30/06/2015
GUILLAUME DUVALRédacteur en chef d'Alternatives Economiques
« La crise grecque pourrait être un moment Sarajevo pour la zone euro », titrait le Guardian le 29 juin dernier, en référence à l’attentat du 28 juin 1914 qui avait déclenché la Première Guerre Mondiale. Il faut espérer que ses conséquences ne seront pas aussi catastrophiques pour les Européens…Il se pourrait cependant que l’onde de choc soit très dommageable pour la social-démocratie européenne : incapable depuis de longues années déjà de réorienter la construction européenne dans un sens plus solidaire et plus social, elle n’a pas non plus saisi l’opportunité de la victoire de Syriza pour reprendre l’offensive sur ce terrain face à une droite conservatrice adepte des politiques déflationnistes.Champ libre aux fanatiques de l’austéritéElle a laissé au contraire depuis six mois les fanatiques de l’austérité mener la danse face au gouvernement d’Alexis Tsipras. Aboutissant à l’impasse actuelle où les Européens ne laissent aux Grecs d’autre choix que de poursuivre les politiques d’austérité antérieures ou de quitter l’Euro.Les Européens ne laissent aux Grecs que le choix de poursuivre l’austérité ou de quitter l’EuroLe discrédit de la social-démocratie était déjà profond suite au tournant social-libéral de la fin des années 1990 amorcé par Tony Blair et Gerhard Schröder. L’affaire grecque risque de porter un coup fatal à un mouvement déjà mal en point.L’arrivée au pouvoir de Syriza, le 25 janvier dernier, constituait pourtant a priori une chance pour la Grèce comme pour l’Europe. Pour la Grèce, elle marquait en effet une rupture avec l’alternance des partis de droite, la Nouvelle démocratie de la famille Caramanlis, et de gauche, le Pasok de la famille Papandreou. Deux partis qui, depuis quarante ans que le régime des colonels était tombé, avaient mis la Grèce en coupe réglée dans une atmosphère de corruption généralisée. Tous deux s’étant révélés aussi incapables l’un que l’autre de moderniser réellement le pays malgré des aides européennes substantielles.Syriza constituait a priori une chance pour la Grèce comme pour l’EuropeSyriza représentait donc a priori, le principal espoir de changer (enfin) la donne sur ce plan. Ce parti, héritier d’un parti communiste grec, très tôt déstalinisé et qui a suivi un parcours analogue au Parti communiste italien, comporte certes une frange gauchiste et maximaliste qui pèse, mais ses dirigeants ont incontestablement la volonté d’assumer les choix difficiles qu’implique la gestion d’un pays.Comme lorsque la gauche française est arrivée au pouvoir en 1981 après une génération complète passée dans l’opposition, les dirigeants de Syriza n’avaient aucune expérience de la gestion d’un Etat, et ont donc commis des « erreurs de débutant ». Mais ce n’est que le revers inévitable de la médaille qui fait l’intérêt de cette force politique nouvelle pour le pays.Un moyen de lutter contre la corruptionPour l’Europe, la victoire de Syriza aurait pu (et dû) également marquer un tournant après cinq ans d’une gestion de la crise de la zone euro marquée par le triomphe des thèses déflationnistes les plus éculées, sous l’impulsion notamment du gouvernement conservateur d’Angela Merkel. Avec comme résultat, une zone euro à la traîne de toute l’économie mondiale, un chômage de masse catastrophique qui ne baisse que très lentement, une dette publique qui ne reflue pas et des eurosceptiques et des partis d’extrême droite qui volent partout de victoire en victoire.La gauche tient des positions importantes en EuropeLa droite domine certes cette Europe-là mais la social-démocratie a (re)conquis des positions importantes ces dernières années : elle dirige la France, le second pays de la zone euro, et l’Italie, le troisième. Tout en participant à la coalition au pouvoir dans le premier, l’Allemagne. Et pas sur un strapontin : chacun s’accorde à reconnaître que, depuis un an et demi, c’est largement le SPD qui a imposé ses choix à la CDU d’Angela Merkel en politique intérieure.Ni Matteo Renzi, ni Sigmar Gabriel, ni François Hollande n’ont levé le petit doigtMais dès leur arrivée aux affaires, les socialistes français comme les démocrates italiens ou les sociaux-démocrates allemands ont renoncé à tenter de réorienter les politiques européennes en faveur de l’emploi et de la solidarité. Non pas, en réalité, parce qu’ils ne le pouvaient pas, mais bien parce qu’ils ne le voulaient pas.C’est ce que vient de confirmer l’épisode grec : ni Matteo Renzi, le Premier ministre italien, ni Sigmar Gabriel, le vice-chancelier allemand, ni François Hollande n’ont levé le petit doigt depuis six mois pour faire entendre raison aux fanatiques de l’austérité qui refusaient toute négociation un tant soit peu sérieuse avec le gouvernement Syriza. Les Européens se contentant d’exiger purement et simplement la poursuite du programme d’austérité déjà engagé. Et cela malgré son échec flagrant, non seulement sur le plan de ses conséquences sociales dramatiques, mais aussi sur celui du redressement des comptes publics grecs, avec une dette qui continuait de s’envoler.Sans parler de l’attitude de Jeroen Dijsselbloem, le ministre social-démocrate des Finances néerlandais, qui préside l’Eurogroupe, et qui s’est transformé en porte-voix des partisans de l’austérité à tout prix. Cette attitude très hostile à l’égard du gouvernement Tsipras peut certes se comprendre en termes d’intérêt de boutique : un succès de Syriza en Grèce aurait risqué de fragiliser encore plus la social-démocratie européenne en donnant des ailes à des mouvements qui la concurrencent, et notamment à Podemos en Espagne.L’alignement de la gauche de gouvernement sur les austéritaires risque de lui coûter cherMais au bout du compte, l’alignement de la gauche de gouvernement européenne sur les austéritaires risque aussi, selon toute vraisemblance, d’être très coûteuse pour elle, en achevant de la discréditer auprès de celles et ceux qui continuent de croire possible une réorientation sociale et écologique de la construction européenne.Dans le cas de la France en particulier, le silence européen assourdissant de François Hollande depuis 2012 constitue à n’en pas douter une des principales déceptions suscitées par sa présidence. Au lieu d’engager une réorientation de la politique européenne, ce nouveau fiasco de la gauche européenne a donc au final renforcé la main des fanatiques de l’austérité. Dans l’immédiat, ce sont malheureusement, une fois de plus, les eurosceptiques et l’extrême droite qui, selon toute probabilité, en tireront profit en France comme en Europe… Quel gâchis !GUILLAUME DUVAL
http://www.alterecoplus.fr/europe/guillaume-duval/gauche-le-grand-gachis-de-la-crise-grecque-201506301216-00001674.htmlPOUR EN SAVOIR PLUS: Trois choses à savoir pour comprendre la crise grecqueLes trois commandements des créanciers que Tsipras a refusés