Oui, je suis une littéraire. J'ai un master de lettres modernes et un diplôme de gestionnaire de l'information. J'ai travaillé comme bibliothécaire documentaliste dans des structures très différentes. J'ai lu des centaines de livres. J'ai écrit un mémoire de 100 pages sur André Gide et un autre sur les livres numériques en bibliothèque. J'ai lu presque tous les Georges Sand, les Hugos, les Molières, les classiques. En prépa, j'ai passé un an à étudier Montesquieu. J'envie le génie de Camus, j'admire l'intelligence de Rousseau et je jalouse carrément Baudelaire et Robert Desnos. J'espère vous en parler dans d'autres articles d'ailleurs ! Oui oui oui. Oui je suis une littéraire et pourtant le livre qui m'a fait le plus vibrer quand j'étais jeune, c'était pas Voltaire, c'était pas Platon, c'était Harry Potter.
Aujourd'hui on s'excuse presque de dire qu'on aime Harry Potter. Victime de son succès, trop populaire, adapté en film par Hollywood, vendu sous toutes formes de goodies allant du porte-clés en passant par la baguette magique made in China, Harry Potter est forcément trop commercial pour être un " bon " livre. En plus, c'est pour les ados, c'est pas vraiment de la littérature avec un grand L. Mais ce qu'on souhaite tous au fond d'un bon livre, c'est qu'il nous raconte une belle histoire. J.K.Rowling a le génie de ceux qui savent bâtir des mondes. Le style littéraire apparemment simple cache une trame d'une complexité inouïe.
Ce débat concerne plus généralement la littérature face à la littérature jeunesse, qui pourtant fleurit très bien en librairie et se trouve être une excellente accroche de lecture à cet âge là. Moi-même j'étais assez snob de ce côté là pendant longtemps. Un livre jeunesse ne pouvait pas être aussi beau, aussi noble, qu'un vrai roman classique qui soigne son style. C'est une amie fan de ce genre littéraire qui m'a un peu décrottée (coucou Elodie !). En prépa ensemble, sans télé ni internet, elle m'avait mis dans les mains des romans jeunesse pour se divertir pour changer de cet ennuyant - il faut le dire - Montesquieu. Tout en déplorant la pauvreté du style et des traductions (il s'agissait souvent de livres américains), j'avoue m'être laissée prendre au jeu des ces romans, qui ont pour seule arme leur trame narrative. Peu à peu, je me surprends à chercher dans les rayons de littérature jeunesse la prochaine perle qui me fera rêver.
Harry Potter, je l'ai découvert à onze ans. Exactement l'âge du petit héros que l'on découvre peu à peu. En fait, j'ai littéralement grandi en même temps que lui. Au début j'ai eu du mal. J'ai même failli abandonner tellement la description du monde au début m'a semblé longue et ressemblant à notre monde (heu, il devrait pas y avoir une baguette magique à un moment ?). Puis très vite, tout s'accélère. Et sans s'en rendre compte, on finit le livre en quelques jours. Et à onze ans, c'est quelque chose. Et on a le tome 2 et 3 ! vite, on enchaine ! Il sort quand le 4 ?
La magie de ces livres réside à la fois dans la profondeur du thème principal de chaque livre et à la fois dans le suspense qui fait attendre le prochain tome comme le messi. Maligne, J.K. Rowling fait évoluer son héros dans une école, comme nous. Pas très populaire le mec en plus, comme nous. Le tempo du livre est le même que le notre : de juin à juin, avec la rentrée scolaire, les vacances, les amis, les devoirs, les profs, les parents. Pratique, il n'y connait rien au monde de la magie, que le lecteur découvre en même temps que lui. Instruite, l'auteure ne laisse aucun nom, aucun symbole dû au hasard et s'amuse avec le latin et le français. Rêveuse, son héros a quand même un destin extraordinaire et rencontre d'autres personnages tout aussi fascinants qui vont le construire. Intuitive, elle sait qu'on s'identifie plus aux loosers qu'aux beaux joueurs, et laisse deviner que l'apparence n'a rien à voir avec la grandeur d'âme.
Je pourrais encore disserter longtemps mais je préfère élargir le sujet en disant qu'il n'est pas incompatible d'être une littéraire pur jus et de sincèrement aimer un livre devenu succès commercial. Au contraire, est-on vraiment dans l'air du temps si l'on s'enferme dans des classiques en passant à côté des succès de notre génération ?
Bon, sauf Guillaume Musso, faut pas déconner non plus.