Article extrait des Enquêtes du contribuable de juin/juillet 2015, «SNCF, ça déraille!». En kiosque. Numéro disponible sur notre boutique en ligne.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : trois ans après son inauguration, le TGV Rhin-Rhône (Dijon-Besançon- Mulhouse) n’a pas trouvé son équilibre économique. On est loin des promesses initiales qui, selon Serge Grass, le président de l’Union Civique des Contribuables Citoyens de Franche-Comté, prévoyaient « un taux de rentabilité socio-économique de 12, voire 14,5 % »… Le TGV Rhin-Rhône est à l’image d’une grande partie du réseau : « Plus de 30 % des dessertes TGV ne sont pas rentables », estime notamment Marc Fressoz, spécialiste des transports et auteur d’un livre intitulé « Faillite à grande vitesse », paru en 2011.
En multipliant des lignes déficitaires comme Rhin-Rhône, la SNCF joue à la roulette russe avec un pistolet automatique : plus la taille de son réseau augmente et plus elle perd de l’argent. C’est la mort économique assurée. Et pourtant, la course au gigantisme se poursuit. Du Grenelle de l’environnement, organisé en 2009 lorsque Nicolas Sarkozy se piquait d’écologie, est sorti un projet de schéma national des infrastructures de transport (SNIT) comportant 14 nouveaux projets de LGV pour une longueur totale de 2407 km. A court terme, quatre lignes sont en cours de construction. Elles ajouteront 671 km de LGV à horizon 2018.
Chaque kilomètre supplémentaire rabote la marge opérationnelle des TGV. Entre 2007 et 2013, elle est tombée de 28 à 11,4 %. Le taux de rentabilité de la LGV Nord est, par exemple, de 3 % contre 12,9 % initialement envisagés. De son côté, le LGV Méditerranée dégage un taux de 4,1 %, deux fois moins que prévu. Du propre aveu de Guillaume Pepy, le président de la SNCF, le niveau de marge est devenu insuffisant pour renouveler le parc des rames TGV. Il a poussé la SNCF à déprécier de 1,4 milliard d’euros la valeur de son parc dans ses comptes 2013.
Faute de rentabilité, le développement des LGV absorbe une bonne partie des contributions publiques dédiées au ferroviaire qui sont de 11 à 12 milliards d’euros environ par an. Tout le monde crache au bassinet. L’État bien sûr, mais aussi les collectivités locales. Sur la LGV Est, les contribuables alsaciens ont, par exemple, versé plus de 500 millions d’euros, soit 10 % du coût total de la ligne, estime la Cour des comptes.
« La classe politique n’a jamais dit aux Français : le TGV est un très joli joujou, mais il coûte très cher » Philippe Essig, président de la SNCF de 1985 à 1988.
Trop de TGV va-t-il tuer le TGV ? Possible. La grande vitesse affiche des prix parfois supérieurs à ceux de l’avion. Du coup, le trafic stagne depuis cinq ans ou diminue, comme entre 2012 et 2013 (- 0,5 %). De surcroît, pourquoi payer le prix fort pour un service qui ne tient pas ses promesses de vitesse initiale ? Les collectivités locales se battent pour que les rames passent sur leur territoire. Et s’y arrêtent. Au fil du temps, le TGV s’est métamorphosé en une sorte d’omnibus à grande vitesse, en outil d’aménagement du territoire. Conçus pour dépasser les 300 km/h, les trains circulent 40 % du temps sur le réseau classique. Les rames desservent aujourd’hui plus de 230 stations, dont des dizaines situées hors des lignes LGV.
Résultat, la longueur moyenne d’un déplacement en TGV est tombée à 450 km après avoir été de l’ordre de 600 km dans les années quatre-vingt-dix, suite aux nombreux arrêts jalonnant les lignes récentes. Au lieu de renforcer le service TGV, ces évolutions l’ont fragilisé. La dette de la SNCF (45 milliards d’euros en 2014) ne cesse d’augmenter. « Le risque est grand de voir le transporteur national aborder l’inéluctable ouverture à la concurrence de son activité voyageurs dans une position de faiblesse préjudiciable à son avenir », prévient la Cour des comptes.
Comment en est-on arrivé là ?
Par manque de jugeote. Selon la Cour, les études de rentabilité réalisées en amont sont trop optimistes. D’après Marc Fressoz, certains fonctionnaires auraient même été priés d’embellir leurs études de faisabilité pour forcer l’ouverture de tronçons. La future ligne qui doit relier Poitiers à Limoges est l’exemple type de projet qui, bien que potentiellement déficitaire, fait l’objet d’un acharnement technocratique. Voici quelques mois, la Cour des comptes a prévenu que cette LGV, dont le coût dépassera 2 milliards d’euros, ne serait pas rentable. Malgré cela, la signature de la déclaration d’utilité publique est intervenue début 2015 à la grande satisfaction des élus locaux, d’Alstom, qui fabrique les rames, et des groupes de BTP. Quant à la future la ligne Bordeaux-Toulouse, son trafic pourrait être largement inférieur à celui des autres LGV existantes (30 000 passagers/km dans les deux sens contre 68 000 passagers/km). Qu’importe. Le projet est sur les rails.
Toujours prompte à demander davantage de rationalité, l’Union européenne n’est pas plus rigoureuse que la France quand il s’agit de calculer la rentabilité de certaines LGV. Elle a notamment avalisé l’étude de rentabilité socio-économique de la LGV reliant Bordeaux à l’Espagne et du Lyon-Turin, alors que sa profitabilité potentielle est contestée des deux côtés des Pyrénées et des Alpes. L’argument communautaire selon lequel la grande vitesse ferroviaire a un effet positif sur l’activité économique n’est pas non plus avéré.
Une étude universitaire de 2012, citée par la Cour des comptes en 2014 et portant sur 1 400 unités urbaines de plus de 9 000 habitants, montre que « le fait qu’elles soient desservies ou non par une LGV, ne change rien. Celles qui ont une LGV ne se détachent pas, n’évoluent pas différemment. Si elles étaient dynamiques, elles le restent, et inversement ». Autre défaillance du système, le montage financier des LGV est souvent traité avec retard. Ainsi, la recherche de financements pour le tronçon Tours-Bordeaux a été lancée 12 ans après le lancement des études et seulement quatre ans avant le début des travaux, relatent les magistrats de la rue Cambon.
Bientôt des concessionnaires privés
Exsangues, État et collectivité locales en sont réduits à solliciter les sociétés du CAC 40 pour trouver des capitaux : « Tous les projets qui démarreront après 2016 ont été confiés à des concessionnaires privés », assure Marc Fressoz dans une interview publiée voici deux ans par Le Nouvel Observateur . « On y retrouve les mêmes acteurs que dans les autoroutes : Vinci, Eiffage et peut-être, demain, Bouygues », poursuit-il en ajoutant que, si les investissements sont partagés entre public et privé, ce dernier est le seul à empocher les bénéfices.
Ainsi dans le cadre de la ligne Tours-Bordeaux, l’État, les collectivités locales et la SNCF apportent les 2/3 du montant de l’investissement, le solde étant amené par Vinci, et ses partenaires. En contrepartie, ces opérateurs se sont vu attribuer 100 % des recettes, indique Marc Fressoz. Et afin d’alléger une ardoise alourdie par la marge des concessionnaires, les experts estiment que le prix de vente des billets devra augmenter de 15 à 20 %.
Cette hausse risque de peser sur la fréquentation des lignes et de réduire un peu plus la marge globale du réseau TGV. Et alors ? Depuis des années les contribuables sont appelés à la rescousse pour renflouer la SNCF, même s’ils ne prennent jamais le TGV. Et ce n’est pas demain que cesseront ces pratiques délétères.
Fabrice Durtal
Ces opposants qui veulent stopper la grand vitesse
TGV Lyon-Turin, LGV Poitiers-Limoges ou LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax : partout, les opposants freinent des quatre fers.
L’équivalent de 150 années de prison ! Quarante-sept opposants au chantier de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin ont été condamnés, au mois de janvier dernier, à des peines de prison par la cour de Turin pour des heurts violents avec la police italienne en 2011, rapporte le quotidien La Stampa. Cette ligne qui reliera la France et l’Italie, tant pour le transport de voyageurs que pour le fret ferroviaire, nécessite le percement d’un tunnel de 57 km entre Saint-Jean-de-Maurienne, en Savoie, et le superbe Val de Suse, dans le Piémont. Budget estimé du percement du tunnel : 8,5 milliards d’euros.
Depuis le départ, en 1999, ce projet est combattu par les écolos qui en jugent le coût démesuré par rapport au trafic attendu. Sans compter, côté italien, des accusations selon lesquelles la mafia calabraise s’intéresserait de trop près à ce méga-chantier et aux entreprises qu’il fera travailler. Théoriquement, la ligne devrait fonctionner en 2030.
Dans le centre de la France, la LGV qui doit rapprocher Poitiers et Limoges ne fait pas non plus l’unanimité. Si, en janvier dernier les élus du Limousin se sont félicités de la signature d’une déclaration d’utilité publique, les opposants ont indiqué qu’ils joueraient les empêcheurs de rouler en rond. Parmi eux, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) a annoncé son intention de déposer un recours auprès du Conseil d’État. Ce projet n’est pas techniquement justifié, estime-t-elle, lui préférant la rénovation de la ligne POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse). Voici quelques mois, la Cour des comptes avait estimé que cette LGV, dont le coût dépassera 2 milliards d’euros, ne sera pas rentable…
Plus au sud, les lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax font également grincer pas mal de dents. Selon le Collectif des associations de défense de l’environnement (CADE), qui regroupe 43 associations du Pays basque et des Landes, le coût de construction des deux lignes LGV reviendrait à 15 milliards d’euros.
Selon le CADE, le trafic devrait plafonner autour de 30 000 passagers/km entre Bordeaux et Toulouse, un rendement inférieur à celui des autres LGV existantes (68 000 passagers/km). Les opposants au projet ont reçu l’appui du député PS Gilles Savary. L’élu girondin invite les opposants à multiplier les recours, accuse Alstom de soutenir le projet pour faire rouler ses trains, tout en affirmant qu’il faut «désintoxiquer» la France du «tout TGV». Fin mars, la commission chargée de l’enquête publique pour le projet des deux lignes a émis un avis défavorable sur le projet de déclaration d’utilité publique des travaux de ces lignes nouvelles. Le gouvernement dispose d’un délai de 18 mois après la clôture de l’enquête publique pour se prononcer.
Henri Dumaine
«SNCF, ça déraille !», Les Enquêtes du contribuable de juin/juillet 2015– 5,50€. En kiosque le lundi 1er juin. Vous pouvezcommander en ligne ce numéro et également sur abonnement.
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