Objet de débat depuis maintenant cinq ans en Allemagne, la question du maintien de la Grèce dans la zone euro, et plus généralement celle des conditions politiques et réglementaires de la participation à la zone euro, ont généré nettement moins de débat au sein de la classe politique française. Suite à la récente intensification de la crise dans les négociations entre la Grèce et les « institutions », des clivages entre les responsables politiques français ont émergé, à l’instar de Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé se prononçant en faveur d’une sortie de la Grèce de la zone euro tandis que Manuel Valls condamnait ces propos et qu’Emmanuel Macron mettait en garde contre « un traité de Versailles de la zone euro ».
Corollaire de l’émergence de ce débat politique en France, différents sondages ont été publiés ces dernières semaines sur la question et pouvaient apparaître contradictoires. Ainsi, alors qu’Odoxa annonçait qu’une majorité de Français (50%) étaient favorables à une sortie de la Grèce de la zone euro, l’Ifop publiait au même moment[1] un sondage indiquant que seule une minorité des Français (45%) y étaient favorables, lui préférant la poursuite des négociations. Comment expliquer ces différences ? De manière plus générale, qu’en est-il de l’opinion publique française sur le sujet ?
Le Grexit : un sujet qui divise les Français
En l’espace de quelques jours, quatre sondages ont été publiés sur la question du maintien ou non de la Grèce dans la zone euro : outre les deux précédemment cités, CSA et BVA publiaient la semaine précédant le référendum grec deux résultats indiquant que respectivement 54% et 57% des Français souhaitaient le maintien de la Grèce dans la zone euro. La raison de ces différences (entre d’un côté les sondages Ifop, CSA et BVA et de l’autre Odoxa) n’est pas à trouver dans le mode de passation, car tous ont été réalisés par internet à l’exception du sondage CSA, fait par téléphone. Et dans le cas de ce dernier, le faible taux de NSP (8%) ne renverserait pas le rapport de force dans la mesure où l’écart est de 16 points entre ceux favorables et ceux opposés au Grexit.
La formulation des questions des sondages CSA[2], BVA[3] et Odoxa étant sensiblement la même (si on résume les formulations, il s’agit de se prononcer pour ou contre le maintien de la Grèce dans la zone euro), force est de constater que l’option du Grexit semble donc faire son chemin dans l’opinion publique à la suite du référendum: on passe en une semaine d’un peu plus d’un Français sur deux favorables au maintien de la Grèce (54% dans le sondage CSA et 57% dans le sondage BVA) à une courte majorité favorable à sa sortie la semaine suivante (50% dans le sondage Odoxa).
L’écart observé entre ces sondages et les 45% d’opinions favorables à la sortie de la Grèce de la zone euro mesurées par l’Ifop sont en réalité à trouver dans la formulation de la question. Si face au choix binaire du maintien ou non de la Grèce dans la zone euro, l’opinion des Français a évolué au cours des derniers jours, lorsque soumis à un autre choix comme celui de l’Ifop[4] (la sortie de la zone euro ou la poursuite des négociations), les Français semblent davantage pencher pour la deuxième option (55%) plutôt qu’une sortie de la zone euro, témoignant ainsi d’une certaine volonté des Français de continuer à chercher une solution pour éviter le Grexit.
Si l’opinion des Français n’est donc pas figée selon les alternatives proposées, il n’en demeure pas moins que quel que soit le sondage, les Français sont particulièrement partagés sur le sujet et que quelle que soit la question posée, aucune majorité nette ne se dégage.
La faible cristallisation de la question du Grexit dans l’opinion
Cette hésitation des Français quant à la conduite à tenir face à la Grèce tient tout d’abord à la faible cristallisation de l’opinion à l’égard de cette question, comme en témoigne par exemple la relative méconnaissance des Français sur le sujet. Invités à se prononcer sur le souhait de victoire sur le vote au référendum grec, 38% des Français déclaraient qu’ils ne connaissaient pas assez le sujet pour se prononcer.
Cette méconnaissance se conjugue par ailleurs avec une certain indifférence des Français, un trait par ailleurs commun à de nombreuses questions portant sur l’Europe. De manière spontanée tout d’abord, la question de la Grèce, pourtant au cœur de l’actualité médiatique de la fin du mois de juin, ne ressort qu’à la marge dans le Baromètre du Moral des Français. En outre, interrogés sur leur opinion à l’égard de la victoire du « non » au référendum grec, plus d’un tiers des Français (35%) répondent qu’ils y sont indifférents, les autres se divisant entre satisfaction (37%) et mécontentement (28%), et ce dans un contexte de couverture médiatique extrêmement importante de l’événement. A l’inverse, seuls 16% des Allemands font part de leur indifférence sur le sujet, signe d’un débat public plus construit outre-Rhin.
Et c’est probablement là que se trouve la principale cause de cette relative indifférence des Français à l’égard du sujet, à savoir la quasi-absence de débat parlementaire sur la question du financement de la dette grecque. Il a fallu attendre cette semaine pour qu’un débat parlementaire, sans vote, ait lieu. De même, après trois ans de mandat, force est de constater que le projet de François Hollande pour l’UE n’a jamais été exposé de manière précise. A l’inverse en Allemagne, la chancelière a dû soumettre les deux plans de financement de la dette grecque au Bundestag, ce qui a nécessairement fourni les conditions de formation d’un débat public. Ce processus de discussion et de validation démocratique explique pourquoi dans le sondage Ifop précédemment cité, les Allemands sont moins indifférents à la question que les Français.
Alors que nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la signification de la séquence politique actuelle – s’agit-il d’une simple péripétie que l’UE surmontera dans les jours à venir ou alors de l’amorce d’un nouveau paradigme avec la fin du projet politique d’une « union sans cesse toujours plus étroite » ? –, force est de constater, à travers les données d’opinion décrites ci-dessus, que le débat politique dans l’hexagone et l’opinion publique française demeurent à la marge d’une question qui a trait aux conditions mêmes de participation au projet politique de construction européenne.
[1] Les deux enquêtes ont eu lieu par internet, au lendemain du referendum en Grèce. (6 juillet pour le sondage Odoxa, 6-7 juillet pour le sondage Ifop).
[2] Question CSA : Souhaitez-vous que la Grèce reste dans l’euro ?
[3] Question Odoxa et BVA : Vous personnellement, compte-tenu des difficultés rencontrées par ce pays, souhaitez-vous que la Grèce reste dans la zone euro ou qu’elle en sorte ?
[4] Question Ifop : A la suite de la victoire du « non » au référendum grec, souhaitez-vous que… la Grèce sorte de la zone euo ou que de nouvelles négociations entre la Grèce et les différents pays de la zone euro aient lieu ?