Public Relations, journalisme et réseaux sociaux

Publié le 07 juillet 2015 par Fmariet

La photo de couverture symbolise la place et
l'importance des porte-paroles, sans visage


John Lloyd, Laura Toogood, Journalism and PR. News media and public relations in the digital age, 2015, I.B. Tauris / Reuters Institute for the Study of Journalism, University of Oxford, 138 p.
D'où viennent les contenus rapportés par les médias ? Ils ne tombent pas du ciel. Quelle est la part d'entre ces contenus qui provient des entreprises, des administrations, des partis, par l'intermédiaire des relations publiques (communiqués de presse, livres blanc, pseudo études, etc.) ? La part de l'information qui revient à l'investigation journalistique semble faible (nous excluons bien sûr ce qui relève de l'opinion) ; les médias, les journalistes auraient-ils pour tâche essentielle de rapporter les discours des puissants de tous ordres qui, bien sûr, ont leurs porte-paroles. En témoignent les budgets colossaux dépensés par les entreprises (par exemple, à Bruxelles ou à Washington D.C.) pour défendre et faire valoir leur point de vue, leurs intérêts surtout, auprès des organismes de décision politique et économique (lobbying).
S'interroger sur la nature des relations publiques, c'est donc s'interroger sur la nature des médias. La "dictature des médias" n'est-elle désormais que la dictature des relations publiques donc des plus puissantes entreprises et institutions ? Les élections elles-mêmes semblent se jouer en termes de relations publiques par l'intermédiaire de la recherche de financements. La première étape d'une élection consiste à collecter des fonds. Le gagnant est celui qui en rassemble le plus (cf.
"Money is a pretty good predictor of who will win elections", PBS Newshour).
L'ouvrage de John Lloyd et Laura Toogood commence par un bref et "sélectif" rappel historique. Les auteurs évoquent d'abord Edward Bernays, un fameux freudien à qui l'on doit une célèbre définition des RP : "the Engineering of consent" (1947), expression à laquelle fera écho, 40 ans plus tard, le pamphlet de Noam Chomsky et  Edward S. Hermann, Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media (1988).
La deuxième source historique renvoie aux travaux de Walter Lippmann : le journalisme est le premier brouillon (draft) de l'histoire, les RP étant le premier brouillon de ce brouillon ("the first draft's first draft").
Dans cette histoire, le premier tournant des relations publiques est pris avec la télévision (cf. l'ouvrage canonique de David Halberstam, The Powers that Be, 1979, sur l'époque Kennedy) ; le second tournant, nous le prenons actuellement avec le numérique, le Web, les réseaux sociaux : dans cette économie de l'information, désormais, les données changent tout.
Les relations publiques prennent-elles la place du journalisme ?
Au début de l'histoire de la communication, les informations produites par les  relations publiques étaient filtrées et reprises par les journalistes ; aujourd'hui, ces informations vont directement des entreprises et des institutions au public des consommateurs, des électeurs, des employés. Les réseaux sociaux affectent la réputation des produits, des personnes : les RP interviennent à la fois pour construire et défendre cette réputation, donc aussi pour la surveiller (monitoring, sentiment analysis). Avec Internet, notent les auteurs, la réputation est tellement fragilisée que sa gestion prend une importance cruciale : la vitesse et l'amplitude de la circulation de l'information, sa mise à disposition continue imposent aux RP de nouvelles approches.
Et puis, bien sûr, il y a des relations publiques qui se font passer pour du journalisme ; c'est le publi-rédactionnel, dit aujourd'hui, avec le numérique, native advertising. Les RP créent un événement, que Daniel Boorstin qualifiait de pseudo-event, et la presse le couvre, lui donnant de l'ampleur et du rayonnement. Alors, demande naïvement un étudiant en RP (cité par les auteurs) : au lieu d'inviter les journalistes, pourquoi ne pas les payer tout simplement pour qu'ils écrivent l'article ?
L'évolution numérique de l'information conduit toute entrerpise à être un média à temps partiel :
"All companies are media companies", grâce à leurs services de relations publiques et, dorénavant, grâce à la gestion de leurs données que ces services doivent effectuer (Digital Management Platform, DMP).
Le livre consacre un chapitre entier à la communication politique, en commençant par Machiavel. Ce chapitre comporte curieusement plus de trois pages sur la fin du lobbying (« up to a point" !). Les deux derniers chapitres sont consacrés à Internet et, succinctement, aux relations publiques en Chine, en Russie et en France.
Pour conclure l'évocation de cet ouvrage, revenons à son introduction. "Les relations publiques dépendent de moins en moins du journalisme tandis que le journalisme dépend de plus en plus des relations publiques", ainsi peuvent se résumer les résultats de la recherche évoquée dans ce livre. En fait, pour inverser le sens de la relation, les relations publiques ont trouvé de "puissants alliés" numériques : les réseaux sociaux (cfNumérique et destruction créatrice de médias). Ainsi, les réseaux sociaux s'avèrent aujourd'hui les concurrents les plus dangereux des médias, qui semblent s'y complaire. Impéritie ?
Cet ouvrage a le mérite de la clarté, chaque chapitre s'achevant par un résumé concis de ses conclusions. Il ouvre un débat primordial sur l'économie de l'information, débat trop souvent éludé : d'où vient l'information ? Un tel ouvrage gagnera à être mis à jour régulièrement. Les premiers chapitres constituent une lecture propédeutique pour les études en communication.