Dans un contexte américain de légalisation de l’usage médical du cannabis et d’usage détourné par certains parents pour la prise en charge pédiatrique de troubles comme l’épilepsie, il est légitime de se poser la question du bénéfice, dans cette indication, d’un composé majeur du cannabis, le cannabidiol. De nombreuses études ont suivi la piste de ce composé et évalué son efficacité chez les patients atteints d’épilepsie, mais leurs méthodologies et leurs résultats restent discutables. Cependant, le mécanisme sous-jacent derrière l’usage clinique dans l’épilepsie et de récentes données d’efficacité justifient la poursuite de plus amples recherches.
Le cannabidiol (CBD) est un composé majeur de » Cannabis sativa « , non psychoactif au contraire de son cousin cannabinoïde, le tétrahydrocannabinol (THC). Ces deux principaux constituants du cannabis ont des effets pharmacologiques et comportementaux opposés : les composés cannabidiol peuvent soulager les symptômes de nombreuses maladies, le THC entraîne des sensations d’euphorie et de calme. On se souvient de cette initiative de production de cannabis thérapeutique, offrant les mêmes propriétés curatives, la même odeur et le même goût que la plante d’origine, mais sans induire les sensations récréatives induites par le THC.
Les effets pharmacologiques du cannabidiol sont médiés par des récepteurs cannabinoïdes de type I et II (CB1 et CB2), fortement exprimés dans l’hippocampe et d’autres zones du système nerveux central (SNC). Si les récepteurs CB2 sont exprimés principalement dans le système immunitaire et ont une expression limitée dans le SNC, activés, les récepteurs CB1 inhibent la transmission synaptique par une action sur les canauxcalciques et potassiques impliqués dans les manifestations de l’épilepsie, dont les crises. A de faibles concentrations, CBD agit fortement sur les récepteurs CB1 pour inhiber la libération de glutamate au niveau des synapses "glutamatergiques" ce qui dans l’épilepsie, contribue à l’abaissement des seuils de crise. De plus, en plus de CB1, CBD agit sur d’autres cibles impliquées dans l’épilepsie.
Chez l’animal, CBD est documenté un anticonvulsivant efficace : Ainsi, l’administration de CDB permet de réduire chez des animaux modèles d’épilepsie, le nombre d’animaux présentant une activité de crise, mais ne semble pas toujours avoir d’effet significatif sur le nombre de crises par animal. Cependant, prises dans leur ensemble, les données expérimentales animales suggèrent un bénéfice significatif.
Les données cliniques chez l’Homme restent rares. Une petite étude cas-témoins (2) menée sur 308 participants montre ainsi que l’usage du cannabis est moins prévalent chez les cas d’épilepsie vs témoins. Les auteurs suggèrent alors un effet protecteur possible contre les crises.
Une enquête sur des patients épileptiques (3) révèle que 24% des patients considèrent que le cannabis médical est efficace contre les crises. Plus » sérieuses « , ces conclusions d’une revue systématique Cochrane, de 2012, toujours sur l’utilisation de CDB dans le traitement de l’épilepsie (4). L’analyse est contrainte de ne retenir que 4 petites études contrôlées randomisées portant, au total sur …48 participants et présentant malgré une sélection draconienne de multiples défauts de conception. Le groupe d’experts conclut à l’absence de conclusion fiable pouvant être tirée de cette analyse, sur l’efficacité des cannabinoïdes dans le traitement de l’épilepsie et la fréquence des crises. En revanche, l’innocuité est suggérée pour des doses de 200 à 300 mg par jour de cannabidiol. Bref, seul consensus de la plupart des études menées, l’absence d’effets indésirables et de symptômes psychotiques notamment, à des doses pouvant aller jusqu’à 600 mg.
Des obstacles à l’évaluation: On l’aura compris, que ce soit en raison de son interdiction, de la faiblesse des échantillons et de la non-conformité méthodologique des études, un certain nombre d’obstacles limitent l’évaluation possible des données publiées sur l’usage du cannabis dans l’épilepsie. De plus, les produits à base de CDB ne sont pas développés dans le cadre de bonnes pratiques et ne sont donc pas comparables en termes de concentration, pureté et fiabilité. Néanmoins, certains chercheurs se fixent toujours (1) l’objectif » de garder un train d’avance sur eux-mêmes « . Un objectif ou une question éminemment chargée d’émotions et d’enjeux politiques. La plupart des experts concluent ainsi à la prudence, sur l’utilisation du CDB pour le traitement de l’épilepsie. Ils appellent cependant sans réserve à poursuivre les recherches.
Ce qui est parfois nommé le » grass root movement « est en effet relayé en permanence dans les médias et surfe sur la vague des traitements à base de composés naturels tout autant que sur la tendance à la légalisation du cannabis. Dans cet esprit, l’histoire d’un père et de son Sam, victime de jusqu’à 100 crises par jour. Il raconte sur le site Wired » Après sept ans, nous étions à court d’options. Notre dernier espoir: un traitement non prouvé non testé. Le seul problème? Il était illégal « . Son histoire a abouti au développement d’un médicament…
Bientôt Epidiolex®, à base de cannabidiol ? Le médicament fabriqué par le laboratoire GW Pharmaceuticals (Sativex®) s’appelle Epidiolex®. Il a reçu la désignation » Fast track » et médicament orphelin de la FDA en juin 2014, pour traiter le syndrome de Dravet (forme d’épilepsie réfractaire) et le syndrome de syndrome de Lennox-Gastaut (encéphalopathie épileptique sévère), ce qui suggère une disponibilité d’ici 2 à 3 ans.
Les premières données publiées en avril 2015 montrent sur 137 enfants qui l’ont reçu durant 12 semaines que le médicament a permis de réduire les symptômes chez la moitié d’entre eux avec une réduction de la fréquence des crises d’au moins 50%. 9% des enfants traités sont aujourd’hui exempts de crises.
Sources:
1. Epilepsy Currents doi:10.5698/1535-7597-14.5.250 Cannabidiol: Promise and Pitfalls
2. American Clinical and Climatological Association Marijuana use and the risk of new onset seizures
3. Neurology 2004 Marijuana use and epilepsy
4. Cochrane Library Jun 13 doi: 10.1002/14651858.CD009270.pub2. Cannabinoides for Epilepsy
5. Wired One Man’s Desperate Quest to Cure His Son’s Epilepsy—With Weed
(Visuel Wired)
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