Après la projection du film "Les enfants de la Rose Verte".
Pourquoi le film ?
Marie Allione — On a fait ce film, essentiellement, pour quatre raisons. D'abord parce que, depuis une vingtaine d'années la pédopsychiatrie est très malmenée, parfois maltraitée, surtout dans ses aspects d'inspiration psychanalytique d'une part et, d'autre part, dans sa tradition psychopathologique. Malmenée par tout le monde et en particulier par certaines associations de parents extrémistes, alors que nous avions toujours entretenu, dans nos services, des relations de confiance avec les parents. D'ailleurs, c'est ce qui nous a poussés, avec Claude Allione, à interviewer des parents et qui a fait l'objet d'un livre qui s'appelle AUTISME. Donner la parole aux parents , publié peu avant de faire ce film.
Il y a eu ensuite les recommandations de la Haute Autorité de la Santé, dont la plus grande partie est extrêmement intéressante mais qui nous ont donné un coup quand on a vu que le packing était formellement non recommandé et que la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse étaient non consensuelles. Les mots ayant un poids, "non consensuel" ne veut pas dire "non recommandé" mais on avait vite fait le saut pour voir ce qu'ils voulaient dire et dont on a maintenant la confirmation : une mise au pas militaire de toutes les institutions puisque, derrière ça, la troisième raison, c'est que la secrétaire d'Etat et aux handicapés, la ministre de la santé — qui n'est jamais venue au secours des professionnels de santé alors que, par exemple si, au travers d'un policier, le corps de la police est attaqué, le ministre de l'Intérieur vient le défendre —, la ministre de la Santé nous a laissés seuls. Du coup, nous nous soutenons de choses comme ça, de vous voir ce soir, de publier et de continuer nos recherches. Les recommandations de la HAS nous ont vraiment mis en difficulté, en particulier avec le packing qui est une technique d'enveloppement des enfants. On a censuré deux choses dans ce film : le packing, que nous pratiquons, et le terme de "psychose" qui est devenu un gros mot, tous les troubles des enfants ayant été regroupés dans ceux du spectre autistique, vaste champ qui va du plus au moins handicapé alors que nous autres, cliniciens, distinguons les modes de pensée, les modes d'organisation des mondes intérieurs des enfants autistes comme étant différents des modes d'organisation des enfants psychotiques. Il faudra cependant sûrement revenir là-dessus et redécomposer cette catégorie des troubles du spectre autistique qui est devenue un vaste fourre tout.
La quatrième raison, c'est que tous les documentaires passés à la télévision vont dans le même sens en montrant des autistes dits Asperger, à savoir des autistes de haut niveau, qui accèdent à la parole, très performants dans certains domaines intellectuels mais absolument pas sur le plan affectif, du fait que c'est précisément le corps à corps affectueux qui pose problème à l'autiste. Tous ces documentaires allant dans le même sens, on s'est dit que ça ne correspondait pas aux autistes que nous voyions dans nos services et qu'il faudrait faire, un jour, quelque chose là-dessus, sachant que nous ne sommes pas des spécialistes de l'image.
C'est alors que j'ai eu la chance de rencontrer Bernard Richard, cinéaste, qui a été professeur à l'école de cinéma, qui est documentariste et a fait plusieurs documentaires dont un, à l'occasion duquel j'ai eu l'occasion de le connaître, sur un service très renommé en son temps en Lozère, qui s'appelait Solstices , qui était un service de placement thérapeutique. Bernard Richard s'est beaucoup occupé d'un neveu autiste – raison pour laquelle il s'est intéressé à la question et qu'il est incollable sur le sujet – dont la mère était décédée. A cette occasion, il était allé voir Maud Mannoni dans l'espoir que son neveu soit pris en charge à Bonneuil mais ils l'ont renvoyé sur Solstices en Lozère où ce garçon a été accueilli sept ou huit ans. Quand Bernard Richard a su que Solstices allait fermer, il a voulu comprendre pourquoi et il en a fait un film. Quand je lui ai proposé de faire quelque chose sur la Rose Verte, il a été très intéressé, sur un plan militant, mais à condition de pouvoir faire ce qu'il voulait, sans censurer quoique ce soit. Nous avons malgré tout censuré le packing pour plusieurs raisons : d'abord parce que l'enfant qui était en packs à ce moment là n'a pas voulu être filmé, ce qui nous arrangeait bien, et ensuite parce que nous ne voulions pas donner de bâtons pour nous faire battre, ce film devant pouvoir être projeté sans être trop attaqué si l'on voulait faire passer un message et si l'on voulait aussi discuter avec les gens avec lesquels on aime bien discuter. En effet, maintenant, toutes ces équipes travaillent ensemble, à tel point que notre ami Pierre Delion parle de psychiatrie intégrative, du fait qu'on intègre dans nos pratiques un certain nombre de données qui nous viennent à la fois des neurosciences, des sciences cognitive, etc. Elles sont extrêmement utiles pour ces enfants, sans qu'il y ait lieu de mettre en doute ce que les parents disent sur le fait que certaines méthodes comportementales ont pu aider leurs enfants et les aider eux à progresser avec leurs enfants. La question est de savoir pourquoi il faudrait supprimer tout le reste. Cette rencontre avec Bernard Richard a donc emporté le morceau, il a simplement dit qu'on le laisse filmer ce qu'il avait envie de filmer. L'écriture du film est aussi de lui, même s'il a dit que, dans le montage, on l'avait aidé au scénario. On lui a dit deux ou trois petites choses mais il n'en a pas tenu compte.
Au sujet du nom de la Rose Verte, il s'agit d'une condensation : on a donné ce nom au service, pour créer un peu de poésie et de dialectique entre l'hôpital et le lieu où l'on accueille ces enfants, du fait que les murs sont roses et les volets verts. Pour ce qui est de la mère qui s'est fait tatouer une rose verte sur l'avant bras, ça n'a rien de sensationnel : c'est simplement que cette maman s'était d'abord fait tatouer une rose rose à la naissance de son premier enfant, une fille et que, quand son fils Morgane est né, du fait de ses disfonctionnements, il l'a mise en panne sèche : elle n'avait jamais rien fait pour lui, en tout cas pas le même tatouage que pour sa fille. C'est au cours de la thérapie de cet enfant, quand il a commencé à être en lien avec elle — car il ne lui faisait pas signe quand il était bébé — qu'elle a dit, un jour, qu'elle allait demander à son mari de lui offrir de quoi faite un tatouage pour Morgane et que ce serait une rose verte. La rose existait donc déjà sur son bras, celle de sa fille. Ça n'a rien de plus sensationnel que de témoigner du travail d'ouverture de ces enfants et de la façon dont les mamans peuvent se remettre à rêver leur enfant quand il se met à être en lien avec elles alors qu'auparavant elles sèchent, du fait de la pathologie de l'enfant.
Le référent.
X. — Je suis grand-père d'un petit garçon autiste et j'ai reconnu des similitudes entre l'établissement où est notre petit-fils et le vôtre, notamment dans la difficulté à savoir quel est le référent de l'enfant. C'est peut-être évident pour les parents mais pas forcément pour les grands-parents qui sont confrontés à la confidentialité que doit le praticien vis à vis des parents et, parfois, à la barrière des parents.
M. A. — Dans nos pratiques il arrive que nous recevions des grands-parents, souvent quand les parents nous le demandent mais, en général, on ne voit pas la famille élargie. On la connaît par le récit, par le discours, par ce que l'enfant ou les parents, qui restent les interlocuteurs principaux, veulent bien apporter. Il y a, bien sûr, différentes formes d'accueil des enfants dans les hôpitaux de jour des secteurs de pédopsychiatrie. Chez nous, il y a un soignant référent qui est désigné, qui s'engage dans une relation avec un enfant. Vous aurez néanmoins compris que l'ensemble de l'équipe porte tout ça et que l'enfant peut côtoyer presque tout le monde, dans les temps interstitiels ou dans les ateliers où il rencontre d'autres personnes que son référent. Le référent est le dépositaire de la trajectoire thérapeutique de l'enfant, c'est celui qui aura tout le temps l'enfant dans sa tête, qui va le porter dans sa tête, qui sera l'interlocuteur des parents, de tous les partenaires extérieurs et qui sera aussi moteur du soin en y engageant quelque chose qui fera que ses idées, ses réflexions, ses sentiments, ce qu'il éprouve, sera mis au travail. C'est cela, le référent, ça engage la personne et ce n'est pas quelque chose de formel. On peut savoir qui c'est. Dans les services de pédopsychiatrie, en général, il y a quelqu'un qui occupe cette fonction. Ça peut parfois changer quand la personne s'en va mais quand on a un enfant en soi qui présente ce type de pathologie, comme disait Roger Misès, "il faut une tranche de vie pour le soigner", donc il faut que les soignants soient là dans la longue durée. D'ailleurs je suppose que si vous utilisez le mot "référent" c'est que c'est quelque chose qui vous parle.
La Rose Verte structure "autiste" ?
X. — En tant que parent d'un jeune adulte autiste, j'ai connu des hôpitaux de jour il y a quelques années en arrière et, en regardant ce film, je me suis aperçu que c'est une structure qui est toujours complètement autiste : il n'y a aucun contact avec l'extérieur. Par exemple l'atelier conte ne se fait pas dans une médiathèque et tout est fait à l'intérieur de la structure, il n'y a rien qui ressort. Les parents sont complètement étrangers, on en parle très peu. Certes ils donnent leur ressenti et font un bref historique de leur enfant mais ils ne participent ni au soin ni à la prise en charge. J'ai toujours ressenti cela, en tant que parent, et je m'aperçois qu'en quinze ans, ça n'a pas changé.
M. A. — Votre remarque est extrêmement précieuse. Certes, dans notre service, on fait en sorte que ce ne soit pas comme ça mais je crois qu'on a beaucoup péché par rapport au fait que les parents se sont sentis tenus à l'écart de ce qui pouvait se passer dans les services de soins. Là-dessus, ils nous ont beaucoup appris et bousculés en demandant à être au cœur du dispositif de soins et à en être partenaires. D'autres choses nous ont beaucoup apporté par rapport à ça, en particulier ce qui nous vient des Etats Unis sur les méthodes Schopler et un certain nombre de techniques cognitivo-comportementales qui ont tout de suite associé les parents aux prises en charge des enfants. Ce n'est pas une tradition chez nous, les parents ne viennent pas dans les hôpitaux participer aux soins, et il y avait une culture qu'il fallait infléchir. Les parents nous ont beaucoup poussés à changer les choses et ce que vous avez dit était tout à fait juste il y a une dizaine d'années. Actuellement, je pense que c'est bien plus ouvert. Là, ça se voit moins parce que le réalisateur est resté dans la structure mais il y a des enfants qui, par exemple, vont dans des lieux de vie. Pourquoi l'atelier conte ne se fait pas dans une médiathèque ? Les conteurs du service vont parfois y faire des ateliers, mais pour d'autres enfants. On peut y intégrer un enfant autiste mais c'est une autre dynamique. Quand on est centré sur le soin et le cœur du travail soignant, c'est un peu comme un petit laboratoire où les enfants se livrent à leurs expériences : on est là pour les aider à les mettre en forme et en sens. Ça comporte un côté cocon, qui est moins négatif que ce que soulève votre remarque, qui est tout à fait judicieuse… mais je pense que vous en aviez d'autres à faire, ou d'autres reproches ?…
Je crois que c'est parce que les parents nous ont reproché d'être des lieux fermés que les lieux ont essayé de s'ouvrir à l'extérieur. Je crois qu'il est important que les parents comprennent et saisissent ce qu'on fait et c'est ce à quoi un document comme ce film vise. Sinon, le travail qui s'y fait est invisible, même pour nous. Le fil rouge du travail, c'est la mise en forme, par la parole et le récit, de ce qui se passe avec les enfants.
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