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Saint, Château, Abbaye, Dauphin, Évêque, Roi, combien de noms de villes et de villages de France comportent aujourd'hui ces dénominations ? Sans doute beaucoup trop pour être comptés. Cependant, il fût une époque, aux lendemains de la Révolution française, où plus aucune (ou presque) cité ne faisait référence à la féodalité, au christianisme ou à la royauté, des notions que les révolutionnaires jugeaient asservissante pour le peuple.
En effet, par un décret du 25 vendémiaire an I I (16 octobre 1793), la Convention Nationale mande aux différentes communes qui ont adopté un nom révolutionnaire depuis 1789 d'acter officiellement la nouvelle dénomination. Il n'était pas obligatoire de renommer sa ville ou son village mais, à cette époque (et notamment sous la Terreur), il était préférable de se trouver dans le camp des révolutionnaires plutôt que du côté des monarchistes.
Ce ne sont pas moins de 3 000 communes qui ont ainsi été renommées, en voici quelques exemples bien parlants :
- Saint-Quentin (Aisne) devint Egalité-sur-Somme
- Charleville (aujourd'hui Charleville-Mézières dans les Ardennes) devint Libreville
- Bordeaux (Gironde) devint Commune-Franklin
- Pont l'Évêque (Calvados) devint Pont-Libre
- Angoulême (Charente) devint Montagne-Charente
- l'île d'Oléron (Charente-Maritime) devint île-de-la-Liberté
- Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) devint Port-Brieuc
- Châteaudun (Eure-et-Loir) devint Dun-sur-Loir
- Saint-Martin-des-Champs (Finistère) devint Unité-des-Champs
- Beaucaire (Gard) devint Pont-National
- Aigues-Vives (Hérault) devint Aiguevive-la-République
- Châteauroux (Indre) devint Indrelibre
- Neuvy-le-Roi (Indre-et-Loire) devint Neuvy-la-Loi
- Grenoble (Isère) devint Grelibre
- Capbreton (Landes) devint Capbrutus
- Chambord (Loir-et-Cher) devint Bordchamp
- Le Mont-Saint-Michel (Manche) devint Mont-Libre
- Belle-Île-en-Mer (Morbihan) devint Île-de-l'Unité
- Compiègne (Oise) devint Marat-sur-Oise
- Vieille-Eglise (Pas-de-Calais) devint L'Indivisible
- Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme) devint Vic-sur-Allier
- Thurins (Rhône) devint Thurins-le-Français
- Baron (Saône-et-Loire) devint La Montagne-des-Piques
- l'île de la Cité (Paris) devint île-de-la-Fraternité
- Royville (Seine-Maritime) devint Peupleville
- Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne) devint Dammarie-les-Fontaines
- Ham (Somme) devint Sparte
- Montauban (Tarn-et-Garonne) devint Rive-Civique
Nous pouvons constater les différentes inspirations des autorités révolutionnaires à travers ces noms : beaucoup font référence à la devise de la République Française (Liberté, Egalité, Fraternité) quand d'autres engagent un retour à la nature ou bien font indirectement référence à la démocratie athénienne. Enfin, certains mettent en avant des figures françaises révolutionnaires telles que Jean-Paul Marat (député montagnard à la Convention, assassiné en 1793 par Charlotte Corday). Et si certaines communes reçurent des noms à la limite du ridicule (Grelibre pour Grenoble, par exemple) certaines n'eurent même pas la chance d'en avoir, comme Marseille qu'on a renommé Ville-Sans-Nom.
Cependant, la plupart de ces dénominations ne passèrent pas le Premier Empire avec le retour d'un Napoléon soucieux de redorer la mémoire des rois de France. Néanmoins, certaines sont restées intactes, telles que Fort-Royal qui devint Fort-de-France (Martinique) sous la Révolution ou bien Chantelle (Allier) qu'on appelait autrefois Chantelle-le-Château.
Sous l'époque napoléonienne rien n'avait été officiellement décidé. C'est avec la Restauration monarchique que les communes reprirent leurs noms d'origine. En effet, Louis XVIII (frère cadet de Louis XVI), sur le point de monter sur le trône, décide d'annuler le changement de noms des villes et villages orchestré par les Sans-Culottes. C'est ainsi que le 8 Juillet 1814, les quelques 3 000 communes de France renommées sous la Révolution retrouvèrent leurs dénominations d'antan, celles que nous connaissons aujourd'hui.
C'était il y a 201 ans...