’essence entre représentants et représentés, il présuppose une fausse homogénéité du groupe – et en produit l’homogénéisation mythique. Cette homogénéisation fonctionne comme un instrument politique de la domination symbolique des membres dominants du groupe dominé sur ses membres dominés »[60].

Hassan Budour nous invite légitimement à une décolonisation nécessaire de l’anarchisme [61]. Ce qui implique notamment de prendre la mesure de l’islamophobie aujourd’hui dans les rapports de domination et incite les libertaires à reproblématiser la façon de considérer les religions [62]. Cependant, il ne faudrait pas oublier un autre volet nécessaire : anarchiser le mouvement décolonial, entre autres sur le triple plan de la critique de l’étatisme unificateur, de la représentation politique et de la réévaluation de la place des individualités, que va être abordée maintenant.
Un impensé quant à la singularité individuelle comme lieu d’expériences sociales plurielles et d’appartenances collectives

Les individualités n’existent pas comme une dimension importante du discours du PIR. Le je tend à fusionner dans le nous, sous la modalité de l’unification déjà repérée. Houria Bouteldja affirme ainsi :
« Un projet décolonial ne peut pas être pensé à partir des individualités, mais à partir des cultures et des identités opprimées. »[63]

Comme dans les gauches « blanches », le « logiciel collectiviste », posant implicitement ou explicitement la prédominance du collectif sur l’individuel, apparaît hégémonique [64].
Les réticences critiques à l’égard de la thématique du métissage chez Bouteldja, en particulier sous la figure des « mariages mixtes » entre musulmans et non-musulmans [65], ou dans le livre déjà cité de Sadri Khiari, en l’envisageant surtout comme une ruse postcoloniale, renforcent cet impensé. Khiari parle ainsi de « l’injonction à ne plus être ce qu’ils sont »[66]. Un autre militant du PIR, Azzedine Benabdellah [67] fait de la figure du « métis » « une arme du pouvoir blanc », en tant que « traître à la race », et réduit le métissage à un « produit du pouvoir colonial », se focalisant sur ses usages coloniaux sans égard pour ses usages anticoloniaux, antiracistes (qui sont simplement moqué, comme plus largement le « multiculturel », comme des illusions propres aux « blancs de gauche ») ou simplement a-coloniaux. Et Benabdellah d’ajouter significativement en tant que rentrant dans la catégorie « blanche » de « métis » : « Nous ne sommes pas singuliers, pas distincts des nôtres »[68].
Mais est-ce que l’on est d’un seul bloc, dans une expérience unidimensionnelle du monde social ? Ou même est-on constitué autour d’un axe principal par rapport auquel graviterait des éléments périphériques ? La sociologie contemporaine (chez Bourdieu et chez bien d’autres [69]) constate plutôt que ce qui ferait l’unicité de chaque individu, c’est justement l’entrecroisement dans un corps individué d’une pluralité d’expériences sociales et d’appartenances collectives. Les individus ne sont pas considérés, dans ces perspectives sociologiques, comme des monades isolées les unes des autres, mais sont saisis de manière relationnaliste comme fabriqués dans le cours de relations sociales et historiques. La singularité individuelle n’est d’ailleurs pas une propriété de la période moderne dans les sociétés occidentales [70], des figures diversifiées de l’unicité personnelle étant travaillées dans des cadres culturels et des aires civilisationnelles différentes, dont des sociétés à prédominance musulmane, comme le montre un récent et volumineux ouvrage collectif coordonné par Emmanuel Lozerand dans le cadre de l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales)[71]. Le métissage de type culturel, tel qu’il est critiqué comme un instrument colonial par des militants du PIR, n’est qu’un cas de figure de processus plus larges d’hybridation individualisante. Comme l’a mis en évidence dans les premiers temps de la sociologie Georg Simmel, ces processus se sont complexifiés avec l’urbanisation des sociétés modernes, en offrant une plus grande variété de matériaux pour les individuations [72]. La globalisation en cours, avec notamment les migrations, les circulations internationales diverses ou la place d’internet, peut être aussi envisagée comme un facteur de complexification supplémentaire des hybridations individualisantes [73]. Ces hybridations sont traversées par une pluralité de rapports de domination (intra-, inter- et trans-nationaux), mais aussi par des résistances micro-sociales et/ou généralisées dans des luttes politiques au sein d’espaces publics, des réappropriations critiques, des déplacements d’usages et donc de sens, des zones fragiles de sociabilité, de coopération, de tendresse et/ou de troubles amoureux, etc. En ce sens général, nous sommes tous des métis, des métis dotés chacun d’une singularité, prenant des formes différentes, et plus ou moins valorisées (ce que l’on appelle aujourd’hui les sociétés « individualistes » constituent des cadres sociaux valorisant particulièrement, d’un point de vue idéal, les individualités, mais les maltraitant en pratique à travers notamment les contraintes capitalistes [74]), en fonction des périodes historiques, des sociétés et des ressources plus ou moins disponibles dans diverses aires culturelles plus ou moins en interaction entre elles.
Reste à savoir dans quelle mesure le métissage individualisant observable sociologiquement dans le réel peut devenir une valeur et un axe d’une politique émancipatrice. Sur ce plan, les analyses de Nacira Guénif-Souilamas et d’Éric Macé dans leur livre Les féministes et le garçon arabe, appuyées sur la perspective d’un « mouvement culturel (post) féministe et postcolonial », sont suggestives [75]. S’inspirant ainsi d’« un (post) féminisme « queer » qui lutte contre les discriminations au non d’une autonomie individuelle refusant toutes les assignations, y compris celles du « féminin » et du « masculin » », ils avancent :
« la lutte contre les discriminations sexistes est inséparable de la lutte contre les discriminations racistes et les assignations « ethniques » à la différence »[76].

Dans un autre texte, Guénif-Souilamas a rapproché les « questions de la transgression du tabou homosexuel en milieu arabe et musulman local et la question de la prohibition du voile en milieu laïcisé national » à travers la « figure trouble de la jeune femme voilée lesbienne » dégageant une « nouveauté pluri-identitaire et individualiste »[77]). Se dessine à travers ces analyses un double refus des oppressions et des assignations identitaires uniques, dans un combat pour une émancipation individuelle et collective.
À l’inverse, de ces pistes, une militante du PIR, Louisa Yousfi, stigmatise « l’individualisme » comme « le flambeau des transfuges de race » associé à « la trahison »[78]). On est proche des discours staliniens « blancs » d’autrefois contre « l’individualisme des bourgeois et petits-bourgeois traîtres au mouvement ouvrier »… Si l’on suit les catégories de la lecture que l’écrivain antillais Patrick Chamoiseau fait de Frantz Fanon, tant l’essentialisme colonial et postcolonial que les tendances essentialistes du PIR se situent du côté de :
« L’ancien arbre généalogique nous cantonnait dans les branches et les feuilles d’une lignée intangible d’ancêtres, de traditions, de genèses et de cosmogonies monolithiques. Il nous immobilisait sur le pieu d’une racine unique qui nous plantait dans une seule terre natale. »[79]

La voie de la singularisation personnelle, valorisée en tant que composante d’une éthique et d’une politique émancipatrice associées à des combats collectifs, se détache de ces approches essentialistes de l’identité :
« L’arbre relationnel lui, nous déploie sur un treillis des racines, des rhizomes, qui au gré de nos errances, ou de nos « expériences », nous offrent plusieurs terres natales. »[80]

Des tentations culturalistes

Le culturalisme peut être envisagé comme une lecture homogénéisante des pratiques culturelles d’un groupe humain [81]. Un tel culturalisme a innervé historiquement les imaginaires coloniaux comme aujourd’hui les fantasmes islamophobes. Il est notamment basé sur un essentialisme : la vision des cultures (par exemple « l’islam ») comme des « essences », c’est-à-dire comme des entités compactes et durables tendant à aplatir la diversité et les contradictions. Le culturalisme passe par des porte-parole homogénéisateurs, ce qui constitue une intersection avec ce qui a été dit précédemment sur la logique représentative. On trouve certes chez Houria Bouteldja un démenti des critiques faites au PIR quant à son « culturalisme »[82]. Pourtant des tendances culturalistes sont bien repérables dans ses écrits. Dans un de ses textes, elle revendique ainsi « une allégeance communautaire » et interprète de manière uniformisatrice l’usage du foulard dans « la société indigène » comme un « message » obligé qui lui serait envoyé de la part de l’ensemble des porteuses de foulard : « Nous appartenons à la communauté et nous l’assurons de notre loyauté »[83]. Dans un autre texte, elle avance dans une veine d’homogénéisation culturelle proche :
« De ma vie d’indigène, je n’ai jamais entendu quelqu’un insulter notre prophète. De ma vie, je le jure. Ce n’est ni un interdit, ni un tabou. Cette pensée ne nous traverse pas l’esprit. Cette pensée n’existe pas, tout simplement. C’est un rapport au sacré qui agrège le consentement de plus d’un milliard d’âmes parmi lesquels des athées, des agnostiques, des « libres penseurs ». Pourtant, la Oumma est traversée de mille contradictions et nos clivages sont innombrables. »[84]

Ayant une expérience minuscule de la Oumma, contrairement à celle, gigantesque, de Houria Bouteldja, j’ai pourtant rencontré des personnes de culture musulmane ironiques à l’égard du Prophète – à la manière de ce que j’ai pu observer chez des individus de culture catholique vis-à-vis du Christ ou d’individus de culture juive vis-à-vis de Moïse -, de manière tendre parfois mais aussi plus virulente, pas nettement moins en tout cas que ce qui a pu être publié dans Charlie Hebdo.
Le culturalisme s’insinue également dans le rapport critique aux « mariages mixtes », hésitant entre une justification politique (« Parce qu’on ne veut pas donner un membre de sa famille à un dominant »[85]) et l’hybridation de justifications politique et communautaire (« La perspective décoloniale, c’est s’autoriser à se marier avec quelqu’un de sa communauté »[86]).

Autre exemple : à une question sur les « contradictions » de l’islam, en particulier en rapport avec « les formes de terrorisme s’en revendiquant », et la possibilité d’« un islam décolonial », Sadri Khiari répond quant à lui sèchement dans une forme de culturalisme essentialiste renversé, qui garde des proximités rhétoriques et cognitives avec les essentialismes culturalistes coloniaux et islamophobes :
« L’islam EST décolonial, je n’ai rien à dire d’autre. »[87]

Insistance sur la pluralisation des usages de l’islam quand il s’agit de critiquer les préjugés islamophobes, pour le négatif, et réhomogénéisation de l’islam ensuite autour d’un axe décolonial, pour le positif ? Se révèlent ici des risques d’essentialisation de formes culturelles plus composites ; cette homogénéisation culturaliste ayant constitué une dimension du colonialisme dans son rapport à des colonisés souvent culturellement folklorisés à l’intérieur de cadres culturels supposés compacts.
Cette pente essentialiste a des différences avec l’essentialisme colonial dans sa portée stratégique en politique. Dans le sillage de la théoricienne postcoloniale indienne Gayatri Chakravorty Spivak [88], Sophie Wahnich recourt ainsi à la notion d’« essentialisme stratégique », mais pour s’en démarquer [89]. Cet « essentialisme stratégique » supposerait, dans la logique du combat contre l’essentialisme culturaliste travaillant les logiques coloniales, d’admettre temporairement une forme analogue de culturalisme essentialiste comme point d’appui de ce combat afin d’unifier un camp d’opprimés. Appliqué à la politique du PIR vis-à-vis de l’islam, cet « essentialisme stratégique » ne serait cependant pas beaucoup moins fantasmatique quant à l’observation du réel que les lectures islamophobes en cours actuellement, qui peuvent aussi révéler une portée politique stratégique, ou que l’essentialisation exprimée par des fondamentalismes islamistes aux logiques directement politiques [90]. Là encore les dogmatismes historiques des gauches « blanches » risquent de servir de rails implicites, quand « la ligne » d’une organisation doit nécessairement s’imposer aux hétérogénéités et aux contradictions du réel. Ce qui ne prépare guère à agir sur un réel hérissé de rugosités, ni à avoir des effets émancipateurs sur lui.
Par ailleurs, au croisement de la logique oligarchique de la représentation politique et de la fermeture essentialiste de la définition de « la vraie communauté », on repère des procédures classiques de chasse symbolique aux « traîtres », voire de procès de papier en « haute trahison » avec le cas de Sophia Aram [91]. Cela révèle donc des analogies avec le stalinisme « blanc », dans une pointe de fascination provocatrice qui perce par endroits pour les accents martiaux des procureurs staliniens d’hier sur un mode, cette fois, tragi-comique.
À l’encontre de telles tentations, Jacques Rancière a mis en évidence dans les débuts du mouvement ouvrier français des logiques d’hybridation avec les mots des dominants dans la revendication émancipatrice d’égalité[92]. Le grand penseur critique palestinien Edward Saïd a quant à lui mis en garde contre la vision « monolithique » de la culture, souvent portée par « la notion fondamentalement statique d’identité », qui a marqué et qui continue à marquer l’impérialisme occidental comme « divers fondamentalismes religieux et nationalistes » constitués en réaction contre lui [93]. Ce serait oublier les processus de métissage, d’emprunt et de bricolage culturels, dans lesquels la logique coloniale est une des dimensions importante mais non exclusive. Par exemple, le thé à la menthe, souvent vu de par le monde comme une tradition ancestrale marocaine, est une invention récente dotée d’une composante coloniale, avec son importation au Maroc au XVIIIème siècle par la Compagnie britannique des Indes orientales, puis l’hybridation avec les feuilles de menthe antérieurement utilisées au Maroc[94].
Être poussé, de manière hésitante et contradictoire, dans une logique stratégique, dans les bras d’un essentialisme culturaliste est-ce inéluctable quand on combat l’essentialisation coloniale et islamophobe ? On préfèrera le chemin plus escarpé d’un chercheur queer comme Jean Zaganiaris, quand il invite dans le contexte marocain à « penser la sexualité dans un cadre à la fois non-colonialiste et non-culturaliste »[95].
L’angle unilatéral de l’explication coloniale

Facteur discursif et cognitif d’homogénéisation, soutenant un « essentialisme stratégique » à tonalités culturalistes, il y a la focalisation sur l’explication par la colonisation et ses suites, écrasant la pluralité des facteurs à l’œuvre dans le réel observable. C’est un appui logiquement fondamental dans la tendance à faire de l’oppression postcoloniale « la contradiction principale » aujourd’hui pour l’ensemble du monde social. Ce qui conduit souvent à ériger le « postcolonial » en recette magique omnisciente. De manière distincte de cette tentation, faire de l’explication coloniale la prise principale (et donc partielle et non exclusive d’autres prises par d’autres mouvements sociaux) du mouvement décolonial sur le réel serait pleinement légitime vis-à-vis de la double exigence de pluralisme des mouvements sociaux (adossé au pluralisme des contradictions du réel) et d’autonomie de chacun d’entre eux.
Un des terrains où cet angle unilatéralement colonial est particulièrement actif est celui des rapports entre les racismes et les antiracismes, et tout particulièrement la difficulté à donner une place à l’antisémitisme. Cela s’est notamment exprimé lors de l’assassinat d’Ilan Halimi [96], des crimes de Mohamed Mehra [97] ou des meurtres antisémites de janvier 2015 [98]. On pourrait dire que l’engagement des Indigènes de la République contre l’antisémitisme est explicite, mais qu’en même temps ils ne savent pas trop quoi en faire à partir du moment où ils optent pour l’axe colonial dans leur approche du racisme. Ce qui conduit à ne pas réagir clairement sur le plan de l’antisémitisme face à des événements antisémites graves et à des réticences même quant à la perspective de retrouver des espaces communs aux antiracismes.
Face à l’assassinat d’Ilan Halimi, Sadri Khiari reconnaît ainsi l’« inquiétude justifiée concernant la persistance de l’antisémitisme en France »[99], mais avec deux bémols d’importance. Premièrement, il privilégie « d’abord et avant tout la mise en cause claire des dangers de l’instrumentalisation de l’antisémitisme » propre à une logique impérialiste et coloniale [100]. En second lieu, il met en garde contre le fait que « l’horizon d’un large rassemblement contre tous les racismes » participe à « dissoudre les spécificités historiques et contextuelles de chacun des racismes dans une soupe exclusivement morale et non-politique »[101]. « Non-politique » laisse entendre qu’il n’y aurait que le colonial qui, en matière de racismes, serait « politique ». Prenons l’exemple, non traité par Khiari dans son texte, de la genèse du génocide rwandais : dans ce type d’analyse, seul compterait l’effectif facteur colonial (découpage colonial des « ethnies » et liens néocoloniaux tissant « la Françafrique » en particulier), mais pas la non moins réelle dynamique autonome d’entreprises politiques rwandaises en compétition autour de ressources politiques et économiques et parlant au nom d’« ethnies » symboliquement et politiquement opposées dans cette concurrence pour des pouvoirs.
Par ailleurs, dans leurs premières réactions aux crimes antisémites perpétrés le 9 janvier 2015 dans l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, c’est la relance du combat contre l’islamophobie et plus largement de la lutte décoloniale qui préoccupent Houria Bouteldja et Malik Tahar-Chaouch, et pas vraiment un traitement de la question de l’antisémitisme [102]. Un peu plus tard, Bouteldja trouvera une place dans le schéma colonial pour analyser l’antisémitisme aujourd’hui : un prétendu et fort ambigu « philosémitisme d’État qui est une forme subtile et sophistiquée de l’antisémitisme de l’État-Nation »[103] (sur l’ambiguïté de cette notion, voir infra le « Post-scriptum » de cet article). En-dehors de l’équivoque de la notion, cela revient à réinsérer l’antisémitisme (et donc à le domestiquer) comme un aspect secondaire du système colonial, aspect dont l’État postcolonial serait le principal foyer de production. Ouf, l’architecture uniforme est préservée des OVNI comme l’antisémitisme ou « l’individu » (voir supra) !
Or, la logique coloniale n’est pas la seule décelable dans la construction des différents racismes historiquement. Par exemple, la stigmatisation actuelle des personnes d’origine marocaine aux Pays-Bas ne s’appuie pas sur un lien colonial antérieur avec le Maroc [104]. En regard de ces limites, le philosophe Michel Feher a suggéré deux idéaux-types heuristiques pour rendre compte des racismes : « le racisme colonial » et « le racisme génocidaire »[105], les deux « herméneutiques » pouvant avoir des zones d’intersection (c’est ce que l’on pourrait observer sur le cas rwandais). Mais ce n’est qu’une des pistes possibles.
Par ailleurs, Sadri Khiari a raison de se méfier d’un cadre commun antiraciste défini abstraitement à l’avance et écrasant la prise en compte des spécificités des différents racismes. C’est le risque plus général pointé par Sébastien Chauvin et Alexandre Jaunait quant à « l’impératif intersectionnel »[106]. La prudence recommande ici de partir des polyphonies du réel. Sur ce plan, les travaux sociologiques ont d’ailleurs commencé à repérer des points communs et des analogies entre antisémitisme et islamophobie (dont l’essentialisme) – c’est le cas d’Abdellali Hajjat et de Marwan Mohammed [107] – comme des spécificités respectives dans le contexte actuel – par exemple chez Pierre Birnbaum, avec un caractère plus répandu des préjugés islamophobes dans la population française mais une violence antisémite plus intense et localisée [108]. Si un espace commun antiraciste peut se reconstruire, en récusant l’écueil d’une totalité transcendante posée a priori, ce serait alors plutôt à travers un travail d’exploration pratique de convergences entre mouvements antiracistes existants se saisissant à la fois des différences et des intersections entre racismes. C’est dans une telle perspective qu’a été lancé récemment le « Manifeste pour un antiracisme politique »[109], qui n’a pas reçu le soutien du PIR.
C’est également sur le terrain des controverses autour des luttes homosexuelles que la tendance à l’exclusivisme colonial du PIR s’exprime fortement. Bouteldja s’est ainsi saisie de la question, très discutée dans le mouvement homosexuel, de « l’instrumentalisation xénophobe des luttes LGBT » à travers un « homonationalisme » (renvoyant aux travaux de Joseph Massad, Jasbir Puar, etc.)[110]. Bouteldja préfère parler d’« homoracialisme »[111]. Elle récuse alors l’existence d’« une identité politique gay et lesbienne transnationale ». Et, à la manière dont le supposé « philosémitisme d’État » génèrerait aujourd’hui l’antisémitisme, elle avance que « les quartiers populaires répondent à l’homoracialisme par un virilisme identitaire et… toujours plus d’homophobie »[112]. Ce qui constituerait « une résistance farouche à l’impérialisme occidental et blanc »[113]. Or, les travaux existants, s’ils récusent bien un quelconque universalisme des luttes homosexuelles et reconnaissent des usages impérialistes-coloniaux des mouvements gays, ne suivent pas pour autant Bouteldja, en ne se concentrant pas sur ces seuls usages. Dans une synthèse des recherches disponibles, Alexandre Jaunait, Amélie Le Renard et Élisabeth Marteu notent ainsi :
« Certaines recherches se sont efforcées de montrer que des identités sexuelles minoritaires ont existé dans des contextes non « occidentaux » bien avant l’internationalisation des politiques de lutte contre le sida et des revendications en termes de droits pour les personnes LGBT. »[114]

Et d’ajouter :
« Il est important de réfléchir à l’impérialisme gay, à son imbrication dans des projets nationalistes, et aux effets que cela peut produire. (…) Il est inexact en revanche d’opposer de manière dichotomique un « Occident » de l’homosexualité/hétérosexualité et un « non-Occident » où cette dichotomie ne serait pas pertinente. Parce que les débats, controverses et positionnements autour de ces notions sont nombreux dans les différentes sociétés, qu’elles soient européennes, africaines ou asiatiques, parce que les circulations et interactions internationales/transnationales rendent de fait tout raisonnement par « bloc » inopérant »[115].

L’unilatéralisme colonial du PIR ripe ainsi sur les rugosités du réel, tant sur le terrain des antiracismes que sur celui des résistances homosexuelles.
Dans le rapport aux associations des quartiers populaires : une arrogance para-coloniale ?

Le MIR, puis le PIR ont participé, comme l’a rappelé le géopolitiste Jérémy Robine, au « système d’acteurs concurrentiels [qui] s’est développé autour de l’enjeu qu’est le capital politique que représentent les populations issues de l’immigration » et, partant, à « la rivalité de pouvoir sur les territoires de l’immigration »[116]. Au sein de cet espace constitué d’antagonismes et d’alliances mouvantes, des critiques sont émises à l’encontre du PIR. Dans les milieux associatifs des quartiers populaires sont visés tout particulièrement : sa prétention parisianiste et son avant-gardisme revendiquant par avance d’incarner « la conscience politique » et l’axe unificateur des résistances des postcolonisés indépendamment des pratiques de terrain. On doit noter sur ce plan des différences avec un mouvement antérieur issu de l’immigration postcoloniale, le MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues) né en 1995. Le MIB, dont la présence publique s’est progressivement effacée au cours des années 2000, avait des insertions dans des pratiques localisées au sein de quartiers, alors que PIR apparaît davantage comme un mouvement « postmoderne » existant principalement à travers internet et dans la sphère médiatique. Un des fondateurs du MIB, Tarik Kawtari, explique ainsi dans un entretien publié en 2008 :
« Les Indigènes de la République ? C’est un décalage entre les discours et la réalité. Il n’y a pas de confrontation au terrain. Les discours tenus dans un salon parisien ou à la télévision, ça peut séduire et faire illusion. »[117]

Les impensés, les écueils et les hésitations relevés dans les analyses de Houria Bouteldja et des Indigènes de la République ont tendance à nous reconduire à des formes assez traditionnelles qui ont fortement marqué les résistances « blanches » antérieures : le mouvement ouvrier en général, le marxisme en particulier et parfois même les accents autoritaires du stalinisme. Le vent d’air frais pluraliste qu’ils ont apporté au pot commun potentiel des mouvements sociaux émancipateurs s’en trouve quelque peu réchauffé. Ce repérage peut alors nous aider à repenser de manière davantage décalée l’intersectionnalité et les possibles convergences émancipatrices, en tenant compte tout à la fois de la pluralité et de l’immanence qu’a manifestées de manière éclatante l’émergence des Indigènes de la République, tout en se démarquant de certains de leurs discours.

4 – Pistes pour des convergences possibles entre mouvements sociaux émancipateurs en contexte d’extrême droitisation


Commencent à se dessiner, en creux de cette étude critique et compréhensive de certains textes des Indigènes de la République et en pointillés, quelques axes possibles d’une reproblématisation de la question politique des convergences entre mouvements sociaux émancipateurs, en rapport avec le problème de l’intersectionnalité. Cela ne constitue toutefois qu’une esquisse partielle et provisoire.
Pluralisme et immanence à boussole

Cette reproblématisation part de la reconnaissance d’un double pluralisme : pluralisme des dominations et pluralisme des mouvements sociaux émancipateurs, sans hiérarchie préalable. Elle emprunte ensuite un chemin d’immanence : les convergences possibles et aléatoires entre des mouvements sociaux émancipateurs ne peuvent naître que dans des pratiques et non pas à partir d’une architecture a priori de type transcendante. De ce point de vue, les convergences ne peuvent constituer un impératif utilisable pour brider les différentes résistances au nom d’un tout abstrait préalablement constitué dans la théorie. Sébastien Chauvin et Alexandre Jaunait livrent dans cette perspective une indication de méthode utile : « dans le domaine des politiques d’émancipation, il n’est ni possible ni souhaitable de toujours tout faire se croiser »[118], dans la quête d’un improbable et même périlleux (sur le plan du pluralisme) mouvement social qui se voudrait total. Toutefois, tel quel, ce repère méthodologique apparaît insuffisant, car il pourrait conduire à glisser sur une pente « postmoderne » d’éclatement nécessaire des logiques émancipatrices, en troquant les rigidités d’une totalisation hégéliano-marxiste pour un perspectivisme d’inspiration nietzschéenne. Il faudrait, pour contrebalancer ce risque, lui adjoindre la boussole d’un horizon global (et pas total) souhaitable d’émancipation pluridimensionnelle.

Dans une telle optique, on n’aurait pas affaire à une pure logique d’immanence. Car cette immanence supposerait des repères préalables, mais reformulables en cours de chemin, afin de nous aider à nous orienter. Dans un précédent travail, j’ai recouru à la notion de « transcendances relatives »[119] pour thématiser ce type de repères qui ne sont pas issus des luttes immédiates, donc du simple processus immanent de la vie, mais générés dans un rapport critique aux expériences et traditions émancipatrices passées, et servant alors de boussole provisoire dans le cours immanent des situations traversées. Quels pourraient être ces repères ? A minima, il s’agirait de la conscience de la pluralité des dominations, de la généralité des croisements multiples entre elles à travers la singularité des situations de la vie quotidienne et des itinéraires personnels, du caractère souhaitable de convergences entre mouvements émancipateurs et de l’ouverture internationale des combats émancipateurs. Ces repères minimums pourraient s’enrichir de mots d’ordre émergeant d’une série de luttes diversifiées, comme « l’égalité des droits », revendication aujourd’hui vivace sur différents terrains, ou « la liberté d’expression », particulièrement importante pour les mouvements sociaux en contexte de pression sécuritaire sur les libertés individuelles et collectives.
Par ailleurs, la double référence au pluralisme et à une immanence à boussole ne veut pas nécessairement dire que l’on ne puisse pas accorder une attention particulière au capitalisme et aux luttes anticapitalistes comme facteur et zone de convergences potentielles [120]. Il ne s’agit toutefois pas du capitalisme en une acception sens platement économiste ou même à travers un axe principal constitué par les rapports de classes, mais en tant qu’ensemble structurel global (mais non exclusif) au sein des sociétés contemporaines, incluant une diversité de contradictions (dont la contradiction capital/travail, souvent privilégiée par les marxistes, mais aussi la contradiction capital/nature, qui a l’œil des écosocialistes, la contradiction capital/démocratie, thématisée par les altermondialistes, ou la contradiction capital/individualité, qui s’intéresse à la situation des subjectivités individuelles)[121] et des interactions routinisées avec d’autres formes d’oppression (des femmes, postcoloniale, etc.), suscitant déjà une variété de résistances individuelles et collectives. Cependant envisager ainsi globalement l’anticapitalisme comme un espace potentiel de convergences ne signifie pas que : 1) ces convergences sont vues comme nécessaires, et 2) que les luttes anticapitalistes doivent primer sur la variété des mouvements sociaux. Bien au contraire, dans la vue pluraliste défendue ici.
Une telle reproblématisation des convergences possibles entre mouvements sociaux émancipateurs serait susceptible d’attribuer un rôle de facilitateurs à des « intercesseurs » créateurs d’« interférences » entre diverses résistances, pour emprunter une notion à Gilles Deleuze [122], ou à des « traducteurs » opérant un travail traduction (de langages, de problèmes, d’identités, d’intérêts…), pour dériver une notion de la sociologie des sciences et des techniques de Michel Callon [123]. Ces intercesseurs ou traducteurs auraient l’expérience directe de plusieurs modes de domination et/ou de plusieurs mouvements sociaux émancipateurs, les deux plans ne se recoupant pas nécessairement (on peut avoir subi telle forme de domination sans s’impliquer dans un mouvement social s’efforçant de s’en émanciper et on peut militer dans le mouvement ouvrier en étant bourgeois, dans le mouvement féministe en étant homme ou dans le mouvement décolonial en étant « blanc »).
Un contexte d’extrême droitisation

Les questions politiques, comme celle des convergences possibles entre mouvements sociaux émancipateurs, n’existent pas de manière intemporelle dans le ciel pur des idées, mais sont inscrites dans des coordonnées historiques particulières et changeantes. Et les textes politiques, comme ceux des Indigènes de la République que l’on a analysés, participent d’un contexte qui pèse en retour sur leurs significations sociales et leurs effets politiques. Or, on peut considérer que la France (et plus largement l’Europe) connaît aujourd’hui un contexte politique périlleux dont certains traits peuvent être résumés par la notion d’extrême droitisation, dont l’islamophobie constitue un des principaux tuyaux idéologiques mais au sein duquel la dénonciation de l’islamophobie peut prendre la forme d’un antisémitisme (Soral/Dieudonné, courants fondamentalistes islamistes…) lui aussi en progression et contribuant à cette extrême droitisation [124].
Penser aujourd’hui en France des convergences possibles entre mouvements sociaux, dans ce que révèlent notamment les analyses des Indigènes de la République en termes d’apports et d’écueils sur ce plan, suppose de prendre suffisamment au sérieux ce contexte d’extrême droitisation comme la concurrence des antiracismes (en particulier entre la lutte contre l’islamophobie et la lutte contre l’antisémitisme) qui l’accompagne.
Voilà pourquoi face au clivage national-racial porté par l’extrême droite, il ne s’agirait pas stratégiquement d’avancer ni une question sociale entendue au sens classique comme organisée autour des rapports de classe, ni une question postcoloniale vue comme première, ni une simple addition de mouvements sociaux sur des terrains divers, mais une question sociale élargie, nourrie d’une diversité de dominations, d’inégalités et de discriminations (dont les inégalités de classe et de sexe comme les discriminations raciales/postcoloniales et homophobes)[125]. Face à la pression des nationalismes xénophobes, la portée internationaliste de la question sociale, que les luttes actuelles autour des migrations ou pour la justice climatique soulignent tout particulièrement, doit d’autant plus être mise en avant. Une telle question sociale pluralisée et affichant ses composantes cosmopolitiques apparaît comme un enjeu fort d’un horizon de convergences pour les mouvements sociaux, si l’on ne veut pas les aborder de manière éthérée en dehors du cours des événements, mais en se coltinant les dangers de la période, en s’efforçant de ne pas accroître ces dangers mais de les faire reculer, tout en faisant avancer la cause d’une émancipation sociale pluridimensionnelle.

Post-scriptum : Houria Bouteldja et le prétendu « philosémitisme d’État »


Si elles ont des interactions avec les questions traitées précédemment, les controverses suscitées par un récent texte de Houria Bouteldja avançant la notion de « philosémitisme d’État »[126] posent aussi des problèmes spécifiques que j’ai trouvé préférable de mettre à part du corps de mes réflexions quant à l’intersectionnalité et aux convergences émancipatrices.
Pour Bouteldja, « le philosémitisme d’État » serait donc le principal « lieu de production » de l’antisémitisme aujourd’hui en France, à l’intérieur d’un cadre conceptuel général où « l’État-Nation impérialiste » est « le lieu de production du racisme ». Et si cela apparaît, selon elle, comme un « angle mort » de « la gauche radicale » française, c’est que cette dernière serait « elle-même, à quelques exceptions près, peu ou prou philosémite ». Comme on l’a vu précédemment, les réalités relevant principalement d’autres modalités oppressives que la logique coloniale tendent ainsi à être rabattues sur la seule explication coloniale, et les autres formes de domination sont périphérisées, voire même dissoutes dans le grand tout colonial.
Hors de cet unilatéralisme de l’analyse, il y a un problème politique préoccupant dans les formulations sur « le philosémitisme d’État » et sur « le philosémitisme » de la gauche radicale, se situant dans la lignée d’un registre provocateur beaucoup sollicité par les Indigènes de la République. Étymologiquement, « philosémitisme » signifie « amitié pour les juifs », et cela renverrait donc dans ce cas à une supposée « amitié de l’État colonial pour les juifs ». Transparaît ici une proximité sémantique avec la thématique antisémite traditionnelle du « lobby juif », réactivée entre autres aujourd’hui par Dieudonné et Alain Soral, avec des glissements fréquents entre « lobby sioniste » et « lobby juif », en visant notamment l’État. Ainsi la notion de « philosémitisme d’État » n’est pas suffisamment débarrassée des connotations essentialistes et conspirationnistes de la figure du « lobby juif », avec des effets des composantes antisémites du contexte actuel d’extrême droitisation, pour pouvoir s’en démarquer assez clairement. Cela apparaît donc particulièrement dangereux dans une période de remontée de l’antisémitisme, comme les discours laïcards (à distinguer des idéaux laïcs de séparation des pouvoirs politiques et religieux et de garantie publique de l’exercice des croyances et des incroyances dans un cadre commun) prenant à parti l’islam en général apparaissent dangereux dans un moment de consolidation de l’islamophobie. Cela laisse particulièrement ouverte la notion de « philosémitisme d’État » à des usages antisémites, par exemple dans la logique des thèmes agités par Dieudonné et Alain Soral, bien que Bouteldja en fasse explicitement, quant à elle, un instrument (bien étroit et exclusiviste quant à l’angle colonial) de combat contre l’antisémitisme.
L’hypothèse de « la construction étatique d’une hiérarchisation des racismes », défendue par Saïd Bouamama[127], me semble plus juste, car davantage dégagée des connotations équivoques de la notion de « philosémitisme d’État », tout en rendant compte du fait que les institutions étatiques n’accordent pas la même légitimité aux différents combats antiracistes. La lutte contre la romophobie et celle contre l’islamophobie apparaissent ainsi pour les acteurs politiques et technocratiques moins légitimes que celle contre l’antisémitisme, alors que des politiciens d’extrême droite, de droite et de gauche font des usages électoralistes de thèmes romophobes et islamophobes. Prendre acte de ce processus n’implique pas de mettre le doigt, même indirectement à travers les ambiguïtés des termes utilisés, dans les pseudo-explications conspirationnistes et antisémites en termes de « lobby juif ». Malheureusement, Bouamama fait une petite référence positive à la notion de « philosémitisme d’État » chez Bouteldja à la fin de son texte, ce qui fragilise un peu l’originalité de son hypothèse.
Comment réagir alors face à la notion de « philosémitisme d’État » ? L’organisation antiraciste MRAP a eu raison de s’inquiéter du recours dans le contexte actuel au slogan « Non au philosémitisme d’État » dans l’en-tête d’un tract du PIR :
« Ce slogan désigne les juifs comme les privilégiés de la République. Il alimente la thèse antisémite d’une mainmise de leur part sur l’appareil d’État et s’inscrit dans les fantasmes complotistes de Dieudonné, entre autres. »[128]

Cependant, le MRAP me semble avoir eu tort de parler de manière trop tranchée de « notion à connotation antisémite ». Cela ne permet pas de prendre en compte l’ambiguïté de la notion, entre la visée explicite de lutte contre l’antisémitisme de son initiatrice et ses intersections avec le thème du « lobby juif », supports d’usages antisémites dans un contexte favorisant ces usages. Il faut peut-être sortir des visions trop idéalistes et intentionnalistes quant aux racismes, pour acter que c’est aussi le contexte qui contribue à donner un sens aux mots, et pas seulement ces mots eux-mêmes ou les intentions des locuteurs. C’est à cause de ses ambiguïtés, porteuses de risques aggravés dans le contexte, qu’il faut, d’après moi, impérativement bannir cette notion des mouvements antiracistes et émancipateurs. Les voies ouvertes par le « Manifeste pour un antiracisme politique »[129], signé par Saïd Bouamama, Christine Delphy, Rokhya Diallo, Éric Fassin, Nacira Guénif-Souilamas, Laurent Lévy, Michèle Sibony Louis-Georges Tin et bien d’autres (dont moi), se situent à rebours des équivoques du PIR sur cette question et apparaissent prometteuses.

Notes :
[1] La version finale de cet article s’est nourrie des débats de la séance du 6 mars 2015 du séminaire ETAPE (Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l’Emancipation) consacrée à « Dominations, intersectionnalité et convergences des mouvements sociaux émancipateurs », et en particulier des remarques de Wil Saver qui a été le discutant de la première version de ce texte qui y a été présentée. Elle a bénéficié, par ailleurs, d’échanges autour d’une version antérieure avec Abdellali Hajjat, Amin Allal, Mohamed Amami, Manolo Cervera-Marzal, Sébastien Chauvin, Éric Fassin, Samy Johsua, Alexandre Jaunait, Pierre Khalfa, Irène Pereira, Haoues Seniguer et Jean Zaganiaris. Toutefois, au bout du compte, les formulations retenues et les limitations rencontrées par les analyses sont de ma seule responsabilité.[2] On trouvera deux présentations critiques dans : Alexandre Jaunait et Sébastien Chauvin, « Représenter l’intersection. Les théories de l’intersectionnalité à l’épreuve des sciences sociales », Revue française de science politique, vol. 62, n°1 ; février 2012, pp. 5-20, [http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2012-1-p-5.htm], et Éric Fassin, « D’un langage à l’autre : l’intersectionnalité comme traduction », revue Raisons politiques, n° 58/2, mai 2015, pp. 9-24, [http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2015-2-page-9.htm] (accès payant).[3] A. Jaunait et S. Chauvin, « Représenter l’intersection », art. cit., p.15.[4] Ibid., p. 19.[5] Ibid., p. 18.[6] S. Chauvin et A. Jaunait, « L’intersectionnalité contre l’intersection », revue Raisons politiques, n° 58/2, mai 2015, p. 61, [http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2015-2-page-55.htm] (accès payant).[7] Ibid.[8] Voir Abdellali Hajjat, Immigration postcoloniale et mémoire, Paris, L’Harmattan, collection « Inter-National », 2005, pp. 64 et 82-84.[9] Voir le travail sociologique et historique éclairant d’Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris, La Découverte, 2013.[10] « Décolonial » au sens où l’oppression postcolonial appelle la poursuite d’un mouvement de décolonisation. Les textes issus des Indigènes de la République utilisent souvent les termes « postcolonial » et « décolonial » (le plus central dans leurs textes au fil du temps) comme faisant partie du même cadre politico-intellectuel. Cependant, dans la littérature académique, les deux notions peuvent être renvoyées à des logiques distinctes : les postcolonial studies émergeant dans le monde anglophone dans les années 1980-1990 et les théories décoloniales naissant dans les univers latino-américains et caribéens dans les années 1990-2000, avec des proximités et des différences vis-à-vis des premières : voir Capucine Boidin, « Études décoloniales et postcoloniales dans les débats français », Cahiers des Amériques latines, n° 62, 2010, pp. 129-140, [http://cal.revues.org/1620].[11] L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2012.[12] S. Laplanche-Servigne, « Quand les victimes de racisme se mobilisent. Usage d’identifications ethnoraciales dans l’espace de la cause antiraciste en France et en Allemagne », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 2014/4, n° 108, p. 151, [http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=POX_108_0143] (accès payant).[13] Dénomination fort contestable retenue par l’anthropologue Jean-Loup Amselle dans un pamphlet précisément intitulé Les nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient, Fécamp, Lignes, 2014 ; sur mes convergences et mes divergences avec ce livre d’Amselle quant à l’extrême droitisation en cours, voir P. Corcuff, « Le confusionnisme néoconservateur brouille l’espace idéologique », entretien avec O. Guyet, site Confusionnisme.info – Observatoire du confusionnisme politique, 27 décembre 2014, [http://confusionnisme.info/2014/12/27/philippe-corcuff-le-confusionnisme-neoconservateur-brouille-lespace-ideologique/].[14] Voir P. Corcuff, « Lettre de soutien critique aux initiateurs de l’appel pour des assises de l’anticolonialisme post-colonial » (2 février 2005), repris sur Oumma.com, 7 mars 2005, [http://oumma.com/Lettre-de-soutien-critique-aux], et « Le combat contre l’oppression postcoloniale et la lutte contre l’antisémitisme : en quoi les indigènes de la république ont-ils fait une erreur politique à propos du meurtre d’Ilan Halimi » (5 mars 2006), repris sur Oumma.com, 20 mars 2006, [http://oumma.com/Le-combat-contre-l-oppression]. On trouve le communiqué du MIR. visé par le second texte, ainsi que la réponse de Sadri Khiari sur le site du PIR, mais plus mon texte auquel il répond : communiqué du Mouvement des Indigènes de la République du 1er mars 2006 sur le meurtre d’Ilan Halimi, [http://indigenes-republique.fr/meurtre-dilan-halimi/], et S. Khiari, « Réponse à Philippe Corcuff concernant le communiqué des Indigènes de la république sur le meurtre d’Ilan Halimi », 22 mars 2006, [http://indigenes-republique.fr/reponse-a-philippe-corcuff-concernant-le-communique-des-indigenes-de-la-republique-sur-le-meurtre-dhalimi/], ou sur Oumma.com, [http://oumma.com/Reponse-a-Philippe-Corcuff]. Mes deux textes publiés initialement sur le site des Indigènes de la République ont ainsi disparu au cours des transformations successives de ce site. Et il n’y a pas, non plus, dans la réponse de Khiari à mon texte, donc toujours en ligne sur le site du PIR, de référence au lien du mien sur Oumma.com, afin que le lecteur puisse avoir connaissance de ce à quoi il répond. Le site Oumma.com, souvent dénigré par des islamophobes, manifeste là un plus grand sens du pluralisme que celui du PIR, alors qu’il a également connu des modifications au cours du temps.[15] Voir P. Corcuff, « Phil noir 16 – De nos identités métisses », dessin de Charb, site Le Zèbre, novembre 2008, [http://lezebre.info/phil-noir-16/].[16] Pour un retour critique sur ces expériences militantes, voir P. Corcuff, « Enjeux pour la gauche de gauche en France en 2013 : éclairages autobiographiques », Mediapart, 27 mai 2013, [http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/270513/enjeux-pour-la-gauche-de-gauche-en-france-en-2013-eclairages-autobiographiques].[17] Appel « Nous sommes les indigènes de la République ! », janvier 2005, [http://indigenes-republique.fr/le-p-i-r/appel-des-indigenes-de-la-republique/].[18] J’entends par « postcolonisés » celles et ceux qui sont affecté.e.s, en tant qu’une de leurs caractéristiques socio-historiques importantes, par une oppression postcoloniale entendue sous le double angle (rappelé plus haut) de continuités historiques et d’analogies (et non pas d’une identité) avec la période coloniale. Ce ne peut être, dans la perspective avancée plus bas, qu’une zone régionale de l’identité plurielle des personnes singulières.[19] A. Hajjat, « Révolte des quartiers populaires, crise du militantisme et postcolonialisme », dans A. Boubeker et A. Hajjat (éds.), Histoire politique des immigrations (post)coloniales. France, 1920-2008, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, pp. 258-259.[20] Ibid., p. 257 ; « la forte dotation en capital scolaire (universitaire) » est confirmée par l’enquête un peu postérieure (2006-2009) de Soline Laplanche-Servigne dans « Quand les victimes de racisme se mobilisent », art. cit., p. 161.[21] L’adjectif et le substantif « blanc » ont chez les Indigènes de la République une acception politique renvoyant à une position dominante dans un rapport socio-racial de domination. C’est en ce sens que je les utiliserai dans la suite du texte. Je les garderai toutefois entre guillemets, car c’est une notion qui tend à glisser facilement du politique aux caractéristiques raciales supposées des personnes, et qui n’est donc peut-être pas la mieux ajustée, au-delà de son effet provocateur.[22] Voir P. Corcuff, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2014, et des « bonnes feuilles » sur le site libertaire Grand Angle, 6 octobre 2014, [http://www.grand-angle-libertaire.net/les-annees-30-reviennent-et-la-gauche-est-dans-le-brouillard-philippe-corcuff/].[23] H. Bouteldja, « Dieudonné au prisme de la gauche blanche ou comment penser l’internationalisme domestique ? », 25 février 2014, [http://indigenes-republique.fr/dieudonne-au-prisme-de-la-gauche-blanche-ou-comment-penser-linternationalisme-domestique/].[24] « Nous avons à nous libérer de la modernité », entretien avec S. Khiari à l’occasion des 10 ans du PIR, par A. Benabdellah, S. Moucharik et S. Nadi, 11 mai 2015, [http://indigenes-republique.fr/%E2%80%AFnous-avons-a-nous-liberer-de-la-modernite%E2%80%AF-entretien-avec-sadri-khiari-a-loccasion-des-10-ans-du-pir/].[25] Voir P. Corcuff, La gauche est-elle en état de mort cérébrale ?, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2012.[26] H. Bouteldja et S. Khiari, « Jamais contents ! Quelques commentaires sur les articles de Jérémy Robine et d’Eric Fassin », 12 mai 2012, [http://indigenes-republique.fr/jamais-contents-quelques-commentaires-sur-les-articles-de-jeremy-robine-et-deric-fassin/].[27] Voir le double écueil du misérabilisme et du populisme dans l’analyse des cultures populaires en particulier et des cultures dominés en général, voir C. Grignon et J.-C. Passeron, Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Seuil, collection « Hautes Études », 1989.[28] Voir P. Corcuff, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillardop. cit.[29] Voir P. Corcuff, « Enjeux pour la gauche de gauche en France en 2013 : éclairages autobiographiques », art. cit.[30] H. Bouteldja, « Dieudonné au prisme de la gauche blanche… », art. cit.[31] Sur la notion d’« espace des mouvements sociaux », voir Lilian Mathieu, L’espace des mouvements sociaux,op. cit.[32] H. Bouteldja, « Race, classe et genre : l’intersectionnalité, entre réalité sociale et limites politiques », 24 juin 2013, [http://indigenes-republique.fr/race-classe-et-genre-lintersectionalite-entre-realite-sociale-et-limites-politiques/].[33] H. Bouteldja, « Pierre, Djemila, Dominique…et Mohamed », 8 mars 2012, [http://indigenes-republique.fr/pierre-djemila-dominique-et-mohamed/].[34] H. Bouteldja, « Race, classe et genre… », art. cit.[35] Ibid.[36] J. Gabriell, « Complexifier l’idée selon laquelle les hommes non blancs seraient les cibles privilégiées du racisme colonial », blog Chronik de Nègre(s) Inverti(s), 15 septembre 2014, [https://negreinverti.wordpress.com/2014/09/15/complexifier-lidee-selon-laquelle-les-hommes-non-blancs-seraient-les-cibles-privilegies-du-racisme-colonial/] ; c’est une réaction à H. Bouteldja, « Féministes ou pas ? Penser la possibilité d’un « féminisme décolonial » avec James Baldwin et Audre Lorde », 14 septembre 2014, [http://indigenes-republique.fr/feministes-ou-pas-penser-la-possibilite-dun-feminisme-decolonial-avec-james-baldwin-et-audre-lorde/].[37] Ibid.[38] Ms Dreydful, Lettre à Houria Bouteldja, blog Chronik de Nègre(s) Inverti(s), septembre 2014, [https://negreinverti.files.wordpress.com/2014/09/dreydful.pdf] ; c’est aussi une réponse à H. Bouteldja, « Féministes ou pas ? », art. cit.[39] Voir P. Corcuff, Marx XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2012.[40] A. Touraine, La Voix et le Regard. Sociologie des mouvements sociaux (1ère éd. : 1978), Paris, Le Libre de Poche, collection « Biblio Essais », 1993, p. 124.[41] Entretien avec S. Bouamama, par M. Perin et M. Sonet, revue Que faire ?, n° 5, novembre-décembre 2010, [http://quefaire.lautre.net/Entretien-avec-Said-Bouamama].[42] S. Khiari, Pour une politique de la racaille. Immigré-e-s, indigènes et jeunes de banlieues, Paris, Textuel, collection « La Discorde », 2006, p. 21.[43] Ibid., p. 111.[44] S. Chauvin et A. Jaunait, « L’intersectionnalité contre l’intersection », art. cit., p. 72.[45] Ibid.[46] Sur les différences entre le « total » et le « global », voir P. Corcuff, Où est passée la critique sociale ? Penser le global au croisement des savoirs, Paris, La Découverte, collection « Bibliothèque du MAUSS », 2012, pp. 159-192.[47] Malik Tahar-Chaouch et H. Bouteldja, « Charlie Hebdo : le piège de l’unité nationale », 9 février 2015, [http://indigenes-republique.fr/charlie-hebdo-le-piege-de-lunite-nationale/].[48] « Principes politiques généraux du Parti des Indigènes de la République », adoptés au Congrès constitutif des 27 et 28 février 2010, [http://indigenes-republique.fr/le-p-i-r/nos-principes/].[49] Ibid.[50] T. Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile(1ère éd. :1651), Paris, Editions Sirey, 1971, p. 177.[51] H. Arendt, Qu’est-ce que la politique ? (manuscrits de 1950-1959), Paris, Seuil, 1995, p. 31.[52] Ibid.[53] Voir P. Corcuff, « Hommage libertaire au sous-commandant Marcos : auto-ironie d’un porte-parole à l’écart des aspirants caudillos », site libertaire Grand Angle, 22 janvier 2015, [http://www.grand-angle-libertaire.net/hommage-libertaire-au-sous-commandant-marcos-auto-ironie-dun-porte-parole-a-lecart-des-aspirants-caudillos-par-philippe-corcuff/].[54] H. Bouteldja, « Charlie Hebdo : du sacré des « Damnés de la terre » et de sa profanation », 26 janvier 2015, [http://indigenes-republique.fr/charlie-hebdo-du-sacre-des-damnes-de-la-terre-et-de-sa-profanation/].[55] « Principes politiques généraux du Parti des Indigènes de la République », art. cit.[56] T. Hobbes, Léviathanop. cit., p. 177.[57] R. Michels, Sociologie du parti dans la démocratie moderne. Enquête sur les tendances oligarchiques de la vie des groupes (1ère éd. : 1910), traduction française et présentation de Jean-Christophe Angaut, Paris, Gallimard, collection « Folio Essais », 2015, notamment pp. 71, 140 et 216 ; voir aussi séance séminaire ETAPE d’octobre 2013 sur « Roberto Michels : critique des partis politiques, du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarchisme. Á partir d’un texte de Jean-Christophe Angaut », site libertaire Grand Angle, [http://conversations.grand-angle-libertaire.net/etape-seminaire-3/].[58] P. Bourdieu, « La délégation et le fétichisme politique » (1ère éd. : 1984), repris dans Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, collection « Points Essais », 2001, p. 261.[59] Voir notamment H. Bouteldja, « Au-delà de la frontière BBF (Benbassa-Blanchard-Fassin(s)) », 30 juin 20011, [http://indigenes-republique.fr/au-dela-de-la-frontiere-bbf-benbassa-blanchard-fassins/], « Race, classe et genre : l’intersectionnalité, entre réalité sociale et limites politiques », 24 juin 2013, art. cit., et avec S. Khiari, « Jamais contents ! Quelques commentaires sur les articles de Jérémy Robine et d’Eric Fassin », art. cit.[60] S. Chauvin, « Pour une critique bienveillante de la notion de « minorité » », revue ContreTemps (série éditions Textuel), n° 7, mai 2003, p. 33, [http://www.contretemps.eu/sites/default/files/Contretemps%2007.pdf].[61] H. Budour, « Le Noir : décoloniser l’anarchisme et défier l’hégémonie du Blanc », 1ère éd. : 24 juillet 2013, traduction française sur le site du PIR, 28 septembre 2013, [http://indigenes-republique.fr/le-noir-decoloniser-lanarchisme-et-defier-lhegemonie-du-blanc/].[62] Voir P. Corcuff, « Les religions sont-elles solubles dans la réaction ? Les agnostiques sont-ils de misérables traîtres à la cause anarchiste ? », Le Monde Libertaire, n° 1752, du 16 au 22 octobre 2014, [http://www.monde-libertaire.fr/atheisme/17370-les-religions-sont-elles-solubles-dans-la-reaction-les-agnostiques-sont-ils-de-miserables-traitres-a-la-cause-anarchiste], et « Critiquer les religions, combattre l’islamophobie », Le Monde Libertaire, numéro spécial Charlie, supplément gratuit au n° 1762, 22 janvier 2015, repris sur Mediapart, 2 février 2015, [http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/020215/critiquer-les-religions-combattre-l-islamophobie].[63] « Revendiquer un monde décolonial », entretien avec H. Bouteldja, par C. Izambert, P. Guillibert et S. Wahnich, revue Vacarme, n° 71, printemps 2015, p. 66.[64] Sur le poids du « logiciel collectiviste » à gauche en France, voir P. Corcuff, « Individualisme », dans A. Caillé et R. Sue (éds.), De gauche ?, Paris, Fayard, 2099, pp. 199-208, et La gauche est-elle en état de mort cérébrale ?,op. cit., pp. 45-48.[65] « Revendiquer un monde décolonial », entretien avec H. Bouteldja, art. cit., pp. 61-65.[66] S. Khiari, Pour une politique de la racailleop. cit., p. 106.[67] A. Benabdellah, « « Le Métis » et le Pouvoir Blanc », 22 juin 2015, [http://indigenes-republique.fr/le-metis-et-le-pouvoir-blanc/].[68] Ibid.[69] Sur les courants de la sociologie contemporaine discutés en France, voir le chapitre 4, intitulé « Des individus singuliers, individualisés et pluriels », de P. Corcuff, Les nouvelles sociologies. Entre le collectif et l’individuel, 3ème édition, Paris, Armand Colin, collection « 128 », 2011.[70] Pour une variété d’éclairages, de manière privilégiée mais non exclusive, sur l’individualisme occidental, voir l’ouvrage collectif dirigé par P. Corcuff, Christian Le Bart et François de Singly : L’individu aujourd’hui. Débats sociologiques et contrepoints philosophiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.[71] E. Lozerand (éd.), Drôles d’individus. De la singularité individuelle dans le Reste-du-monde, Paris, Klincksieck, 2014, 576 p.[72] Voir G. Simmel, « L’élargissement du groupe et le développement de l’individualité », chapitre 10 deSociologie. Essai sur les formes de la socialisation (1ère éd. : 1908), Paris, PUF, 1999, pp. 685-746.[73] Sur la globalisation et ses interactions avec l’individualisation, voir les travaux du sociologue britannique Anthony Giddens au début des années 1990, et notamment Les conséquences de la modernité (1ère éd. : 1990), Paris, L’Harmattan, 1994, et Modernity and Self-Identitty. Self and Society in the Late Modern Age, Cambridge (UK), Polity Press, 1991.[74] Voir notamment Axel Honneth, La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique (recueil de textes de 1981 à 2004), préface d’O. Voirol, Paris, La Découverte, 2006, et P. Corcuff, « Individualité et contradictions du néocapitalisme », revue en ligne SociologieS (AISLF), 22 octobre 2006, [http://sociologies.revues.org/document462.html].[75] N. Guénif-Souilamas et É. Macé, Les féministes et le garçon arabe, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2004, p. 21.[76] Ibid.[77] Dans N. Guénif-Souilamas, « Répertoires d’individuation et gisements identificatoires : une boîte à outils extensible », dans P Corcuff, C. Le Bart et F. de Singly (éds.), L’individu aujourd’huiop. cit., p. 290.[78] L. Yousfi, « Politiser la trahison : le cas Sophia Aram », 4 juin 2015, [http://indigenes-republique.fr/politiser-la-trahison-le-cas-sophia-aram-2/].[79] P. Chamoiseau, « Fanon, côté cœur, côté sève », discours prononcé en hommage à Frantz Fanon au congrès international d’addictologie, Fort de France, 24 octobre 2001, repris sur le site Sortir du colonialisme, 30 décembre 2011, [http://www.anticolonial.net/spip.php?article2439].[80] Ibid.[81] Voir notamment Régis Meyran et Valéry Rasplus, Les pièges de l’identité culturelle. Culture et culturalisme en sciences sociales et en politique (XIXe-XXIe siècles), Paris, Berg International, 2014.[82] Notamment dans H. Bouteldja, « Race, classe et genre… », art. cit.[83] H. Bouteldja, « Pierre, Djemila, Dominique…et Mohamed », art. cit.[84] H. Bouteldja, « Charlie Hebdo : du sacré des « Damnés de la terre » et de sa profanation », art. cit.[85] « Revendiquer un monde décolonial », entretien avec H. Bouteldja, art. cit., p. 61.[86] Ibid., p. 63.[87] « Nous avons à nous libérer de la modernité », entretien avec S. Khiari, art. cit.[88] Pour une présentation synthétique de la notion et des débats qu’elle a suscités, voir Carley Matsumoto, « An Introduction to Strategic Essentialism », March 12 2012, Lewis & Clark College Environmental Studies Program, [https://ds.lclark.edu/sge/2012/03/12/an-introduction-to-strategic-essentialism/].[89] S. Wahnich, « L’universel a-t-il jamais été abstrait ? », revue Vacarme, n° 71, printemps 2015, p. 104.[90] Sur la fermeture identitaire à l’œuvre dans les fondamentalismes islamistes, par-delà leur diversité et leurs contradictions, voir l’éclairage issu des sciences sociales proposé par Haoues Seniguer, dans « L’islamisme », entretien avec O. de Trogoff, site Les clés du Moyen-Orient, 15 décembre 2014, [http://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Haoues-Seniguer-L.html], et la lecture militante, anticapitaliste, anti-impérialiste, antiraciste et libertaire, du cas tunisien par Mohamed Amami, dans Tunisie : la révolution face à la mondialisation des fondamentalismes contemporains, Velle Le Chatel, Éditions franco-Berbères, 2015.[91] L. Yousfi, « Politiser la trahison : le cas Sophia Aram », art. cit.[92] J. Rancière, La nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier (1ére éd. : 1981), Paris, Hachette Littérature, collection « Pluriel Histoire », 2005.[93] E. W. Saïd, Culture et impérialisme (1ère éd. : 1992), Paris, Fayard/Le Monde diplomatique, 2000, pp. 13-14 et 27-29.[94] Voir notamment Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996, p. 77.[95] J. Zaganiaris, Queer Maroc. Genres, sexualités et (trans)identités dans la littérature marocaine, Paris, Des ailes sur un Tracteur, 2014, p. 11.[96] Voir le communiqué du MIR du 1er mars 2006 sur le meurtre d’Ilan Halimi, art. cit., et S. Khiari, « Réponse à Philippe Corcuff concernant le communiqué des Indigènes de la république sur le meurtre d’Ilan Halimi », art. cit.[97] Voir H. Bouteldja, « Mohamed Merah et moi », 6 avril 2012, [http://indigenes-republique.fr/mohamed-merah-et-moi/].[98] Voir M. Tahar-Chaouch et H. Bouteldja, « Charlie Hebdo : le piège de l’unité nationale », art. cit.[99] S. Khiari, « Réponse à Philippe Corcuff concernant le communiqué des Indigènes de la république sur le meurtre d’Ilan Halimi », art. cit.[100] Ibid.[101] Ibid.[102] M. Tahar-Chaouch et H. Bouteldja, « Charlie Hebdo : le piège de l’unité nationale », art. cit.[103] H. Bouteldja, « Racisme(s) et philosémitisme d’Etat ou comment politiser l’antiracisme en France ? », 11 mars 2015, [http://indigenes-republique.fr/racisme-s-et-philosemitisme-detat-ou-comment-politiser-lantiracisme-en-france-3/].[104] Je dois cet exemple à Sébastien Chauvin.[105] M. Feher, « Les divisions de la gauche mouvementée », revue Vacarme, n° 20, été 2002, pp. 36-44, [http://www.vacarme.org/article349.html].[106] S. Chauvin et A. Jaunait, « L’intersectionnalité contre l’intersection », art. cit., p.72.[107] A. Hajjat et M. Mohammed Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman »op. cit., chapitre 11, « Antisémitisme et islamophobie ».[108] « On a sous-estimé la violence que rencontrent les juifs français », entretien de P. Birnbaum avec A. Perraud, Mediapart, 16 février 2015, [http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/160215/pierre-birnbaum-sous-estime-la-violence-que-rencontrent-les-juifs-francais].[109] « Manifeste pour un antiracisme politique », Libération, 21 mai 2015, [http://www.liberation.fr/societe/2015/05/21/pour-un-antiracisme-politique_1313970].[110] Sur les débats concernant « l’homonationalisme », voir Alexandre Jaunait, Amélie Le Renard et Élisabeth Marteu, « Nationalismes sexuels ? Reconfigurations contemporaines des sexualités et des nationalismes », revueRaisons politiques, n° 49, février 2013, pp. 5-23, [http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-1-page-5.htm], et Sébastien Chauvin et Arnaud Lech, Sociologie de l’homosexualité, Paris, La Découverte, collection « Repères », 2013, pp. 93-99.[111] H. Bouteldja, « Universalisme gay, homoracialisme et « mariage pour tous » », 12 février 2013, [http://indigenes-republique.fr/universalisme-gay-homoracialisme-et-mariage-pour-tous-2/].[112] Ibid.[113] Ibid.[114] A. Jaunait, A. Le Renard et É. Marteu, « Nationalismes sexuels ? », art. cit., p. 21.[115] Ibid., p. 28.[116] J. Robine, « Les “Indigènes de la République” : nation et question postcoloniale. Territoires des enfants de l’immigration et rivalité de pouvoir », revue Hérodote, 2006/1, n° 120, pp. 118-148, [http://www.cairn.info/revue-herodote-2006-1-page-118.htm].[117] « Du Comité national contre la double peine au Mouvement de l’immigration et des banlieues », entretien avec T. Kawtari, dans A. Boubeker et A. Hajjat (éds.), Histoire politique des immigrations (post)coloniales. France, 1920-2008op. cit., p. 214.[118] S. Chauvin et A. Jaunait, « L’intersectionnalité contre l’intersection », art. cit., p. 73.[119] P. Corcuff, La société de verre. Pour une éthique de la fragilité, Paris, Armand Colin, 2002.[120] Je dois cette hypothèse aux échanges avec Wil Saver lors du séminaire ETAPE du 6 mars 2015.[121] Sur ces contradictions du capitalisme, voir P. Corcuff, « Renaissance de l’anticapitalisme en France », Mediapart, 20 avril 2009, [http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/200409/renaissance-de-l-anticapitalisme-en-France].[122] G. Deleuze, « Les intercesseurs » (1ère éd. : octobre 1985), repris dans Pourparlers, 1972-1990, Paris, Minuit, 1990, pp. 165-184.[123] Voir notamment M. Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, n° 36, 1986, pp. 169-208, [https://yannickprimel.files.wordpress.com/2014/07/mcallon_la-domestication-des-coquilles-saint-jacques-et-des-marins-pc3aacheurs-dans-la-baie-de-saint-brieuc_1986.pdf].[124] Voir Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Vers l’extrême. Extension des domaines de la droite, Bellevaux, Éditions Dehors, 2014, et P. Corcuff, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillardop. cit. ; sur la participation de sensibilités fondamentalistes islamistes à l’extrême droitisation en cours, voir les analyses d’Haoues Seniguer sur son blog dans le Huffington Post, et notamment : « La galaxie Alain Soral : de l’extrême droite néo-traditionnaliste catholique aux néo-Frères musulmans », 22 décembre 2013, [http://www.huffingtonpost.fr/haoues-seniguer/la-galaxie-alain-soral_b_4480637.html], « La « théorie du genre » à l’école : vers un front uni entre musulmans conservateurs et extrême droite ? », 7 février 2014, [http://www.huffingtonpost.fr/haoues-seniguer/la-theorie-du-genre-union-conservateurs-musulmans-extreme-droite_b_4738459.html], et « La mobilisation contre « la théorie du genre » : les habits neufs d’une vieille rhétorique ? », 4 mars 2014, [http://www.huffingtonpost.fr/haoues-seniguer/la-mobilisation-contre-la_b_4888892.html].[125] Sur la piste de cette question sociale élargie, voir P. Corcuff, Les années 30…op. cit., pp. 139-143.[126] H. Bouteldja, « Racisme(s) et philosémitisme d’Etat ou comment politiser l’antiracisme en France ? », art. cit.[127] S. Bouamama, « La construction étatique d’une hiérarchisation « des racismes » », Le blog de Saïd Bouamama, 25 avril 2015, [https://bouamamas.wordpress.com/2015/04/25/la-construction-etatique-dune-hierarchisation-des-racismes/].[128] « « Non au philosémitisme d’État » : un slogan indigne ! » ; déclaration du Bureau Exécutif du MRAP, 7 avril 2015, [http://www.mrap.fr/ab-non-au-philosemitisme-d2019etat-bb-un-slogan-indigne-1].[129] « Manifeste pour un antiracisme politique », art. cit.

9 juillet 2015

http://www.grand-angle-libertaire.net/indigenes-de-la-republique-pluralite-des-dominations-et-convergences-des-mouvements-sociaux-philippe-corcuff/