Histoire d'une lignée de Dagenais - 2e partie

Publié le 30 juin 2015 par Jean-François Dagenais @lesinjustices

Le 27 juillet 1666, les Sulpiciens, seigneurs de l'île de Montréal, accordent la concession (sans doute verbale, car on ne trouve pas l'acte notarié idoine) d'une terre à la côte Saint-François, mesurant 2 arpents sur le bord du fleuve Saint-Laurent, par 15 de profondeur, entre Antoine Cognon et Olivier Charbonneau.

Certains situent erronément cette concession sur l'île Jésus, à l'endroit où se trouve aujourd'hui le Centre de détention Archambault. Le nom de Pierre Dagenais figure dans deux grands recensements de la Nouvelle-France.

En 1667, âgé de 33 ans, il habite avec sa femme Anne Brandon (née le 28 août 1634) et leur fils Michel (15 mois). II possède deux arpents mis en valeur, à côté des parcelles de Michel Moreau et Claude Desjardins.

Pierre prend plusieurs années à trouver sa voie, entre les métiers de défricheur, cultivateur, vigneron et tailleur d'habits.

Gérard Lebel soulève l'hypothèse d'une dette contractée à la suite de soins médicaux prodigués au petit Michel (il décèdera à la mi-novembre 1667). Le contat porte la jolie signature d'Anne Brandon, digne d'une institutrice diplômée.

Le jeune couple quitte le côteau Saint-Louis pour s'installer sur la concession accordée en juillet 1666. Il la conserve jusqu'au 5 novembre 1670. Antoine Dufresne, époux de Jeanne Fauconnier, devient l'acquéreur de cette propriété, sur laquelle se trouve une cabane à grains de pieux en terre pour la somme de 160 livres tournois.

Pierre reçoit dès lors 6 minots de blé froment valant 30 livres, dont quittance, le reste payable en trois paiements de 43 livres, 6 sols et 8 deniers, en blé ou en argent.

Il s'installe alors sur sa nouvelle terre de 30 arpents carés, au lieu-dit de Saint-François, achetée le 3 juillet de la même année de Pierre Lorrain dit Lachapelle, maître charpentier, époux de Françoise du Verdier-Saulnier.

Pierre paye 2 livres sur-le-champ mais le vendeur se réserve l' usufruit de la terre, soit la récolte de grains. Jean Gervaise et François Bailly servent de témoins.

Trois ans plus tard, Ie 17 septembre 1673, Pierre revend cette ferme à Claude Raimbault, maître menuisier de Montréal, époux de Madeleine Thérèse Sallé, pour 100 livres en marchandises de France et 50 minots de blé. Le vendeur se réserve le logement jusqu'au 24 juin 1674.

Pour les trois années qui suivent, les généalogistes chercheront vainement la trace de Pierre Dagenais. Le baptême d'Élisabeth à pointe-aux-Trembles (1676), celui de Cunégonde à la Rivière-des-prairies et la sépulture d'icelle à pointe-aux-Trembles (1679) nous laissent croire à la présence de la famille quelque part sur le territoire de ces paroisses, ou celui voisin du Sault-au-Récollet.

Au recensement de l'hiver 1681, la famille de Pierre Dagenais (50 ans) et d'Anne Brandon (50 ans), comprend Michel,(16 ans), Françoise (14), Cécile (12), Pierre (8) et Élisabeth (6), après le décès de Marguerite et de Cunégonde.

Jadis marchand, fermier et viticulteur, Pierre déclare comme profession tailleur d'habits. Il possède toutefois trois bêtes à cornes et neuf arpents en culture sur l'île de Montréal, dans le voisinage de Rollin Billaud et d'Antoine Beaudry.

Elaborons un peu sur la profession de tailleur. Pierre Dagenais en apprit sans doute les rudiments en France. Dans la mère-patrie comme dans sa colonie, les artisans acquéraient leurs compétences professionnelles en effectuant une période d'apprentissage auprès d'un compagnon ou d'un maître.

Nous en voyons un exemple par un contrat d'engagement passé devant le notaire Romain Becquet le 2 janvier 1673.

Anicet Bouyer s'engage pour deux ans auprès de Antoine de Lafonds, maître tailleur d'habits pour les Jésuites, au Collège de Québec. Il fera le profit du patron, le servira fidèlement, lui obéira en tout ce qu'il lui commandera de licite et d'honnête, portera à sa connaissance tout fait susceptible d'intéresser ses affaires et l'avertira de tout dommage s'il en vient à sa connaissance.

Son patron lui montrera tous les secrets du métier et le traitera humainement (logé, nourri et blanchi). Au bout des deux ans convenus, il lui versera des honoraires de 150 livres.

Devant les difficultés de faire venir d'Europe tissus, toiles et draps, les habitants de la Nouvelle-France conservaient précieusement leurs vêtements, souvent mentionnés dans les inventaires après décès.


Ils confiaient la fabrication des vêtements aux tailleurs d'habits. Selon les observations relevées par le célèbre ethnologue Robert-Lionel Séguin, l'étoffe du pays s'avère peu courante.

Les vêtements de facture française constituent un luxe peu répandu. Y consacrant parfois plus d'argent qu'à son cheptel, l'homme dispose d'une garde-robe mieux garnie que celle de sa femme.

L'apport amérindien se limite pratiquement à la chaussure. La tenue vestimentaire s'inspire des modes françaises.

Pierre Dagenais ne possedait pas de boutique avec pignon sur rue ; il devait, à l'instar des métiers ambulants décrits dans le livre de Jeanne Pomerleau, se promener de porte en porte.

Les tailleurs montraient les tissus, prenaient les mesures, revenaient porter les vêtements cousus et apporter les retouches idoines (convenir exactement).

Lee tristement célèbre massacre de Lachine se déroule dans la nuit du 4 au 5 août 1689. Une inscription sur le monument aux victimes de cette hécatombe, érigé à Lachine, nous apprend que quatre jours après l'événement, les Iroquois, assoiffés de vengeance et enflammés par leurs succès, répandirent la terreur dans toute l'île de Montréal et jusqu'à Lachenaie.

Le 9 août, ils massacrent Pierre Dagenais dit Lépine (et probablement son épouse Anne Brandon, mais nous y reviendrons). Monsieur Brissac, sulpicien et curé de Saint-Charles de Lachenaie inhume la dépouille mortelle de Pierre Dagenais sur les lieux même du trépas par crainte du retour des Iroquois.

Dès son retour au presbytère, il écrit l'acte de sépulture sur un bout de papier. Selon Gérard Lebel, nous devons aux recherches patientes d' Édouard-Zotique Massicotte, archiviste au Palais de justice de Montréal vers 1900, l'explication de cette tragédie longtemps demeurée confise.

Dans un article publié en 1914 par le Bulletin des recherches historiques, il relate la découverte d'un bout de papier inséré dans le registre de l'île Jésus, Repentigny et autres paroisses (1697-1698), conservé aux archives judiciaires de Joliette.

Toujours selon Lebel, cet écrit authentique confirme la date exacte de la mort de Pierre Dagenais. Dans une note en marge d'une sépulture faite le 8 août 1729 dans le registre de la Rivière-des-Prairies, le sulpicien Simon Saladin écrit :

Le 8 août 1729, enterré dans le cimetière de ladite église les ossements de Pierre Dagenais, mort depuis 41 ans, et inhumé sur la Pointe à Desroches, en présence de Paul Brunet soussigné avec moi.

Icelle (cette) pointe se trouve près d'un ruisseau qui se jette dans la rivière des Prairies. Le document demeure muet sur le sort réservé à Anne Brandon, probablement brûlée vive ou emmenée prisonnière par les Iroquois.

Chose certaine, elle disparaît en même temps que son mari. Qu'arriva-t-il aux enfants, tous épargnés ? Furent-ils hébergés par leur soeur Françoise et son époux Pierre Roy ? Ce n'est pas impossible mais nous ne le saurons jamais.

Plusieurs années après, Françoise, Pierre, Élisabeth et Cécile Dagenais, réunis en conseil de famille avec leurs conjoints respectifs, décident de vendre à Marie Vaudry, veuve de Claude Crespin, en son vivant domestique au Séminaire, une concession située à la Rivière-des-Prairies, de 3 arpents de front sur 20 de profondeur, bornée par celles de Jean Milhet, Paul Lauzon et autres, concédée par les Sulpiciens le 25 novembre 1673.

La famille accepte la somme de 400 livres, dont une partie payée comptant. Le notaire Antoine Adhémar rédige l'acte idoine d'une savante (et quasi indéchiffrable) écriture, le 16 février 1698.