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un club de candidats au suicide

Publié le 04 juillet 2015 par Dubruel

~d'après L'ENDORMEUSE, de Maupassant

Dans le journal que le facteur m'apportait, Je lus à la une : '' Statistiques des suicidés '' Et j'appris que cette année, Plus de 8500 êtres humains se sont tués. J'en imaginais un, la gorge tranchée, Un autre, ayant perdu la raison, S'était tué et tenait encore en main son pistolet. Un troisième était resté assis Une partie de la nuit Devant le verre de poison. Puis, à quatre heures, il le buvait. Sur ses joues, une grimace passait. Ses lèvres se crispaient. Une épouvante l'égarait : Il ne savait pas qu'il souffrirait. Il s'est levé et il est tombé. Il sentait ses organes brûlés, Ses entrailles rongées Par le feu du liquide, avant que sa pensée Ne se fût définitivement obscurcie. J'en vis certains pendus à des crochets Au soleil ou sous la pluie, Et d'autres, couchés sur leur lit. J'aperçus des mères avec leurs petits, Tous rigides, étouffés, asphyxiés, Tandis qu'à côté d'eux fumait Un poêle à charbon. J'en surprenais un qui se jetait d'un pont...

Oh ! Trompeuse infamie de la vie ! Le suicide... mais c'est La force de ceux qui n'en ont plus, C'est Le sublime courage des vaincus ! Oui, Il y a au moins une porte à leur vie. Ils peuvent toujours l'ouvrir et passer De l'autre côté. La nature a eu pour eux un mouvement de pitié ; Elle ne les a pas emprisonnés. Merci à elle, au nom de tous les désespérés ! Je songeais à cette foule de morts volontaires : Plus de 8500 en une année ! Avaient-ils jeté au monde une prière, Pour exprimer le vœu Qu'on les comprenne mieux. Il me semblait que tous ces suppliciés, Ces pendus, ces égorgés, ces empoisonnés, Ces asphyxiés, ces noyés S'en venaient dire à la société : ''Aidez-nous à mourir, Vous qui ne nous avez pas aidés à vivre. Nous avons le droit de parler En cette époque de liberté Et de philosophie innovante. Faites à ceux qui renoncent à vivre Une mort qui ne soit point répugnante.''

Sur ce sujet, je me mis à rêver Laissant vagabonder ma pensée En de bizarres songeries.

Cheminant Dans les rues de Paris, je m'arrêtais surpris Devant un très grand bâtiment. Sur la plaque en cuivre fixée À la porte cochère Étaient gravés : "Œuvre de la mort volontaire".

Oh ! L'étrangeté des rêves éveillés.

J'entrai et déposai mon chapeau au vestiaire. Un valet en houppelande m'a demandé Ce que je voulais. Je l'ai questionné :

-" Quelle est votre activité, ici ? " Sans répondre, il m'a introduit Dans un cabinet tapissé de noir. Le secrétaire général, m'a salué Et m'offrit à boire.

-" Pardonnez-moi si je suis indiscret. Je suis entré par hasard et je désirais Savoir quel est votre métier ? "

-" Mon Dieu, monsieur, on tue proprement Et doucement, je n'ose pas dire agréablement, Les gens qui désirent mourir. " Je ne sus que dire. Il reprit : -" Notre cercle a été fondé Par les hommes les plus éminents du pays, Par nos plus grands esprits Sur l'ordre du général Boulanger Dont c'est la plus remarquable décision. Pour l'inauguration, On a donné une grande soirée, Un superbe gala Avec Sarah Bernhardt, Halévy, Alexandre Dumas, Meilhac, Mounet-Sully... Bref, tout le gratin de Paris. "

-" Quelle macabre plaisanterie ! "

-" Non, la mort, nous l'avons parfumée, Nous l'avons faite aisée. Voulez-vous-visiter ? Je vous expliquerai. " Dans les salons, on causait vivement. Je n'avais Jamais Vu un cercle aussi vivant, Aussi rieur, aussi animé. Comme je m'en étonnais, Le secrétaire reprit :

-" Notre œuvre a une vogue inouïe. Tout le monde chic en fait partie. Une fois qu'on est ici, On se croit obligé d'être gai Afin de ne pas paraître effrayé. On plaisante, on rit, On blague, on fait de l'esprit. C'est certainement aujourd'hui L'endroit le plus amusant de Paris. "

-" Et comment faites-vous... ? "

-" On asphyxie... Mais très progressivement. "

-" Quel procédé utilisez-vous ? "

-" Un gaz puissant. Le suicide d'un riche coûte mille francs ; Celui d'un pauvre est gratuit, Naturellement. Les parfums du gaz sont modifiables à volonté Car ils doivent donner à la mort l'odeur D'une fleur Que le candidat à la mort a aimé. Voulez-vous faire un essai ? "

-" Non, merci. "

-" Oh ! Monsieur, il n'y a aucun danger. " J'eus peur de lui paraître lâche. Je repris : -" Bon. Je vais essayer. "

-" Étendez-vous sur "l'Endormeuse". " Je m'allongeai Un peu inquiet. Je fus enveloppé d'une odeur délicieuse. Mon âme s'était engourdie. Elle oubliait le trouble de l'asphyxie. Le secrétaire me conseilla :

-" Oh ! Monsieur, Ne vous laissez pas prendre à ce jeu ! "

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C'est alors qu'une voix m'éveillait, Une véritable voix, forte et assurée, Et non plus celle de mes songeries. Le garde champêtre du pays Me disait :

-" Bonjour, m'sieur Guy, ça va ? " Mon rêve s'envola.

-" Bonjour, Marcel. Où allez-vous donc ? "

-" Je vais constater un noyé Qu'on a repêché Près des Morillons. Encore un qui s'est jeté Dans la rivière. Même, m'a-t-on dit, qu'il s'était attaché une grosse pierre aux pieds. "


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