Un décor simple, réduit au minimum : un canapé, un tapis, un micro. Dans un coin, un guitariste impassible, lunettes noires et blouson de cuir, assis nonchalamment sur un tabouret, dont les riffs tantôt lancinants, tantôt endiablés rythment la pièce et accompagnent les délires orgiaques des personnages. En fait de jeunes aristocrates engoncées dans des corsages compliqués, ce sont deux pimbêches en perfecto et jean slim qui débarquent sur scène, avec force chewing-gums et simagrées. Et que dire du marquis de Mascarille, qui livre une performance scénique à faire pâlir Mick Jagger. Les comédiens, qui incarnent le texte avec un naturel réjouissant, s'amusent terriblement sur scène, et leur enthousiasme est contagieux. En somme, des personnages qui se prennent très au sérieux, dans une mise en scène qui ne les prend pas du tout au sérieux.
L'ensemble est survolté et tout simplement jubilatoire. En démystifiant le théâtre classique sans jamais sombrer dans l'anachronisme, en misant sur l'irrévérence sans verser dans la blague potache, la mise en scène de Pénélope Lucbert, intelligente et généreuse, rend honneur au génie de Molière et redonne goût au théâtre. Naviguant hors des sentiers académiques, mais en restant toujours au plus proche du texte original, cette adaptation fait rire autant qu'elle donne à réfléchir ; on en ressort le sourire aux lèvres et la conscience en éveil.
Si vous faites partie de ces gens qui, comme Claude Lévi-Strauss, ont l'impression d'être au théâtre comme d'entrer par mégarde chez un voisin et d'assister à une conversation qui ne le regarde pas, sachez que cette adaptation des " Précieuses Ridicules " dément de bout en bout cette métaphore, que j'utilisais moi-même jusqu'alors pour justifier mon manque d'intérêt pour la chose théâtrale. Ici, tout est placé sous le signe de la complicité et de la convivialité, et rarement rire des autres - et de soi-même - n'a été aussi salvateur.