Ventre de Biche
Viens Mourir
"Plus rien à faire / Plus rien à boire, plus rien à fumer / Je regarde une meuf et j'attends qu'elle vienne me parler / Elle vient pas / Un Arabe de quarante ans complètement pété / Viens me taxer une clope / Oh pourquoi, cet Arabe c'est pas toi ?"
Meilleures paroles depuis un bon moment. Qui n'a jamais vécu quelque chose de similaire à un moment donné, à une soirée sur le déclin dont on attendait plus ? Ces paroles, scandées dans l'urgence par un petit mec qui ne paye pas de mine avec sa casquette et sa veste Adidas dans une crade salle de Bruxelles en avril dernier sont coincées dans ma tête, avec les synthés parfaits qui vont avec. L'auteur, Ventre de Biche, est une claque comme je ne m'en étais pas pris depuis très longtemps, blasée comme une connasse par des concerts à répétition où l'on va plus histoire de voir les potes et boire des Jupiler que pour découvrir un groupe. La chanson, "Plus rien à faire", tourne en boucle sur ma platine depuis. Comme le reste de l'album, que j'ai eu à moins cher car le petit mec était trop décalqué après sa performance pour pouvoir rendre la monnaie.
"Quand tu me parles j'ai mal à la tête / Assis dans le salon, comme des cons / Obligés de gueuler, comme des sourds / Putain si j'avais su, j'serais resté chez moi"
Le petit mec, et je me permets de l'appeler comme ça car je le soupçonne d'être plus jeune que moi, c'est Luca Retraite, un Lyonnais qui a trouvé refuge à Strasbourg. Là-bas, il a rejoint le fameux collectif la Grande Triple Alliance Internationale de l'Est, ces mecs bien barrés (Scorpion Violente, Noir Boy George, Delacave, The Dreams ou bien The Feeling of Love) qui font que j'ai encore espoir en la scène française. Depuis quatre-cinq ans, Luca Retraite fait de la musique tout seul sous le blase Ventre de Biche ou avec des copains dans des groupes répondant aux doux noms de Sida, Charnier ou encore Lésion Blanche. Après avoir enregistré des chansons à l'arrache pour ensuite les distribuer lors de concerts via sa petite structure DIY Maison de Retraite, Ventre de Biche a sorti un premier vrai album, Viens Mourir, en avril dernier sur Teenage Menopause Records, le label d'Elzo Durt (lisez notre interview fleuve au passage).
"Chaque journée la même putain de journée / Un avenir certain, tout tracé / Une case de plus à cocher / Tu sais j'ai honte de me plaindre / Mais le verre à moitié plein, j'y crois pas / Le mien est toujours vide alors ressers moi"
Viens Mourir, sacré pépite de treize morceaux qui filent à toute allure. Urgence toujours, il n'y a pas un moment de répit. Les morceaux durent souvent moins de trois minutes, à peine le temps de digérer les paroles, portées par une voix claire, à peine chantée mais étonnamment juste. Dis bonjour au nouveau punk. Et puis il y a ces synthés cheap, ces beats ultra-répétitifs et presque putassiers tellement on sent le potentiel tubesque. L'atmosphère est sombre, mais moins glauque que chez d'autres de la Grande Triple Alliance Internationale de l'Est. C'est plus léger, plus dansant aussi.
"Envie de rien, besoin d'un foie" "Mon amour tu sais / La vie est un long fleuve de merde / Et je sais pas nager"
Mais le vrai génie de Ventre de Biche réside dans les paroles. L'auteur vous dira que c'est pour de rire, et certes, on ne peut pas s'empêcher de sourire par moments, mais quand même, ces textes sont empreints d'une telle vérité que c'en est troublant. Luca Retraite n'a pas son pareil pour dépeindre sous son plus mauvais jour nos petites vies de jeunes pleins d'ennui, de frustration et d'alcool dans le sang. Je ne suis pas sure que Ventre de Biche puisse toucher tout le monde, mais une bonne partie de mes potes se retrouveront dans ses textes. Si bien que Viens Mourir finit presque par sonner comme un putain de manifeste.