" Car, pour te dire ma pensée, je ne suis pas convaincu, et je ne crois pas que l'injustice soit plus profitable que la justice, même si l'on a liberté de la commettre et si l'on n'est pas empêché de faire ce que l'on veut. " (Platon, "La République", livre I, 344b).
Il avait jusqu'à minuit, il les a présentées vers vingt-deux heures trente, ce jeudi 9 juillet 2015. Le Premier Ministre Alexis Tsipras a enfin exposé ses propositions à l'Eurogroupe pour obtenir de nouvelles aides financières. Son objectif, en effet, c'est d'avoir 53,5 milliards d'euros pour assumer la dette grecque jusqu'en 2018 et surtout 35 milliards d'euros pour relancer l'économie grecque. Le plan Tsipras, qui doit être approuvé par les parlementaires grecs (le débat commence à 18 heures ce vendredi 10 juillet 2015), est finalement assez proche des exigences de l'Eurogroupe exprimées le 25 juin 2015 et rejetées par le référendum grec du 5 juillet 2015.
On se demande alors quelle est la logique politique d'Alexis Tsipras en organisant ce référendum, soutenant l'opposition à ces exigences pour finalement les accepter quatre jours plus tard. J'imagine déjà un retournement d'opinion à son détriment, avec le reproche de déni de démocratie en ne suivant pas le résultat du référendum qui l'avait pourtant rendu victorieux.
J'aurais tendance à dire : qu'importe ! L'urgence est de sauver les Grecs. L'essentiel était de faire preuve de responsabilité et il a finalement compris qu'il n'y avait pas beaucoup d'autres solutions. Ou la Grèce se noyait dans une ruine financière catastrophique pour tout le monde, avec un Grexit incontournable, ou elle reprenait l'effort de faire redémarrer son économie grâce à de nouvelles aides financières. Le choix s'est donc porté vers la solution la plus favorable au peuple grec et l'histoire honorera Alexis Tsipras pour avoir pris une telle option.
Le plan Tsipras prévoit ainsi quelques mesures très difficiles pour soutenir les finances publiques, en particulier la hausse de la TVA à 23% (13% pour les produits de première nécessité, l'énergie et les hôtels, la restauration étant à 23%, et 6% pour les médicaments, les livres et le théâtre), le prolongement de l'âge à la retraite à 67 ans d'ici 2022, la fin des privilèges fiscaux sur les îles grecques, l'augmentation des taxes pour les produits de luxe et les publicités télévisées, une coupe drastique du budget de la défense tant décrié (300 millions d'euros en deux ans), la déréglementation de certaines professions (tourisme, notariat etc.) ainsi que la poursuite de la privatisation d'entreprises publiques.
La France n'a pas de quoi faire du triomphalisme car le gouvernement français est incapable de réformer le pays, le jour même de l'adoption définitive de la loi Macron, sans vote, en raison de la troisième utilisation de l'article 49 alinéa 3, incapable de réduire son déficit public, incapable a fortiori de réduire sa dette publique.
Une telle ouverture du gouvernement grec devrait avoir des conséquences positives pour la discussion sur la dette de la Grèce. En effet, comme je l'expliquais la semaine dernière, si tout le monde est d'accord pour dire que la dette grecque ne sera jamais remboursée dans son intégralité (on pourrait se poser le même type de question pour la dette de la France), alors pourquoi ne pas assumer ce constat en restructurant celle-ci ?
L'objectif d'Alexis Tsipras serait d'obtenir un effacement de la dette de l'ordre de 30% et cette idée trouverait des échos favorables auprès non seulement de Donald Tusk, le Président de l'Union Européenne ( " Tout programme réaliste venu d'Athènes doit trouver une réponse réaliste du côté des créanciers sur la question de la viabilité de sa dette. "), et de Christine Lagarde, directrice générale du FMI dont la vraie contrainte est de ne pas être soupçonnée de privilégier la Grèce par rapport à d'autres pays du monde très endettés, mais aussi auprès de l'austère Ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble qui, pour l'instant, ne semble pas avoir convaincu la Chancelière allemande Angela Merkel qui reste intransigeante à ce sujet.
La situation pourrait alors évoluer dans les rapports entre pays au sein de l'Eurogroupe : d'une Grèce enfant terrible "rentrée dans le rang", on pourrait alors voir pointer du doigt une Allemagne si intransigeante qu'elle en deviendrait isolée. Toute cette tragi-comédie, tragie pour le peuple grec, comédie pour les dirigeants grecs d'extrême gauche qui auraient pu épargner cette "séquence" à leurs concitoyens, montre à l'évidence que les mécanismes de solidarité au sein de la zone euro devraient être accompagnés d'une meilleure gouvernance interne, dont la légitimité démocratique devrait être accentuée.
Après tout, avec le prochain débat sur le recentrage des compétences de l'Union Européenne qu'initiera immanquablement le Premier Ministre David Cameron, on pourrait bien s'acheminer à cette fameuse Europe à cercles concentriques qu'avait déjà imaginée Édouard Balladur il y a plus de vingt ans, quand il était à Matignon, qui permettrait aux pays membres de choisir le degré d'intégration européenne voulue. La zone euro et les accords de Schengen avaient déjà amorcé ce type d'Europe et l'on pourrait imaginer que sur les questions de défense notamment, de nouveaux pôles de convergence et de solidarité se forment, mais à la condition indispensable que la représentation en soit lisible et légitime. Aucun transfert de souveraineté de la part des États ne doit se faire au détriment de la souveraineté de leurs peuples.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 juillet 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le plant Tsipras.
Alexis Tsipras.
Antonis Samaras.
Mauvaise Grèce ?
La construction européenne.
L'Europe de Victor Hugo.
Tournant historique pour l'euro.
Le TSCG.
Il y a dix ans, le référendum sur le TCE.
Le Traité de Maastricht.
Angela Merkel.
La débarrosoïsation de l'Europe.
Les priorités de Jean-Claude Juncker.
La parlementarisation des institutions européennes.