Mon gros coq aimé,
Tu ne m'écris plus et tu ne viens jamais. Tu as donc cessé de m'aimer ? Pourquoi ? Qu'ai-je fait ? Dis-le moi, mon chéri, Je t'en supplie ! Moi, je t'aime tant, Tant, tant ! Je voudrais t'avoir près de moi toujours, T'embrasser nuit et jour, Et te donner, ô mon trésor chéri, Tous les mots tendres qui Me passeraient par la tête. Mon chat, je t'adore. Ô mon beau coq, oui, je t'adore. Ta poulette,
Sophie
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Ma chère amie,
Si tu avais été muette et sourde, Je t'aurais aimée sans doute, Longtemps, Longtemps. Mais le malheur vient De ce que tu parles sans arrêt et pour rien. Vois-tu, en amour, Il faut toujours Faire chanter les rêves. Mais pour que chantent les rêves, Il ne faut pas les rompre. Or, quand tu parles entre deux baisers, Tu ne fais Qu'interrompre Mon beau rêve.
Je continue. Tu es la femme la plus charmante Que j'ai jamais vue. Te rappelles-tu la première fois Que tu es venue chez moi ? Tu es entrée, élégante Et parfumée. Nous nous sommes regardés Longtemps sans parler. Puis nous nous sommes embrassés, Puis...puis jusqu'au lendemain matin, Nous avons parlé...de rien. Quand nous nous sommes quittés, Nos mains tremblaient Et nos yeux se disaient des choses,... Des choses... Qu'on ne peut exprimer. Du moins, je le croyais. En partant, tu murmuras : -" À bientôt ! "
Tu ne t'imagineras Jamais quel rêve tu m'as laissé Sans parler De ce que j'ai deviné Dans ta pensée. Vois-tu, pour les hommes un peu raffinés, L'amour est un instrument si compliqué Qu'un rien peut le détraquer. Vous autres femmes, vous ne percevez jamais Le ridicule de certaines choses quand vous aimez. Pourquoi la parole d'une brune ronde Parait-elle Juste ? Et fausse, celle D'une maigre blonde ? Pourquoi le baiser peut-il être déplacé Chez l'une mais pas chez l'autre. Pourquoi ? Parce qu'il faut une parfaite harmonie Entre les gestes tendres et la voix, Entre la personne qui parle ou qui agit Et son âge, sa taille, sa physionomie.
Oui, je t'assure, je l'ai toujours ressenti. Une femme de trente ans Qui aurait conservé La mièvre caresse de ses dix-sept ans, Qui ne saurait S'exprimer autrement, Regarder autrement, Embrasser autrement, Décevrait les trois-quarts des amants. Nous nous embrassions de baisers furieux, De ceux qui font fermer les yeux, Comme s'ils pouvaient s'en échapper. Puis quand nous nous séparions, tu me disais : " C'est bon, mon gros chien ! "
Je t'aurais giflée car tu me donnais Tous les noms d'animaux que tu trouvais. Je te pardonne car cela n'est rien. La caresse d'amour est brutale, Bestiale, Musset a écrit : Je me souviens encor de ces spasmes terribles, De ces baisers muets, de ces muscles ardents, De cet être absorbé, blême et serrant les dents. S'ils ne sont pas divins, ces moments sont horribles. Oh ! Quel génie farceur, quel pervers esprit ! Lors des '' je t'aime '' exaltés Que tu lâchais quand on se quittait Moi ; je comprimais mes furieuses envies de rire. Il est des instants, comment dire ?, Où le " je t'aime " est si déplacé Qu'il en devient inconvenant. Tu me comprends ?
Il en est de l'amour comme des savoureux mets. Les affamés mangent en gloutons, Mais les délicats, pour peu de choses, ont D'invincibles nausées. Je ne comprends pas Les femmes qui connaissent De si belles caresses, La séduction du velouté des bas L'ensorcellement des dessous raffinés, Et l'appel exquis de l'intimité Ne ressentent jamais Notre dégoût pour les paroles déplacées. Si un mot de ta part Sait fouetter ma chair, Il faut aussi savoir te taire. Quand tu ne dis rien, Je t'aime passionnément
Bernard.