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Aux origines des jets de gaz et de poussière de la comète « Tchouri »

Publié le 03 juillet 2015 par Pyxmalion @pyxmalion

Comment fonctionne une comète ? Quels sont les mécanismes qui les transforment en astre chevelu (asteres cometes) ? Ce sont des questions parmi bien d’autres auxquelles les astronomes tentent de répondre en épiant avec Rosetta le noyau de la comète « Tchouri », tout au long de son parcours autour du Soleil. Une équipe qui s’est penchée sur les multiples gouffres observés en surface pense avoir résolu en partie les processus qui sous-tendent les émissions de ces jets de gaz caractéristiques.

Depuis plus de deux millénaires, nous désignons comme astre chevelu (komêtês en grec, asteres cometes en latin) les innombrables petits corps glacés qui quittent quelque temps les confins de notre Système solaire pour venir se réchauffer plusieurs mois auprès du Soleil. Au cours de leurs pérégrinations, l’énergie qu’ils reçoivent les transforme en sublimant les glaces qu’elles renferment. À l’instar de la désormais célèbre comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, suivie de très près — depuis bientôt un an — par la sonde Rosetta, que l’on voit sur les images publiées régulièrement sur le blog de la mission, se hérisser de plus en plus de jets de gaz… Les cheveux lui poussent littéralement sur la tête ! Son atmosphère, la coma, s’étoffe à mesure qu’elle se rapproche du Soleil, au fil de son orbite de 6,5 ans. Elle n’en est vraiment plus très loin d’ailleurs (200 millions de km le 2 juillet, via Livecometdata). Dans 40 jours, le 13 août prochain, « Tchouri » — et Rosetta qui l’escorte — atteindra déjà sa plus petite distance avec notre Étoile (périhélie) : 186 millions de km.

L’activité de ce corps bilobé de 4,1 km est bientôt à son paroxysme. Parallèlement aux recherches sur les vestiges de la formation du Système solaire qu’elle a probablement piégé dans ses glaces et les molécules organiques, possibles ferments de la vie sur Terre, que toute comète est supposée détenir, une équipe de chercheurs s’est intéressée de très près aux effusions de gaz et de poussières qui font gonfler leurs chevelures caractéristiques. Dans le cas de 67P alias « Tchouri », les astronomes ont identifié certaines de leurs sources : des dépressions rondes situées pour beaucoup dans la partie nord. La taille des 18 gouffres ou dolines étudiés varie de quelques dizaines à quelques centaines de mètres. Quant à leur profondeur, elle peut atteindre 210 m.

« Nous voyons des jets sortir des zones fracturées des falaises à l’intérieur des gouffres, raconte Jean-Baptiste Vincent (Institut Max Planck) qui a dirigé l’équipe. Ces fractures signifient que les substances volatiles enfermées sous la surface peuvent être réchauffées plus facilement et s’échapper ensuite dans l’espace. »

Dans leur article publié dans l’édition du 1er juillet de la revue Nature, les chercheurs proposent d’expliquer la formation de ces puits par l’effondrement du plafond supérieur d’une cavité souterraine. Cela se produirait soudainement. La sublimation des matériaux qui sont alors exposés participent à l’érosion.

Ces puits d’effondrements sont en quelque sorte des fenêtres ouvertes sur le sous-sol du noyau cométaire. Ses entrailles sont, semble-t-il, poreuses, remplies de trous, de vides comme cela est souvent envisagé…

Les chercheurs avancent trois scénarios possibles pour expliquer son infrastructure. Le premier suppose que la formation de ces cavités date de l’origine du noyau, lors de l’agglomération des multiples blocs qui le constituent, par de lentes et douces collisions, il y a plus ou moins 4,5 milliards d’années. Dans ce cas, précisent-ils, leurs plafonds seraient fragilisés soit par la sublimation soit par des séismes déclenchés par des impacts. Le deuxième cas de figure propose que des poches de glace de dioxyde de carbone ou de monoxyde de carbone soient progressivement réduits par sublimation par l’énergie du Soleil qui s’est enfoncée sous les sombres couches superficielles de poussière. La troisième possibilité ressemble à la précédente, à la différence que la sublimation des glaces carboniques serait cette fois causée par l’énergie libérée lorsque la glace d’eau change d’état, d’amorphe à cristalline.

À gauche, vue d’ensemble du noyau bilobé de la comète « Tchouri », long de 4 km. Les principales dolines sont désignées par des flèches ou encerclées en rouge. En haut, à droite, gros plan sur la fosse en activité Seth 01 (220 m de diamètre). À côté, multitude de jets de gaz photographiés le 22 novembre 2014. Le schéma en dessous figure les trois scénarios proposés pour expliquer la formation des cavités souterraines

À gauche, vue d’ensemble du noyau bilobé de la comète « Tchouri », long de 4 km. Les principales dolines sont désignées par des flèches ou encerclées en rouge. En haut, à droite, gros plan sur la fosse en activité Seth 01 (220 m de diamètre). À côté, multitude de jets de gaz photographiés le 22 novembre 2014. Le schéma en dessous figure les trois scénarios proposés pour expliquer la formation des cavités souterraines

Les deux dernières propositions pourraient expliquer la distribution inégale des trous en surface. Car, comme on peut l’imaginer, la répartition de la glace dans les entrailles de la comète est aléatoire.

« Quel que soit le processus qui a créé ces cavités, ces dispositifs nous montrent qu’il y a de grandes différences structurelles et/ou de composition dans les cent premiers mètres sous la surface de la comète, explique Sebastien Besse du centre technique ESTEC de l’Esa au Pays-Bas, et les cavités sont révélatrices de matière non transformée qui autrement ne pourrait pas être visible ».

La patiente étude des nombreux clichés en haute résolution fournis par la caméra Osiris de Rosetta (images réalisées à 30 km seulement de la surface) a permis à l’équipe de constater que les parois présentent des différences importantes d’un trou à un autre. Certains montrent des terrasses, des fractures, des stries, des couches horizontales et par endroit des motifs en « chair de poule »…

« Nous pensons que nous pourrions utiliser les fosses pour caractériser l’âge relatif de la surface de la comète, commente Jean-Baptiste Vincent qui a conduit ces recherches : plus il y a de trous dans une région, plus jeune et moins transformée est la surface. » Il ajoute : « ceci est confirmé par les observations récentes de l’hémisphère sud, la surface apparait plus transformée, car elle reçoit beaucoup plus d’énergie que l’hémisphère nord, et ne semble pas montrer des structures similaires ».

3 fosses sur la comète Tchouri

Les puits d’effondrements baptisés Ma’at 1, 2 et 3 sont très différents. Le premier, à gauche, serait plus récent et donc actif. Le troisième, à droite, montre au contraire des signes d’usures, rempli de poussières, et serait donc plus ancien et inactif. L’image a été prise avec la caméra Osiris de Rosetta à 28 km de la surface de la comète

En somme, les bassins les plus encaissés et profonds sont vraisemblablement les plus actifs et donc les plus récents. Les plus anciens présentent, quant à eux, des parois très abimées et sont remplis de débris. Ceux qui ont un âge moyen affichent un « tirage » plus faible, avec des planchers jonchés de rochers qui ont dévalé les pentes. « Nous continuons d’analyser nos observations pour voir si cette théorie est juste, et si cette chronologie est liée à l’évolution thermique interne de la comète » note Sebastien Besse. Tout semble indiquer cependant que « la plupart des puits actifs sont présents depuis plusieurs orbites autour du Soleil ».

Un effondrement est-il à l’origine du sursaut d’activité d’avril 2014 ?

Les scientifiques s’interrogent : est-ce un brutal effondrement d’une cavité qui a causé le sursaut d’activité observé en avril 2014, alors que « Tchouri » était encore à plus de 600 millions de km du Soleil ? La quantité de matière éjectée avait été alors estimée entre 1.000 et 100.000 kg. Les membres de l’équipe considèrent que oui, mais dans une moindre mesure. Après calculs, une fosse de quelque 140 m de large pour autant de profondeur pourrait en réalité expulser autour d’un milliard de kg de matière en tout genre.

On imagine le bonheur des chercheurs de scruter et suivre avec autant de détails le comportement d’une comète tout au long de son odyssée. « Être en mesure d’observer les changements de la comète, en particulier relier son activité aux structures de sa surface, est une clé des possibilités de Rosetta et va nous aider à comprendre comment l’intérieur et la surface ont évolué depuis sa formation » souligne Matt Taylor, membre de l’équipe scientifique de la mission.


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