Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont parmi les médicaments les plus prescrits en pratique courante en France avec près de 53 millions de boites remboursées par le seul régime général de l’assurance maladie en 2013 [1]. Leurs indications les plus justifiées sont le traitement symptomatique au long cours des rhumatismes inflammatoires chroniques et le traitement symptomatique de courte durée des poussées aiguës des rhumatismes abarticulaires et des rhumatismes microcristallins.
Des indications plus discutables, ne correspondant pas à des affections typiquement inflammatoires, mais qui représentent pourtant la majorité des prescriptions, sont les lombalgies et les arthroses invalidantes. En effet, les AINS possèdent une propriété antalgique qui se manifeste déjà à des posologies faibles dites » infra-inflammatoires « , de l’ordre de la moitié de la dose anti-inflammatoire, ce qui fait d’eux pour nombre de prescripteurs et la majorité des patients des antalgiques de première ligne aux dépens d’antalgiques comme le paracétamol pourtant mieux tolérés par le tube digestif et le rein, d’où une consommation abusive et dangereuse surtout chez la personne âgée, pour des durées de traitement excessives et à des posologies souvent inappropriées car trop élevées.
Risques cardiovasculaires des AINS
Les propriétés des AINS résultent de l’inhibition de la biosynthèse des prostaglandines et des prostanoïdes à partir de l’acide arachidonique. Les deux isoformes de la cyclo-oxygénase (COX) jouent un rôle important dans l’homéostasie cardiovasculaire. Le thromboxane A2, synthétisé principalement dans les plaquettes par la COX 1, entraîne l’agrégation plaquettaire, la vasoconstriction et la prolifération des cellules musculaires lisses. La COX 2 permet, dans les cellules endothéliales vasculaires, la synthèse de la prostacycline aux effets vasodilatateurs, antithrombotiques, diurétiques, natriurétiques et hypotenseurs. Dans le système vasculaire, un équilibre existe entre thromboxane A2 et prostacycline : toute modification de cet équilibre par les AINS augmente le risque vasculaire et cardiaque.
Le risque cardiovasculaire, en particulier coronarien : Au début des années 2000, des essais cliniques avaient déjà montré un risque élevé de complications cardiovasculaires avec les AINS de type coxib par rapport au placebo et, depuis, de nombreuses recommandations ont souligné les risques cardiovasculaires de l’ensemble des AINS, en particulier chez les patients à risque, après infarctus du myocarde (IDM), chez les sujets âgés atteints de lésions coronaires ou artérielles latentes, chez les patients hypertendus ou insuffisants cardiaques.
Des méta-analyses d’essais cliniques et des études observationnelles [2] ont montré que la prescription d’AINS inhibiteurs de la COX 2 (coxibs) mais aussi d’AINS inhibiteurs de la COX 1 (AINS » classiques « ) s’accompagnait d’une majoration du risque cardiovasculaire, en particulier coronarien, le risque d’IDM étant multiplié par 2. Plus récemment des méta-analyses des principaux essais comparatifs d’AINS ont conclu à l’absence de différence significative dans l’incidence d’une complication vasculaire entre les sujets traités par coxibs et ceux recevant un AINS classique [3]. Le risque d’IDM, qui augmente avec l’emploi régulier des AINS, s’avère corrélé à la posologie et à la durée du traitement, les AINS exerçant un fort degré d’inhibition de la COX 2 étant à risque élevé de thrombose coronarienne [4-5]. De tels effets délétères peuvent même être observés en cas de cure courte.
La prescription prolongée d’AINS peut aggraver une insuffisance cardiaque ou favoriser son apparition [6]. Chez le sujet âgé, ils facilitent une surcharge volumique. Le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque a été trouvé multiplié par deux avec tous les AINS.Enfin, la survenue, l’aggravation ou l’apparition sous AINS d’une résistance au traitement d’une hypertension artérielle sont actuellement considérées comme des effets bien connus et documentés [7-10].
En conclusion
Les AINS augmentent le risque thrombotique artériel, particulièrement à posologie élevée et lors d’une utilisation prolongée. Ce risque cardiovasculaire commun à tous les AINS concerne plus particulièrement les sujets atteints d’une cardiopathie ischémique, d’une insuffisance cardiaque, d’une hypertension artérielle mal contrôlée, d’artériopathie périphérique ou de pathologie vasculaire cérébrale, ainsi que les sujets avec facteurs de risque vasculaire (dyslipidémie, hypertension artérielle, diabète, tabagisme…) [11]. Or, la prescription d’un AINS à titre d’antalgique est extrêmement fréquente et abusive chez ces patients et on constate par ailleurs trop souvent, en pratique médicale courante, une absence de respect des règles de leur prescriptions malgré les mises en garde réitérées [12]. Un AINS à dose anti-inflammatoire ne devrait pas être un traitement systématique de première intention de la douleur.
Si les risques digestifs et rénaux des AINS sont bien connus, l’Académie nationale de médecine rappelle les effets cardiovasculaires de ces médicaments, plus particulièrement chez le sujet âgé où les comorbidités sont fréquentes et chez lequel le cumul des médicaments expose de surcroît à des risques d’interactions médicamenteuses. Dans ce contexte, elle rappelle toute l’importance des recommandations suivantes.
Quelques règles essentielles doivent être respectées, lorsque la prescription d’un AINS s’impose :
1. un AINS ne doit être utilisé qu’à la dose minimale efficace et pour la durée la plus courte possible ;
2. les patients doivent être informés des risques digestifs, rénaux et cardiovasculaires des AINS mais aussi du fait que nombre d’antalgiques utilisés en automédication sont en fait des AINS à faible dose (AINS masqué);
3. les AINS sont déconseillés chez les sujets à risque d’insuffisance rénale fonctionnelle, les insuffisants rénaux chroniques ou insuffisants cardiaques ;
4. les AINS sont contre-indiqués après un infarctus du myocarde, au décours d’une cardiopathie ischémique, après une revascularisation myocardique chirurgicale ou par cardiologie interventionnelle ;
5. l’association d’un AINS à un diurétique et à un médicament du système rénine-angiotensine-aldostérone (IEC, sartan ou inhibiteur de la rénine) ( » triple peine « ) est déconseillée : elle se doit donc d’être toujours justifiée et prudente, nécessitant une surveillance étroite de la fonction rénale ;
6. l’hémoglobine, mais aussi la fonction rénale et le bilan électrolytique doivent être contrôlés dans le suivi des traitements AINS de longue durée ;
7. la pertinence de la poursuite d’un traitement AINS, comme celle des médicaments associés, doit être systématiquement et régulièrement réévaluée, en vue d’une éventuelle déprescription.
Auteurs : Jean-Paul Bounhoure, Gilles Bouvenot, Jean-Louis Montastruc – Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en relation avec le contenu de ce communiqué.
Plus d’études sur les Anti-inflammatoires
Biblio
[1] Medic’AM
http://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/statistiques-et-publications/donnees-statistiques/medicament/medic-am-2008-2013.php
[2] BAVRY AA, KHALIQ A, GONG Y, HANDBERG EM, COOPER-DEHOFF RM, PEPINE CJ. Harmful effects of NSAIDS among patients with hypertension and coronary disease Am J Med 2011; 124: 614-20
[3] BELLO AE, HOLT RJ Cardiovascular risk with NSAID: clinical implications Drug Saf 2014; 37: 897-902
[4] COXIB AND TRADITIONAL NSAID TRIALIST’S COLLABORATION: Vascular and upper gastro intestinal effects of NSAIDs: meta-analyses of individual participant data from randomized trials Lancet 2013; 382: 769-79
[5] KOHLI P, STEG PG, CANNON CP et al NSAID use and association with cardiovascular outcomes in outpatients with stable atherothrombotic disease Am J Med 2014; 127(1): 53-60
[6] SCOTT PA, KINGSLEY GH, SCOTT DL Non-steroidal anti-inflammatory drugs and cardiac failure: meta-analyses of observational studies and randomized controlled trials Eur J Heart Fail 2008; 10: 1102-7
[7] KHATCHADOURIAN ZD, MORENO-HAY I, de LEEUW R NSAID and antihypertensives: how do they relate? Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol 2014; 117(6): 697-703
[8] ZHENG, DU X Non-steroidal anti-inflammatory drugs and hypertension Cell Biochem Biophys 2014; 69(2):209-211
[9] FOURNIER JP, SOMMET A, DURRIEU G, POUTRAIN JC, LAPEYRE-MESTRE M, MONTASTRUC JL Drug interactions between anti-hypertensive drugs and non-steroidal anti-inflammatory agents: a descriptive study using the French Pharmacovigilance database Fundam Clinical Pharmacology 2014; 28(2): 230-5
[10] SNOWDEN S, NELSON R The effects of nonsteroidal anti-inflammatory drugs on blood pressure in hypertensive patients Cardiol Rev 2011; 19(4): 184-191
[11] PATRONO P, BAIGENT C Contemporary review in cardiovascular medicine. NSAIDs and the heart Circulation 2014; 129: 907-916
[12] FOURNIER JP, SOMMET A, DURRIEU G, POUTRAIN JC, LAPEYRE-MESTRE M, MONTASTRUC JL French Network of Regional Pharmacovigilance Centres. More on the "Triple Whammy": antihypertensive drugs, non-steroidal anti-inflammatory agents and acute Kidney Injury.
posté le 16 mars à 23:18
merci Dr, les faits sont réels surtout en zone africaine où les infirmiers manupilent ces AINS sans une sérieuse évaluation du danger pour le patient. question: quand prescrire, à quelle dose ?