Le Yémen privé de ses ressources essentielles
Difficile de ne pas constater que la communauté internationale ferme sciemment les yeux sur l’impact humanitaire du conflit, qui touche 20 millions de personnes. Le Yémen a lugubrement fait son entrée dans la liste des pays où les besoins humanitaires sont actuellement les plus importants. Depuis la fin du mois de mars, on compte plus de 2.000 morts et près de 10.000 blessés, dont la plupart sont des civils, sans compter les victimes indirectes du conflit à cause, notamment, des ruptures dans l’accès aux soins.
Plus d'un demi-million de personnes ont été déplacées sur le territoire, fuyant les bombardements et les combats entre belligérants. La population manque de tout, en particulier de nourriture, d'eau potable, de médicaments et de carburant. En entérinant la mise en place d’un embargo sur les armes, la résolution 2216 des Nations Unies a entraîné un blocus de fait sur le pays et l’aggravation d’une situation humanitaire déjà critique. Ce blocus a drastiquement freiné l’approvisionnement de nourriture et de pétrole dans le pays, qui étaient importés respectivement à hauteur de 90% et 50% [1]
Ainsi, selon les estimations, seuls 18% des besoins en fioul sont entrés dans le pays en mai [1], dans un pays où la très grande majorité des hôpitaux, de l’approvisionnement en eau potable et bien sûr des transports fonctionnent au fioul. Associé à la pénurie de carburants, le manque d’approvisionnement en biens de première nécessité est extrêmement grave.
Si certains aliments restent encore accessibles pour une partie de la population, de façon inégale selon les zones, le prix du blé – aliment de base au Yémen – connaît une inflation galopante qui le rend inabordable pour les plus pauvres. À Sana’a, les 50 kilos de farine sont passés de 20 à 50 US dollars ces dernières semaines [1] tandis qu’à Aden, certains aliments ont disparu des étals des marchés. Une détérioration très rapide de la situation alimentaire des populations prises au piège dans la ville est inéluctable.
Le blocus du pays ressemble à s’y méprendre à une stratégie d’asphyxie des populations. Une situation extrêmement dangereuse du point de vue humanitaire et gravement préoccupante du point de vue du respect du Droit International. Face à la crise humanitaire en cours et aux conséquences de cet embargo, les Nations Unies n’ont pas d’autres choix que de revoir a minima les modalités de sa mise en place et les mesures pour atténuer ses effets. Le Conseil de Sécurité doit répondre des conséquences négatives de ses décisions.
Priorité aux intérêts militaires
Difficile de ne pas constater la frilosité de certains acteurs humanitaires qui ont évacué le Yémen en urgence et qui se questionnent encore sur le modus operandi à mettre en œuvre pour répondre aux besoins des populations. L’accès des organisations humanitaires aux populations et l’accès de ces populations aux services de base reste une responsabilité collective essentielle. Il doit être autorisé et facilité par toutes les parties en conflit au nom de l’impératif humanitaire visant à préserver et protéger les populations civiles. La facilitation de l’accès doit se traduire par des mesures concrètes garantissant, notamment, le respect des travailleurs humanitaires et des solutions d’évacuation rapide.
Difficile de ne pas constater la consolidation des relations entre Riyad et l’État français. Le gouvernement de François Hollande s’enorgueillit des ventes de Rafales aux pays de la coalition plutôt que de faire entendre sa voix pour la protection des civils. Le 24 décembre dernier, le traité sur le commerce des armes entrait enfin en vigueur. Il demande notamment l’évaluation, au préalable, des risques de violation des droits humains et du droit international lors de ventes d’équipements militaires. Nous sommes aujourd’hui en droit de nous demander ce qu’il advient des engagements de la France vis-à-vis de ce traité.
De même, l’Union européenne a adopté une position définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires, dans laquelle il est clairement stipulé qu’il ne peut pas y avoir d’exportations vers des pays violant les droits humains.
Les équipes d’Action contre la Faim au Yémen sont témoins au quotidien des effets des bombardements ciblant des zones urbaines densément peuplées et des lieux protégés. L’ampleur des destructions et des pertes humaines soulève clairement la question de la proportionnalité de la force employée. La quantité et l’irrégularité des bombardements sont par ailleurs des obstacles majeurs à la délivrance de l’aide. Aujourd’hui, le Yémen, comme de trop nombreux autres pays, est à la fois une preuve et une victime de la primauté de la logique militaire sur la vie humaine.
Agir pour trouver des solutions
Faut-il alors demander au gouvernement français de justifier ses ventes d’armes ? La diplomatie se résume-t-elle aux seuls impératifs économiques et militaires ?
Faut-il alors dénoncer le mépris affiché des belligérants pour le respect du droit international humanitaire et des droits humains ?
Faut-il alors demander à la coalition menée par l’Arabie Saoudite et soutenue par la France et les États-Unis notamment, de lever immédiatement le blocus de fait dont les civils sont les premières victimes, et qui empêche l’entrée de produits de première nécessité et la libre circulation de l’aide humanitaire ?
Faut-il alors demander un arrêt des hostilités pour protéger les civils et leur venir en aide ?
Faut-il alors demander une augmentation conséquente de l’accès aux populations afin de permettre des actions humanitaires ?
OUI, il le faut. Il faut sortir du silence. Ces 100 jours de conflit voient les négociations de paix pour le Yémen s‘achever le 19 juin dernier sans aucun accord et sans aucune date fixée pour de nouvelles discussions. Il faut que la communauté internationale prenne enfin ses responsabilités pour ne pas abandonner, une fois de plus, les populations victimes de conflit.
[1] Chiffres tirés du rapport d'Action contre la Faim