Cela faisait longtemps qu’on n’avait plus entendu les gémissements plaintifs de l’actuel président de l’Assemblée nationale. Heureusement, l’actualité lui donne enfin l’occasion d’émettre ces petits couinements stridents sans lesquels il n’existerait pas vraiment : en pleine forme, Claude Bartolone revient donc nous entretenir sur la météo, la télé, la politique, la vie, la grande, la belle, celle qu’il mène et qu’il nous fait partager dans un entretien radiophonique pulsant de cuistrerie.
C’est France-Info qui aura eu les bonnes grâces du fier Marquis de Seine-Saint-Denis, et qui nous propose donc une interview à bâtons rompus, cassés, mâchonnés et découpés. Et sur le sujet de l’actuelle canicule estivale, il n’y a pas que l’asphalte et l’air qui soient chauffés à bloc : Claude, à peine le gros micro mou saisi, s’embarque dans l’habituelle propagande climato-réchauffiste, à laquelle il ajoute sa célèbre Magic Touch™ de n’importe quoi aspergé avec vigueur :
« On voit bien que lorsqu’on parle de transition énergétique, eh bien là on voit ce que pourrait redonner ce dérèglement de la planète avec heu des pics de heu chaleur de plus en plus importants, une dérèglementation du climat avec toutes les conséquences que cela peut avoir. »
Et voilà, nous sommes à peine à 30 secondes d’échanges qu’il envoie déjà une bordée de 155mm de son Yamato personnel à l’attention des journalistes et des auditeurs à peine réveillés. Ce type n’a aucune pitié et nous inflige donc une dérèglementation du climat qui l’enquiquine beaucoup et justifie amplement, selon lui, qu’on oblige les véhicules à contourner Paris, voire toute sa banlieue, pour assurer à la métropole une léthargie paisible dans une atmosphère virginale.
Le journaliste en face de lui, passablement amoindri par l’impressionnante salve de conneries débitées à rythme soutenu, ne parvient pas à lui faire comprendre qu’une nouvelle sanction des véhicules polluants revient à pénaliser les moins riches ; Claude, chaud boulette, embraye sur les miyons de réfugiés climatiques (35, mon brave monsieur, 35 !) qu’il y aura inévitablement à la fin de l’année – il tient sans doute ses chiffres de l’ONU – et que ce sont les plus pauvres qui ont des maisons passoires et qu’il faut donc agir contre le réchauffement, voilà voilà, circulez.
Apparemment, l’angle choisi est de les tabasser de taxes et d’interdictions, donc. Subtil. On comprendra surtout qu’en malaxant avec vigueur tous les mots-clés actuels sur le climat, la chaleur et les efforts qu’il faut tous faire pour un avenir riant, Bartolone prête ici allégeance à son patron François dont l’hippopoconférence de fin d’année ne peut surtout pas foirer. C’est un bon soldat, le Claude.
En outre, s’il a daigné venir parler au peuple, ce n’est pas pour s’entretenir de ces broutilles climatiques ni même des enquiquinements passagers de la SNCF avec ses horaires qui se ratent et ses voies qui se dilatent au point d’embrouiller le politicien dans le nom des stations, mais bien de sa campagne électorale pour les régionales, puisqu’il entend bien devenir le prochain patron de la Région Île-De-France.
Petit souci, cette campagne débute avec la parution d’un rapport de la CRC, la Chambre Régionale des Comptes, particulièrement accablant sur sa gestion du département de Seine-Saint-Denis entre 2008 et 2012.
Et lorsqu’on épluche le rapport, on comprend qu’il va être compliqué pour le candidat à la présidence de région de faire oublier sa gestion calamiteuse.
Ainsi, prétextant en 2010 un « budget de révolte » (cf 4:00 dans la palpitante interview) pour rouspéter contre une dotation plus faible de l’État aux fastes de son département, il n’hésite pas à engager les dépenses à hauteur de ce qu’il estime être du et non à celle de ce qu’il a reçu. Comme c’est mignon et tellement dans l’air du temps que de dépenser bien plus que ce qu’on a en se présentant comme un héros de la lutte anti-austérité (qu’on n’aura donc pas subie). En définitive, ne vous inquiétez pas, ce « budget de révolte » ne sera payé que par le contribuable (national ou départemental, Bartolone s’en fout).
Et tant qu’à parler d’austérité, n’oublions pas le petit personnel. Bien qu’un cabinet de président du Conseil ne puisse en théorie excéder 11 personnes, la CRC a découvert à la suite d’une enquête minutieuse (historique des recrutements, fiches de paie, organigramme sur l’intranet, …) que le cabinet a compté jusqu’à 14 personnes. Et cette petite entorse aux règlements au niveau du cabinet se retrouve, sous une autre forme, à tous les étages de l’administratif local : on apprend ainsi que les agents départementaux de la Seine-Saint-Denis ont un temps de travail réduit (28 heures par semaines pour les assistants sociaux, environ 27 h 30 pour les éducateurs, un peu plus de 27 heures pour les agents des collèges). Si Bartolone ne fait, en l’espèce, qu’hériter d’une situation précédente ultrafavorable, il n’a rien fait non plus pour ramener toutes les équipes aux 35 heures légales. Quant à la facture de l’écart représenté aux 35 heures (évaluée à 22 millions d’euros par la CRC), elle restera à la charge de … devinez qui ? Du contribuable, évidemment.
Les exemples s’accumulent dans le rapport, comme celui d’emplois qui, s’ils ne sont pas fictifs, semblent bien douteux et dont la portée effective, en terme de productivité, laissent songeur. En définitive, cette liste de reproches assez longue brosse un tableau bien sombre d’une gestion qui « manque de fiabilité et de transparence » selon la CRC, aux bidouilles comptables qui ont pu altérer « la sincérité des budgets ».
Pour un élu comme Claude Bartolone, c’est finalement sans surprise lorsqu’on se rappelle qu’il est directement responsable d’avoir contracté des emprunts toxiques dont le département n’est toujours pas dépatouillé (et loin s’en faut). Faut-il rappeler qu’à ce titre, et malgré les dénégations consternantes de l’élu, le département qui avait attaqué Dexia s’était retrouvé débouté de ses demandes ? Faut-il rappeler que tout montre que les élus qui ont contracté ces emprunts délétères étaient parfaitement au courant des catastrophes potentielles dans lesquelles ils engageaient leurs collectivités territoriales ?
Et tant qu’on y est, comment ne pas dresser un parallèle (que certains trouveront, soyons certain, hardi) entre la situation financière catastrophique dans laquelle il laisse son département, laissé des années aux mains inaptes de communistes pour tomber dans celles, moites et dispendieuses, d’un socialiste sans honte, et la situation d’un pays européen en pleine tourmente, passé de communistes en socialistes divers et qui ont accumulé les déficits et les gabegies ? Alors que le Grexit (la sortie de la Grèce de la zone euro) n’a jamais été aussi proche, comment ne pas voir se profiler comme un « 93xit », ou, au moins, une faillite retentissante d’un département aux abois ? Décidément, cela présage d’un avenir rebondissant pour la région Île-de-France si elle tombait dans l’escarcelle du frétillant Claude.
La réalité n’est décidément pas bisou pour le candidat à l’élection régionale : sa gestion complètement approximative, ses décisions basées sur l’émotionnel et non le rationnel, quitte à tortiller le sens des mots et des lois pour parvenir à ses fins politiques personnelles, tout ceci lui revient maintenant dans le pif avec une vigueur presque réjouissante. Le timing est impitoyable puisqu’on est précisément au moment où le personnage s’élance à l’assaut du niveau de pouvoir supérieur, mais il est aussi nécessaire puisqu’il permettra de rappeler ce que valent vraiment nos « hommes de responsabilité » lorsqu’on leur fournit le pouvoir et les robinets à pognon. On peut raisonnablement douter que ceci aura un effet quelconque dans la mémoire de l’électeur, particulièrement fugace, mais le rappel reste toujours utile.
Notons que pour finir son interview, Bartolone, probablement frappé d’une rare lucidité, explique vouloir sauver « Les Guignols ». Faut-il y voir enfin un désir de reconversion à sa portée ?
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