Je suis partie tôt, sur la pointe des pieds dans la maison endormie ce lundi matin-là. A travers la campagne le soleil gagnait peu à peu sur le jour. J’ai pris cette route inconnue et dont il faudra bientôt que j’apprivoise le moindre tournant sur près de cinquante kilomètres. J’ai trouvé une place un peu plus loin, et j’ai fait les derniers mètres à pied, mon dossier dans la main, j’avais quinze ans à nouveau.
Il était tôt encore, un peu trop tôt, j’ai demandé mon chemin, traversé le préau, franchi la double porte grise comme on me l’avait indiqué, suivi les flèches, les couloirs bruissaient dans l’effervescence d’un jour d’oraux. J’étais la première, à l’intérieur ils finissaient de tout mettre en place, j’ai attendu quelques minutes sur une chaise grinçante à l’extérieur, c’était le grand jour, c’était ma première fois. J’ai appelé son père, j’avais besoin de son adresse, et puis je ne sais pas, un peu comme le jour de ses premiers pas, c’était plus fort que moi, toute cette vie à l’élever seule loin de lui.
J’ai remis les formulaires dûment remplis les photos les déclarations les demandes les attestations les justificatifs. Tout était là. Le dossier fut dûment tamponné « complet ». Quinze minutes plus tard, ma fille aînée était inscrite au lycée. Je suis ressortie, le soleil brillait à présent fort, la sonnerie a retenti pour les quelques élèves restants tandis que je m’échappais, joyeuse, une pile de livres sous le bras. Une nouvelle page blanche à écrire s’ouvre pour elle, et j’étais aussi heureuse et impatiente de voir ce qu’elle en ferait que s’il s’était agi de moi, plus de vingt ans plus tôt. Elle, à cette même heure, n’en doutait pas un instant, savourant le bleu de l’océan de toute son insouciance. Je ne lui dirai pas le grand plongeon qui l’attend.