Vive l’Internet libre… et pluriel!

Publié le 06 juillet 2015 par _nicolas @BranchezVous
Exclusif

Avec le temps, la petite lumière rouge sur mon modem est devenue mon pire ennemi. Le quatrième cavalier de l’Apocalypse. La maudite face animée de Dennis Nedry de Jurassic Park qui me répète que je n’ai pas prononcé le mot magique.

C’est bien beau de vouloir la neutralité du Web, mais si cette neutralité ne passe que par deux ou trois canaux, nous ne sommes guère plus avancés. La lumière rouge, c’est mon signal Internet qui vient de se perdre quelque part entre la boîte de connexion et ma grotte cossue de journaliste pigiste vivant au-dessus de ses moyens. Et comme je suis effectivement un journaliste pigiste, j’ai besoin de cette maudite connexion Internet pour travailler. Et pour perdre du temps sur Reddit.

Suffit d’appeler les joyeux drilles du service à la clientèle? Peut-être, mais quand cela fait près d’une dizaine de fois que j’apprends qu’ils sont «fiers de me servir du Canada» et que ma conversation pourrait être enregistrée à des fins de formation, je commence à perdre patience. D’autant plus qu’un cinquième technicien doit venir s’escrimer pour tenter de rétablir mon service.

First World Problem

Il est encore plus frustrant d’avoir droit à une connexion intermittente, plutôt que d’être confronté à la dure réalité de l’absence pure et dure d’accessibilité au Web.

Ironiquement, il est encore plus frustrant d’avoir droit à une connexion intermittente, plutôt que d’être confronté à la dure réalité de l’absence pure et dure d’accessibilité au Web. Au moins, dans la deuxième situation, il est possible de se servir de son cellulaire comme modem USB ou, option terriblement dangereuse, de sortir à l’extérieur. Quitte à aller travailler dans un café.

La question n’est pas non plus de savoir qui offre le meilleur soutien technique, le service à la clientèle le plus courtois, ou encore les forfaits les plus renversants.

Le fait est qu’à Montréal, en 2015, vous êtes encore coincés dans une situation d’oligopole technologique lorsque vient le temps de choisir un fournisseur Internet. Il y a Bell, Vidéotron, et il y a les autres. Les petits. Et même ces petits, Teksavvy, Electronic Box et j’en passe, se servent des réseaux des grands! Quand cela fonctionne, c’est idéal pour profiter de rabais parfois très avantageux, surtout si votre consommation de bande passante dépasse celle de la moyenne des ours, par exemple. Par contre, en cas de pépin, ce seront les techniciens de Bell ou Vidéotron qui viendront cogner à votre porte.

La concurrence? Quelle concurrence?

Cette situation ne date pas d’hier, et remonte à l’installation du réseau téléphonique au pays. Les grands joueurs – et surtout Bell – avaient profité de zones exclusives fournies par le gouvernement fédéral pour accélérer le déploiement du service filaire. En échange, ces entreprises disposent d’un réseau propriétaire. Les nouveaux joueurs devraient débourser des centaines de millions, voire des milliards pour déployer de la fibre optique aux quatre coins du pays. Ou y aller selon la méthode de la jeune entreprise Telkel, et commencer par offrir du service aux immeubles à logements de 15 unités et plus, pour justement couvrir ses frais.

Le nom de Google Fiber circule aussi activement depuis l’apparition de cette nouvelle branche du géant de la recherche en ligne. Si les conditions semblent particulièrement avantageuses, Fiber est tout simplement absent du paysage technologique canadien. Même aux États-Unis, l’expérience n’a été étendue qu’à une poignée de villes de petite ou de moyenne taille, du moins pour l’instant.

Non, je ne suis pas de ceux qui pensent naïvement que l’arrivée d’un ou deux nouveaux joueurs dans le marché canadien des télécommunications serait une solution miracle. Après tout, le cas de Mobilicity, récemment racheté par Rogers, prouve hors de tout doute que le marché canadien est un marché qui n’est peut-être pas fermé, mais au sein duquel il est ô combien difficile d’entrer et d’y laisser sa marque. Et dire que le gouvernement canadien, qui se vantait de vouloir favoriser la concurrence dans ce secteur, avait mené une campagne de tous les instants pour empêcher que Verizon ne vienne s’implanter au Canada. Pas que le bilan de Verizon soit particulièrement reluisant au pays de l’Oncle Sam, mais son entrée au pays du sirop d’érable aurait certainement ébranlé un peu l’affligeant statu quo qui prévaut.

Lent d’un océan à l’autre

En protégeant les marchés de Bell, Vidéotron, Rogers et Telus, et en n’aidant pas à l’implantation de véritables solutions de rechange, les autorités réglementaires condamnent le Canada numérique à la stagnation, voire la dégénérescence. Et ce n’est certainement pas l’annonce de l’arrivée timide de connexions Gigabit sous l’égide de Bell qui contribuera à me redonner confiance envers ce système qui commence à sentir la moisissure.

Tant qu’à injecter un peu d’huile dans un engrenage rouillé, pourquoi ne pas faire de même avec la téléphonie cellulaire et la télévision? Car – êtes-vous surpris? – ce sont majoritairement les mêmes entreprises oligopolistiques qui fournissent aussi ces services numériques. On aura ainsi vite fait de vous proposer des forfaits «clés en main» avec trois ou quatre services (télé, cellulaire, téléphonie résidentielle, Internet) qui coûteront moins cher, étrangement, qu’un seul service. Après tout, il ne faudrait pas que vous ayez voir chez le voisin…

Arrêtons de nous voiler la face, et agissons : le CRTC et le gouvernement fédéral doivent activement favoriser l’arrivée de nouveaux joueurs et faciliter leur survie jusqu’à ce qu’ils puissent se débrouiller seuls. Quitte à financer la mise en place de nouveaux réseaux ultrarapides. Finissons enfin par entrer au 21e siècle. Dans plusieurs pays du monde, la connexion haute vitesse à Internet est considérée comme un droit essentiel. Et ici, j’ai encore peur que le satané voyant WAN passe du bleu au rouge.

N’ayez crainte; si jamais cela se reproduit, je suis prêt pour un exorcisme. Ou à changer de fournisseur…

Non mais merde, à la fin.