Utrecht (Pays-Bas), envoyé spécial.
La foule semble ne faire qu’une et s’agite comme les figurants d’un décor d’opéra sur le jour clair, accablé de chaleur (jusqu’à 32°). La fournaise néerlandaise a quelque chose de réconfortant pour le chronicoeur, heureux de retrouver le cliquetis des vélos et le cul et les jambes des coureurs bientôt affutées avant trois semaines au long cours. Comme si le chaudron du Tour, bouillant de centaines de milliers de spectateurs massés sur le parcours du contre-la-montre ouvrant la 102e édition (13,8 km), diffusait une odeur de souffre propice à toutes les étincelles. Les meilleures. Ou les pires.
Lars Boom.
Débutons comme il se doit par le pire. Disons plutôt: le presque pire. Avant même que le premier coureur ne s’élance dans les rues d’Utrecht, samedi à 14 heures, l’équipe Astana du tenant du titre (l’Italien Vincenzo Nibali) nous a rejoué, sans le vouloir évidemment, mais pas vraiment contre son gré, l’un de ses sketches favoris. Comment doper l’un de ses coureurs sans en avoir l’air et sans franchir les limites tout en les franchissant! Essayons d’expliquer simplement et brièvement pourquoi le coureur Néerlandais Lars Boom, l’un des principaux capitaines de route de Nibali, s’est retrouvé en quelques heures au milieu de ce chaudron en ébullition.La sulfureuse équipe Astana a décidé, contre toute attente (ne rigolez pas), de faire partie du MPCC, le Mouvement pour un cyclisme crédible, qui a l’ambition souvent vaine de glisser un peu d’éthique sous les roues du peloton. Pour être membre du MPCC, une équipe s’engage à respecter des règles plus strictes encore que celle édictée par l’Union cycliste internationale (UCI). Et voilà notre Lars Boom victime indirecte de cette volonté d’Astana de ripoliner sa devanture pour le moins écaillée. Lors du dernier contrôle médical vendredi, patatras, le Néerlandais affiche un taux de cortisol anormalement bas, dû à l’évidence à une prise massive de corticoïdes. Pour le MPCC, le règlement est clair: le coureur doit être mis au repos immédiat. Mais pas pour l’UCI! Vous suivez?
La fin de l’affaire, du moins provisoire car elle va coller aux basques de l’équipe Kazakhe pendant tout le Tour, confine à la tragi-comédie. Lars Boom a bien pris le départ, puisqu’aucun règlement de l’UCI ne l’en empêchait. Tant pis pour le «cyclisme crédible». Le manager d’Astana, le célébrissime Alexandre Vinokourov, bien connu pour sa droiture morale, en a décidé: il a préféré s’affranchir du MPCC plutôt que d’aligner une formation amputée d’un coureur puisque l’UCI lui a refusé tout remplacement de dernière minute. Pensez-donc, débuter la Grande Boucle avec huit coureurs au lieu de neuf aurait gravement entravé l’éventuelle marche triomphale de Nibali. Bienvenu chez Astana.
L’intérêt, chacun l’aura compris, résidait surtout dans la course des favoris pour le paletot jaune. Comme prévu, le vainqueur sortant, l'Italien Vincenzo Nibali (22e de l'étape), a réalisé le meilleur temps des prétendants. Vinokourov a de quoi être content, son équipe Astana est au rendez-vous sportivement, à défaut du reste. Le Sicilien a en effet pris 7 secondes au Britannique Chris Froome, 15 secondes à l'Espagnol Alberto Contador et 18 secondes au Colombien Nairo Quintana, qui, en prévision de la montagne, n’a concédé qu’un minimum de temps sur ses rivaux. Il faudra ne pas l’oublier le temps venu… Notons toutefois que Nibali a concédé 2 secondes à l'espoir français Thibaut Pinot (FdJ), troisième du Tour l'an passé. En revanche, Romain Bardet (AG2R) a accusé un retard sensible (51 secondes sur Nibali).
Le Tour arrive ce dimanche sur la grande digue de Zélande, toujours aux Pays-Bas. Les coureurs y longeront la mer du Nord. Quant aux parcours, il sera exposé au vent, surtout dans ses 50 derniers kilomètres jusqu'à la Neeltje Jans, la petite île artificielle située sur le cordon littoral à l'embouchure de l'Escaut. De grands risques de bordures sont donc à envisager. Même pour l’équipe Astana…