Voici deux lignes d'une grande sobriété et que l'esprit ne peut saisir à partir des lois habituelles de la cause et de l'effet parce qu'elles ont la fulgurance d'un koan* : « L'espace sous mon nombril en passant par les reins et jusqu'à la plante de mes pieds est le village où je suis né. »
Se permettre de réaliser quelques instants, le caractère inconcevable de ces propos, inconcevable pour une pensée cartésienne... Ce sont ceux du maître zen Hakuin Ekaku, extraits d'Orategama* publié en 1749.
La fraîcheur qui se glisse derrière chaque mot ne repose sur aucun concept intellectuel, aucune
idéologie, aucune croyance, elle évoque simplement cette possibilité de renouer avec l'innocence de notre origine en investissant la zone située dans le bas-ventre. Et il ajoute : « Quelles nouvelles peuvent arriver de ce village natal ? »
Un siècle plus tôt (1637), Descartes définissait ainsi sa propre essence : « Je compris que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser et qui pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni d'aucune chose matérielle. » (Discours de la Méthode).
Nous risquons de gérer l'écart entre une pensée auto-suffisante et l'ancrage dans ce que le corps nous révèle de plus archaïque, de plus originel, sous la forme d'une opposition et de replonger ainsi dans les considérations dualistes du corps et de l'esprit qui agitent la philosophie depuis des siècles. Nous sommes en effet devant deux niveaux de conscience, deux manières de considérer l'être humain.
Le zen vient contredire la philosophie occidentale en lui opposant la radicalité d'une pratique qui engage chacun dans une actualisation personnelle du propos, la pensée ne pouvant y avoir accès.
La méditation commence par une prise de conscience de ces aller-retour entre ces deux niveaux de conscience. Elle nous révèle le pouvoir des instances identitaires situées dans le haut du corps s'opposant à cette force immanente qu'Hakuin place sous le nombril. D'un côté une pensée attachée à un cadre de référence déterminant et définissant qu'il faut projeter sur le futur, qui exige de poursuivre un projet et d'éliminer l'aléatoire, l'incertain ; de l'autre, cet autre niveau de conscience situé dans l'espace sous le nombril, qui bouleverse le mode de perception habituel parce que l'interrogation devient la seule manière de considérer le fondement de l'Etre, de l'Etre-humain.
Définir la vie à partir de ce que l'on sait et interroger la vie telle qu'elle nous arrive, sont deux options directionnelles opposées, elles mobilisent la personne à des niveaux différents.
La méditation, cependant, nous apprend qu'il n'y a pas lieu de les opposer, le simple exercice permet de conduire l'intellect ailleurs que là où il sait et d'ainsi le laisser se glisser là où la vie nous interroge et où nous interrogeons la vie. Au-delà de la pensée et de la non-pensée, un moment de pure créativité surgit chaque fois que nous prenons contact avec cet autre mode de « connaître ».
Se donner la chance, chaque jour, tout en plaçant la respiration dans le bas ventre, de se poser cette question : « Quelles nouvelles m'arrivent aujourd'hui de ce village natal ? »
Ce n'est pas le bas ventre en tant que tel qui importe, c'est la qualité de cette nouvelle approche du réel et de soi-même qui se fait dans un esprit de découverte. Le mode interrogatif n'attend pas de réponse, c'est juste une manière d'être, une certaine manière de se mettre à l'écoute de ce qui nous fait être, proche de l'étonnement, « une mise à disposition » qui ne capture rien pour son propre bénéfice.
Puissiez-vous recevoir de belles nouvelles pendant ces vacances.
• *koan : formulé la plupart du temps sous la forme d'une question, il se présente au mental analytique comme une barrière impossible à franchir ; il sollicite pour sa résolution un esprit
unifiant non discriminant.
* Orategema : ensemble de lettres écrites au seigneur Nabeshima, gouverneur de la province Setchu