Les interviews d'Africains détenus aux points de passage vers l'Europe le long des rives de la mer Méditerranée, brossent un tableau d’individus désireux de gagner de meilleurs salaires, d’acheter une maison, de soutenir leurs familles et de mener une vie meilleure. La régulation de la migration est l’un des piliers de la construction d’un nouveau monde. L'Europe est actuellement aux prises avec la question du mouvement illégal. La migration ne doit pas être un jeu à somme nulle. L'Afrique devrait mettre en place une stratégie pour faciliter la migration formelle vers l'Europe.
Sendhill Mullainathan et Elder Shafir dans leur livre « La rareté: La nouvelle science d'avoir moins et comment cela conditionne nos vies » défendent avec éloquence comment la rareté capture l'esprit. Le livre offre un aperçu éclairant sur la façon dont la rareté, en l’occurrence celle de la nourriture, focalise les esprits des peuples affamés sur les questions alimentaires. L'esprit humain « ... s’oriente automatiquement, puissamment, vers les besoins non satisfaits ». Ce qui semble être une question évidente sur la rareté, peut bien donner des idées sur la façon de gérer et de faire de la migration une opportunité.
En observant et en analysant les risques et les dangers que les Africains sont désireux d’encourir pour émigrer vers l'Europe, on ne peut que conclure que la rareté de « l'espoir et les moyens de subsistance » est leur force motrice. Les Africains sont à la recherche d'une vie meilleure. Cette quête d'une vie meilleure en Europe peut être interprétée de deux manières : l'Afrique ne fait pas assez pour permettre ce rêve à ses habitants, et l'Europe a fait ne gère pas bien son image d’eldorado auprès des Africains. L'histoire de la migration africaine s’articule autour d’un objectif majeur « …mener une nouvelle vie ». Patrick Jabbi, un migrant congolais a déclaré à Al Jazeera: « Nous migrons tous pour commencer une nouvelle vie. Nous, Africains, nous croyons que si nous allons en Europe notre vie sera meilleure ».
Le coût pour immigrer de façon irrégulière vers l'Europe, sans compter le facteur-risque, est estimé entre 1000 à 1200 euros pour la traversée de la mer Méditerranée en faux bateaux, et entre 1700 à 3400 euros pour atteindre les points d'accès de bateau le long des côtes d'Afrique du Nord. Pour les migrants, la « question de la rareté » avec les « avantages » attendus l'emportent sur tous les risques encourus en vue d'atteindre leur objectif. Les images de jeunes Africains noyés dans la mer Méditerranée si déshumanisantes et embarrassantes pour les dirigeants africains et les élites ne dissuadent point les esprits capturés par la pénurie.
La meilleure stratégie serait de formaliser les canaux de migration vers l'Europe. Cette stratégie devrait employer trois tactiques. D’abord, l'Europe et les gouvernements africains devraient mettre en place des centres de recrutement des candidats au « rêve européen » à travers le continent (en particulier dans les pays représentant la plus forte source de migrants) où les jeunes peuvent officiellement postuler à travailler dans les champs agricoles, la construction et les secteurs de nettoyage entre autres. Les centaines d'euros versés aux agents non officiels de migration peuvent être utilisées pour améliorer la formation et renforcer les compétences et les capacités des jeunes africains avant de rejoindre l'Europe.
Ensuite, les gouvernements européens devraient arrêter de subventionner et soutenir les régimes politiques anti-démocratiques qui minent la capacité des Africains à créer des entreprises individuelles et à développer leurs capacités. Une activité entrepreneuriale dynamique en Afrique donnera à la jeunesse de l'espoir et des emplois. L'utilisation de l'aide au développement pour soutenir les régimes qui la détournent en répartissant le « gâteau » entre la famille immédiate et les partisans politiques, érode tout espoir en Afrique. Cela ne fait que conduire à une population instable qui n’attend que de fuir sur le prochain bateau.
Enfin, les gouvernements européens devraient revoir leurs politiques de coopération internationale qui minent la productivité et l’entrepreneuriat en Afrique. Le vieux schéma où l'Afrique ne fait qu’exporter des matières premières à l’état brut, sans créer de valeur ajoutée sur place, empêche d’offrir plus d’opportunités d’emploi aux jeunes africains. La relocalisation de la production axée sur le savoir et la valeur ajoutée en Afrique saura donner de l'espoir à la jeunesse en une vie meilleure. L'objectif devrait être l’inclusion des Africains dans les chaines de valeur, les centres de production et les marchés mondiaux à haute valeur ajoutée.
Somme toute, des efforts conjoints bien pensés entre l'Afrique et l'Europe pourront certainement aider à prévenir les tragédies de Lampedusa et créer des filières migratoires saines.
James Shikwati, directeur Inter Region Economic Network et éditeur de Africanexecutives – Article initialement publié en anglais par African executive – Traduction réalisée par Libre Afrique – Le 6 juillet 2015.